Léon Gabriel Mba Minko, les autres faces cachées du tout premier président du Gabon
Bien qu’il soit l’un des personnages les plus respectés et appréciés de l’histoire politique du Gabon, Léon Gabriel Mba Minko fut aussi l’un des plus contestés et des plus à plaindre. Quelques pans de l’histoire en disent long sur son côté obscur et son inimitié pour le Gabon dont il s’est servi pour assouvir son insatiable appétence du pouvoir.
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Comme un air de tribalisme
Léon Mba grandit dans l’une des rares familles aisées de la capitale gabonaise. Ses parents tout comme lui, sont de fervents catholiques notamment son frère aîné Jean Obame, ordonné prêtre le 4 mai 1919. Il est considéré à cette époque comme l’une des élites indigènes sûres car il travaille au sein de l’administration coloniale française, possédant un parcours scolaire très enviable en ces temps d’occupation étrangère.
Le président Léon Mba au coté du ministre français Malraux
Mais il se montre particulièrement obnubilé dans la défense des intérêts des Fang. En 1922, il adresse une lettre à Edmond Cadier, lieutenant-gouverneur du Gabon, dans laquelle il met un accent particulier sur la supériorité des Pahouins, la priorité et la nécessité de favoriser leur accès à l’éducation et au mieux-vivre. Il écrit alors "si d’un côté le devoir fondamental d’instruire les Pahouins concorde par surcroît avec les intérêts économiques, militaires et même politiques les plus évidentes du Gabon, de l’autre côté leur accroissement en dignité humaine et l’augmentation de leur bien-être matériel, demeurent monsieur le gouverneur, la légitimation de l’autorité française sur eux".
Pour un autochtone de son rang, cela est très mal perçu car il prend sèchement position à promouvoir la grandeur de sa communauté qu’il défend dans un esprit partisan et égoïste, n’ayant aucune sympathie pour les populations d’autres communautés ethniques qui sont elles aussi confrontées aux mêmes problèmes que les siens. Il devait s’inscrire plutôt dans une logique nationaliste prêchant pour la cause commune de la nation et non pour sa propre paroisse. Pendant qu’il était chef de canton, Léon Mba écrit, s’inspirant du droit canon et du code Napoléon, un essai en 1938 traitant des affaires relevant du droit coutumier chez les Fangs dont le but est de solutionner les conflits entre civils. Mais son œuvre a des similitudes du code civil français et laisse prévaloir une ambition inavouée de penser que seul l’indigène de sa communauté serait l’égal de l’homme blanc.
Un zèle inapproprié et des pratiques de gestion douteuses
En 1924, Léon Mba est nommé chef de canton en remplacement du chef Ndongo décédé. Il occupait alors l’un des postes les plus importants de la chefferie administrative. Mais il devint alors effronté et méprisait les plus anciens chefs traditionnels chez qui il ne percevait plus l’utilité ; il développa un vil amour-propre et un orgueil qu’on ne lui connaissait pas. En 1922, Léon Mba alors jeune commis fournit à un autre de ses collègues des documents falsifiés, ce qui provoqua la colère de l’administrateur-maire sieur Pechayrand.
Il exerçait un pouvoir rude et se vantait d’être le leader des jeunes intellectuels de la capitale, il le disait très bien “Ayant mission de faire respecter l’ordre public et défendre l’intérêt général, je ne souffre pas qu’on transgresse les ordres reçus de l’autorité que je représente. “ ; il était alors considéré comme un homme doté d’une sévérité implacable. Avec un de ses collègue du nom de Ambamany, il extorquait de l’argent aux habitants du canton pour couvrir leurs dépenses personnelles. C’était une pratique visant à exploiter les riverains et à s’enrichir sans scrupule ; il s’accapara d’une partie non négligeable des deniers de la colonie. Bien que l’administration mît du temps à réagir, elle le fit entre 1920 et 1930 compte tenu des avoirs que possédaient Mba. Son ami et collègue Ambamany dû s’enfuir en Guinée espagnole. Afin qu’il ne s’échappe pas à son tour, il est arrêté et destitué de son poste de chef de canton. Sa gestion des finances et le traitement qu’il réservait à la main-d’œuvre locale était indigne d’un instruit de son rang et faisait tâche dans la vision que les gabonais avait de l’administration coloniale. D’aucuns disent que ce fut un piètre montage ficelé de toute pièce par les blancs pour amoindrir la notoriété de Léon Mba et le mettre hors d’état de nuire.
