Alfred Mabika-Mouyama : de la Poste gabonaise, l’exil politique en France à la Renaissance des Peuples Kongo
L’invité de la rédaction d’Info241 ce lundi est M. Alfred Mabika-Mouyama, surnommé Ighabouyi, celui qui reviendra en langue Punu (sud u Gabon), Président de l’Institut Yanga-Nzinga, ancien Ministre, ancien Président Directeur général de La Poste S.A. et auteur du livre à succès La poste au Gabon : Controverses et manipulations politiques paru le 1er février 2017, aux Editions du Silence. Nous avons abordé des sujets d’actualité, son exil politique, la transition politique en cours et son magister à La Poste gabonaise. Lecture.
Nous revenons dans cet entretien exclusif accordé à la rédaction d’Info241 sur le scandale économique de La poste gabonaise, actualité qui secoue ce fleuron de l’économie de ce pays riche de l’Afrique centrale. Mais aussi, le regard de l’ancien ministre de la République sur la transition politique en cous au Gabon. Sans omettre d’évoquer son avis, sa part de vérité sur la gestion de cette entité du Ministère de la Communication et des médias dont il a eu la charge durant 9 ans. Au moment où un audit en cours révèle plusieurs dysfonctionnements.
Info241 : Monsieur Alfred Mabika-Mouyama la rédaction d’Info241 est heureux de vous avoir comme son invité de ce mois pour passer en revue ce qui fait l’actualité. Vous avez dirigé La Poste S.A. du Gabon entre 2007 et 2015 et vous avez été finalement accusé de détournements de fonds, par vos amis d’antan dont l’ex-président de la République, Ali Bongo. Quelle est la réalité des faits ?
Alfred Mabika Mouyama (AMM) : J’ai quitté la Direction générale de La Poste en octobre 2015 et je suis allé en France pour des raisons de santé et convenances personnelles. Pendant que je suis encore hospitalisé, l’acharnement médiatique et politique s’emballe et débouche sur une plainte, initiée par mon successeur Michael Adandé et son ministre de tutelle Alain Claude Billié bi Nze. A l’issue de ce jugement la Cour d’Appel de Libreville a prononcé un Non – Lieu suivi, trois mois plus tard, d’un Certificat de Non-Pourvoi daté d’avril 2021 dont je transmets copies et je vous autorise de les publier.
Toutes les Autorités du Gabon sont au courant de cette décision de Justice, pour laquelle, par éducation et conviction républicaine, je me suis gardé de faire une publicité.
Dans un Etat normalement constitué, aucun ministre de la Poste, de la Communication ou des Comptes publics, aucun service de la Présidence, aucun organe de presse respectable, ne saurait se saisir d’une affaire jugée pour salir l’image d’un citoyen.
Les Gabonais, qui n’ont pas lu votre ouvrage « Controverses et manipulations politiques », croient à la version de vos amis d’antan dont l’ex-président de la République, Ali Bongo Ondimba. Pensez-vous avoir été victime de l’ancien régime, duquel vous étiez pourtant très proche à un certain moment ?
AMM : Oui, une bonne frange de la population est convaincue que j’ai détourné l’argent de la Poste. Il s’agit de cette population qui se nourrit de rumeurs et de propos malveillants rapportés. Je l’invite à suivre la vidéo de présentation de mon livre qui détaille la gestion de la Poste. Vous y trouverez, vous aussi, la réponse à votre propre question. En réalité, l’opinion publique est victime des manipulations politiques. Le pouvoir exploite l’ignorance des populations.
Cependant, une autre partie importante et plus avertie de la population, comprend aisément qu’on ne peut pas détourner des fonds qui n’existent pas ; ce serait comme détourner des eaux d’une rivière asséchée. En effet, lorsqu’on me confie la direction générale de la Poste, de la double signature des ministres Paul Toungui (Finances) et René Ndémézo Obiang (Poste), il y a 35 milliards de dépôts (l’argent déposé par les clients de Gabon-Poste, aux CCP et à la Caisse d’Epargne) et zéro franc en trésorerie.
Pis, le même Etat, déjà défaillant vis-à-vis de La Poste, va s’engager à payer, outre ces 35 milliards, augmentés de 10 milliards obtenus après recensement des livrets d’épargne, 10 milliards au titre du capital de Postebank et 1milliard au titre du capital de La Poste S.A. (2 sociétés créées par l’Etat). Aucun de ces engagements n’a été respecté, à telle enseigne que, lorsque je quitte mes fonctions, l’Etat est débiteur de 101 milliards de francs CFA à La Poste.
Cette somme de 101 milliards est constituée de l’épargne des clients, des loyers impayés par le Ministère de la Communication et la Cour des comptes, des subventions impayées sur plus de 5 ans, etc. Qui est le fossoyeur des fonds de la Poste : L’Etat ou le dirigeant ? L’Etat c’est qui ? Et le Chef de l’Etat c’est qui ? Qui a manqué à sa parole ?
Le jeudi 16 février 2017 à Paris, Alfred Mabika-Mouyama avait présenté à la presse ses livres "Du cœur à l’ouvrage" et "La Poste au Gabon : Controverses et manipulations politiques".