Sociétés secrètes
Le moins que l’on puisse dire c’est que Léon Mba aimait le pouvoir. Il avait en tête de l’exercer avec passion et autorité. C’est pour cela qu’il ne prêtait plus attention aux conseils des anciens lorsqu’il fut chef de canton. Il était ambitieux et calculateur car il rêvait déjà de gouverner le pays. Il devint encore plus réputé quand il songea à occuper le très distingué poste de chef supérieur de l’Estuaire, désigné par ses collègues lors du congrès de Mitzic en 1947.
Selon l’administrateur colonial Louis Sanmarco dans son roman le colonisateur colonisé, il avait intégré la franc-maçonnerie de la colonie non pas pour la richesse et la jouissance mais seulement pour le pouvoir ; ses frères maçons l’avaient bien compris et savaient qu’ils pouvaient s’aider mutuellement : lui préservant leurs intérêts et eux, le soutenant jusqu’à accéder à la magistrature suprême. Lorsqu’il fut investi président, le ministre d’Etat André Malraux lui remit les attributs du pouvoir notamment les insignes de commandeur de l’étoile équatoriale dont le collier doré qu’il arborait fièrement lors d’une photo officielle ; collier similaire à ceux que portent les francs-maçons lors de leurs traditionnelles cérémonies rituelles.
Initié au Bwiti (rite traditionnel gabonais), l’administration le soupçonne d’être membre d’une société secrète et de pratiquer des actes de sorcellerie pour terroriser et accroître son influence auprès des populations. Il est taxé même de cannibale. Des anecdotes en font état mais ne confirment pas pour autant ces accusations. Il sera mêlé dans une affaire de meurtre présumé d’un certain Endamne accablé par les témoignages de deux féticheurs répondant aux noms de Obame M’Ba et Pascal N’Kolo et par celui d’un employé local de l’UCAF du nom de Schoepflin.
Une autre histoire folle parle de la condamnation de Léon Mba en 1932 pour avoir mangé lors d’une cérémonie rituelle, sa belle-mère. Les missionnaires et l’administration redoutaient la montée et la pratique du Bwiti, accusant ses adeptes d’être sous l’emprise d’une plante hallucinogène appelé Iboga et de pratiquer des sacrifices humains. L’explorateur et naturaliste franco-américain Paul Bélloni Du Chaillu avait rapporté qu’il aurait vu un homme Fang revenant du marché portant un bras d’être humain. Mais des preuves de ces allégations sont imperceptibles. Rappelons que les épopées du cannibalisme des Fangs du Gabon de ce navigateur sont largement répandues dans ces ouvrages notamment dans celui intitulé Voyages dans l’Afrique équatoriale : mœurs et coutumes des habitants.
Manœuvres politiques de mauvais goût
A sa sortie de prison et dès son retour au Gabon, Léon Mba a pour seule ambition la conquête des postes administratifs de grand calibre. Grâce à ses réseaux dans la religion du Bwiti, il rassemble autour de lui des élites Fang et Myènè. Mais l’administration locale préfère elle Jean-Hilaire Aubame car Léon Mba est un révolté et un communiste qui flirte avec le Rassemblement Démocratique Africain (RDA) de Félix Houphouët-Boigny. Lors des élections législatives de 1951, il ne parvient à sortir vainqueur du scrutin, battu par Jean-Hilaire Aubame, le fils nourricier de son demi-frère et ex protégé.
Durant les élections territoriales de mars 1952, l’Union Démocratique et Sociale Gabonaise (UDSG) du même Aubame remporte 14 des 24 sièges contre 2 pour le Comité Mixte gabonais (CMG), formation politique de Léon Mba. C’est ainsi qu’il comprend qu’il doit faire preuve de roublardises et de fourberies pour renverser la tendance : il s’allie à Paul Gondjout qui lui possède son parti du nom de Parti Démocratique Gabonais ; les partis des deux protagonistes fusionnent pour donner naissance au Bloc Démocratique Gabonais (BDG), Léon Mba étant l’adjoint et Gonjout le secrétaire général. Les élections du 2 janvier 1956 sont plus favorables pour Mba même s’il n’est toujours pas élu, il obtient quand même 36% des suffrages et Aubame en obtient 47.
Léon Mba devient alors un poids lourd du pays et reçoit le soutien financier des colons en tête desquels celui du forestier Roland Bru, qui s’emploie avec d’autres comme lui à faire accepter Léon Mba comme associé privilégié de l’Elysée. Il devient le 23 novembre 1956, le premier maire de Libreville avec 65.5% des suffrages. Il ne rechigne pas à user de malices politiques pour rallier à sa cause d’important soutiens et partisans de l’UDSG. C’est ainsi que le 21 mai 1957, les bases politiques de Léon Mba et de Jean-Hilaire Aubame ne parviennent pas à avoir la majorité lors des élections territoriales de mars 1957et sont dans l’obligation de présenter une liste commune pour l’élection du gouvernement au grand désarroi d’Aubame qui reste coi face à la trahison qu’il vient de subir par certains membres de son camp.
Le même jour, Mba est nommé vice -président du conseil du gouvernement. Aubame n’en revient pas et dépose une motion de censure pour faire démissionner ses alliés du gouvernement. Mais le coup bas a été bien coordonné par Mba et Gondjout alors président de l’assemblée nationale : la motion est rejetée par 21 voix contre et 19 pour. Plusieurs membres de l’UDSG rejoignent dès lors le BDG de Léon Mba. Après avoir voté majoritairement le “oui“ lors de la consultation par voie de référendum sur la communauté franco-africaine en 1958, le Gabon accède à son autonomie et le 27 février 1959, Léon Mba est nommé premier ministre, avec l’appui de ses réseaux locaux et étrangers qui l’ont jusqu’ici soutenu pour qu’ils puissent chacun bénéficier du partage sans équivoque du pouvoir et des richesses dont regorge le Gabon.
L’autocratie made Léon Mba
Par des frasques politiques, le 4 décembre 1960, Léon Mba s’empare du poste de secrétaire général du BDG qui était jusque-là occupé par Gondjout. Il décide de former avec Jean-Hilaire Aubame une liste d’Union Nationale mais use de mécanismes aux allures malsaines pour conforter sa position au sein du parti en conditionnant le dépôt des candidatures moyennant la somme de 100 000 francs CFA, ce qui a pour but de réduire considérablement les candidatures ; le vote est aussi rendu obligatoire par Léon Mba. Cette liste remporte l’élection avec un score stalinien de 99,75% des suffrages. Léon Mba pèse de tout son poids pour être le candidat unique au secrétariat du BDG. Il remercie Aubame en le nommant ministre des affaires étrangères en lieu et place de André Gustave Anguilé heureux d’avoir atteint son objectif.