Le non respect des engagements de l’Etat ne visait qu’à priver le P.-DG que j’étais des moyens d’accomplir la mission qu’Omar Bongo Ondimba, ancien postier, m’avait confiée. En agissant ainsi, Ali Bongo Ondimba et son gouvernement freinaient le développement du Gabon, pays que ces prédateurs prétendaient aimer dans leurs discours politiques.
Est-il normal qu’un président de la République appelle, devant moi, le ministre des finances pour lui intimer l’ordre de régler des milliards de francs CFA des épargnants gelés à la Caisse des dépôts et Consignations et que, une fois que je suis sorti de l’audience qu’il m’avait accordée pour le financement de mon plan de développement de La Poste, le même président rappelle le même ministre des Finances, pour lui interdire de dégeler les sommes dues. Ce n’est pas digne d’un homme d’Etat !
Le même Ali a boycotté, ouvertement, la cérémonie de lancement des activités de Postebank, devant un parterre d’invités internationaux, alors la date, le lieu et l’heure ont été fixés par lui-même ?
Contre toute règle budgétaire, mais pour assouvir son animosité à mon égard, Ali Bongo a fait décaissser 30 milliards pour le règlement des salaires par le Trésor Public et 7 milliards mis à disposition de mon successeur, en seulement 2 mois d’exercice de ses fonctions, sur la base de la Convention que j’ai signée le vendredi 14 octobre 2015.
Tenez, à titre de rappel, j’ai reçu 1,7 milliard fcfa comme subvention totale en 8 années que j’ai passées à la tête de La Poste, et les salaires étaient payées à date , le 20 de chaque mois. Je n’ai jamais eu de grève pendant ma gestion, alors que mon successeur, qui a été gavé par Ali Bongo n’a connu que des grèves à répétition, prétextant que les caisses étaient vides.
Ali a cru sans rien vérifier et sans mémoire de son appui constant aux sollicitations extra-budgétaire de mon successeur. L’opinion, abreuvée à cette source de médisance et de diffamation contre ma personne, a suivi la vision déformée de roublards invétérés qui ont diffusé des inexactitudes relayées par la presse nationale.
Comment peut-on crier que Alfred Mabika a laissé les caisses de La Poste SA et Postebank vides, alors que mon successeur a décaissé tous les fonds de garantie d’exploitation qui se trouvaient dans les banques (Banque postale Française, Citi-Bank, Orabank, BICIG, UGB, caisses des agences et bureaux de poste), soit une trésorerie totale de 9 milliards de francs CFA.
Les Gabonais, qui n’ont pas lu votre ouvrage sur la gestion de la Poste, disent que vous avez emporté toute la « caisse ». Petite vérité ou gros mensonge ?
AMM : Mensonge honteux. Je n’ai rien emporté. Quand on me limoge de La Poste, je laisse en caisse 9 milliards de francs CFA et une convention de 22,4 milliards de règlement d’une partie de la dette de l’Etat envers la Poste.
La convention est signée vendredi 16 octobre 2015 après-midi, j’apprends mon limogeage samedi matin, le 17 octobre 2015, par un communiqué du journal L’Union, et, du 18 octobre au 22 décembre 2015, l’Etat versera 7 milliards sur la dette de 22 milliards.
A cette somme, il faut ajouter l’argent prêté et avancé aux clients de Postebank ainsi que le montant de 69 milliards de francs CFA restant à recouvrer auprès de l’Etat gabonais Avec ces décaissements, La Poste avait les moyens de vivre aisément et durablement
Où sont réellement passées les épargnes des clients de Gabon-poste, d’autant plus que vous êtes pointé du doigt par l’ancien pouvoir de Libreville ?
AMM : Il n’y a pas que l’ancien régime qui me pointe du doigt. Les Autorités de la Transition, comme tous les gouvernements qui les ont précédés, utilisent ce dossier comme actif circulant, dispositif de nuisance contre ma personne. A preuve : la Journée internationale de la Poste, le 9 octobre dernier, a été l’occasion pour le pouvoir actuel de mêler mon nom dans un reportage, au journal de 20heures, sur des pratiques de gestion délictueuses de 2015 à ce jour, alors que je suis en exil pendant ces années.
Je ne suis mêlé en rien à ce détournement des salaires des postiers payés par le Trésor, une pratique qui n’avait pas cours pendant ma gestion qui s’arrête le 15 octobre 2015. Le pouvoir d’Ali Bongo Ondimba m’a accusé, en passant par Yves Laurent Ngoma, correspondant de RFI, d’avoir acheté 3 immenses villas en Afrique du Sud, et le pouvoir de Transition, dans une publication Facebook du 25 août 2024 reprend ces informations erronées. Mêmes objectifs, mêmes méthodes.
L’effet nocif de cette campagne de dénigrement et de désinformation initiée par mon successeur est d’avoir enraciné dans l’opinion publique l’idée que je me suis refugié en France avec la « caisse » de La Poste, alors que j’avais laissé à mon successeur un plan de développement de La Poste, avec les sources de financement conséquent. Il choisira de confondre ses besoins personnels et le budget de la Poste. L’argent des épargnants est à La Poste et avec l’Etat.