Mais en mars 1960, Léon Mba avait déjà fait preuve d’autoritarisme en interdisant par le biais du conseil des ministres, le Parti de l’Unité Nationale Gabonaise (PUNGA) avec pour leaders René Sousatte et Jean-Jacques Boucavel qui avait appelé à voter le “non“ lors du référendum de 1958. Après qu’il ait obtenu l’indépendance de la part des autorités de Paris, il émet un mandat d’arrêt contre René Sousatte et fait fouiller le siège de l’USDG en avançant des raisons fallacieuses visant à conspirer contre son autorité. Les intimidations sont telles que des jeunes députés de l’USDG rejoignent par peur de représailles les rangs du BDG offrant une majorité écrasante au parti de Léon Mba à l’assemblée. Un système totalitaire est mis en place restreignant les libertés individuelles à l’instar des rassemblements publics.
On voue au dictateur Mba un culte immodéré de la personnalité se faisant dorénavant appeler "le patron" ; partout on fait ses éloges. Son image est floquée sur les tissus de pagnes et des chansons sont enregistrées pour vanter ses mérites et entretenir sa gloire.
Toutes les élections sont remportées par le parti du "patron". Mais des élus locaux se lèvent contre ces dérives autoritaires sous l’impulsion de son allié d’antan et président de l’hémicycle gabonais Paul Gondjout soutenus aux forceps par les députés de l’USDG ; cette pression permet l’instauration d’un régime parlementaire et en novembre 1960, une nouvelle constitution est adoptée. Ce changement n’arrange pas les affaires de Léon Mba qui n’a d’autres solutions que de corrompre les députés réfractaires à son pouvoir ; une aide financière venant de France est acheminée vers Libreville. Voulant redorer son image, Mba décide alors de contenter la population en se débarrassant de certains membres du gouvernement d’origine européenne.
Mais ce n’est qu’un énième stratagème du président car son allié blanc de toujours, Roland Bru, contrôle par un vaste système de corruption, les affaires du pays. Un remaniement ministériel a lieu mais ne donne pas pour autant satisfaction à l’opposition qui, n’acceptant pas une telle manœuvre politique sans consultation du parlement comme prévue par la loi, décide de déposer une motion de censure. C’est Gondjout qui en est l’auteur.
Ulcéré, Léon Mba fait arrêter le 16 novembre, et ce malgré leur immunité, des parlementaires de sa propre formation politique ainsi que Gondjout : il décrète l’état d’urgence et dissout l’assemblée toujours au motif d’un complot le visant directement. Il fait adopter une nouvelle constitution lui donnant les pleins pouvoirs dans l’appareil décisionnel du pays, on est le 21 février 1961.
Un rapport des services secrets français révèle que "se voulant et se croyant sincèrement démocrate, au point qu’aucune accusation ne l’irrite davantage que celle d’être un dictateur, il n’en a pas moins eu de cesse qu’il n’ait fait voter une constitution lui accordant pratiquement tous les pouvoirs et réduisant le parlement au rôle d’un décor coûteux que l’on escamote même en cas de besoin". Ce constat se passe de commentaires. En 1961 alors que le régime totalitaire de Léon Mba est en proie à de nouvelles manifestations, un grand nombre d’étudiants sont mis aux arrêts.
Outré, Léon Mba administrait lui-même des coups de chicotte à tous ceux qui osaient lui manquer de respect et même à ceux qui ne le saluaient pas lorsqu’ils le voyaient. Même s’il y a une trêve de tensions entre les différents rivaux politiques qui dure environ deux ans, en 1963, Jean-Hilaire Aubame s’inscrit en faux dans l’établissement du monopartisme voulu par Léon Mba qui souhaite dans le fond éloigner Aubame de la classe dirigeante car il ne lui est pas dévoué.
Alors président de la cour suprême, Aubame décide de démissionner de celle-ci pour ne plus avoir à traiter avec "le patron". A la suite de nouveaux accrocs entre le gouvernement et le parlement, Léon Mba décide incompréhensiblement de dissoudre une fois de trop l’assemblée nationale qui lui est pourtant acquise à 70%. Ce sont là autant de raisons qui favoriseront le coup d’Etat du 18 février 1964.
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