Vous auriez investi 100 milliards de Fcfa de La Poste SA du Gabon en République Démocratique du Congo. Expliquez-nous les dessous de cette opération ?
AMM : C’est avec des chiffres inventés et l’addiction gabonaise au milliard que l’on fabrique des détournements de fonds. Je ne connais pas d’investissement de 100 milliards alors que La Poste était privée de ses moyens. D’où tirez-vous ce chiffre ? En termes d’opération une société anonyme comme la Poste ne devait pas être un trou de dépenses, mais devait trouver des opportunités, dans le pays comme à l’extérieur, pour être un centre de profit au service de son développement. C’est bon pour la Poste, c’est bon pour le Gabon.
C’est dans cette perspective qu’ayant réalisé le projet d’interconnexion satellitaire des bureaux de poste du Gabon, interconnexion dont se vante actuellement le gouvernement de la Transition, que j’ai souhaité exporter ce modèle vers d’autres pays de la sous-région.
C’était un moyen de créer une synergie sous-régionale d’ensemble pour mieux garantir son développement, en mutualisant les coûts et les investissements nécessaires. Nous avons investi près d’un (1) milliard de FCFA, sous forme de crédit-acheteur et non de cash. Nous avons conclu avec la RDC et l’Angola s’apprêtait à rejoindre ce réseau innovant.
Depuis votre départ en exil, il se dit que la Poste SA ne s’est plus bien portée. Quelle est votre part de responsabilité ?
AMM : Je ne peux pas être responsable d’une gestion qui s’est écartée de mon modèle de développement.
J’ai cru en la parole de l’Etat et mon engagement total pour la réforme et la modernisation de la Poste a enfanté d’un projet de développement qu’Ali Bongo a démoli dans sa phase de décollage, faute de vision.
En vérité, votre question s’adresse au pouvoir qui m’a limogé et à ceux qui m’ont succédé.
La ministre actuelle de la Communication, chargée de la Poste SA voudrait nettoyer les écuries d’Augias ou mettre « les mains dans le cambouis ». Vous commentez ?
AMM : Je n’ai rien à dire, parce que je crois aux seuls juges de paix : le temps et l’histoire.
Depuis la « libération du Gabon », survenue le 30 août 2023, il se dit que vous n’avez pas une totale confiance aux autorités actuelles, pensez-vous mettre un terme à votre exil ?
AMM : Au lendemain du Coup d’Etat, interviewé par RFI, j’ai exprimé mon intérêt et ma satisfaction de la situation nouvelle du Gabon. La totale confiance est un état de satisfaction absolue qui n’exclut pas une vigilance de tout instant. L’exil est une situation déchirante de douleur.
Le rêve d’un exilé, c’est le retour dans son pays. On ne s’habitue pas à l’exil et l’exil intérieur est source d’angoisse. Puisse l’Eternel Dieu de générosité créer les conditions de la fin de mon exil et laver du sang du Christ Rédempteur la haine, la peur et les illusions entretenues par des esprits malveillants.
Vous avez été maire de Mouila, votre ville d’origine, penseriez-vous jouer de nouveau un rôle politique dans le chef-lieu de la province de la Ngounié ou même dans la province ?
AMM : J’ai écrit un livre qui a pour sous-titre « Mouila, ma ville, ma vie ». C’est dire que je ne peux pas abandonner Mouila, tant que je vis. Pas plus que je ne peux me détourner de la Ngounié, de la Nyanga, du Gabon et des Peuples Kongo. La politique innerve la vie culturelle, sociale et économique de tout pays..
Réussite ou échec, que pensez-vous de l’actuel régime de transition au Gabon ?
AMM : Laissons le régime de transition exécuter son agenda. On le jugera
Votre regard sur l’ensemble de l’actuelle scène politique du Gabon et quelles sont vos attentes du régime militaire ?
La scène politique gabonaise est riche par sa diversité, mais elle souffre d’un certain nombre d’atavismes qui rendent le changement politique précaire.
Actuellement le référendum pour la nouvelle constitution domine le débat politique au Gabon, vous qui êtes hors des frontières nationales, comment percevez-vous les textes en discussion ?
AMM : Avec le recul et la prudence qu’impose l’exil, je suggérerais que nous attendions la dernière mouture qui sera arrêtée par les dernières instances.
Vous avez créé avec des membres de la diaspora gabonaise et africaine une association transnationale L’Institut Yanga-Nzinga que vous présidez.. Quels en sont les objectifs et les enjeux ?
AMM : L’Institut Yanga-Nzinga est une ONG, à caractère international, scientifique, économique et culturel qui promeut l’unité des peuples Kongo et fédère les intelligences .Il regroupe des personnalités de renom du monde universitaire et scientifique, du monde artistique et culturel, des milieux économiques et politiques et des notabilités traditionnelles.
Il vise à créer un espace de rencontre de l’intelligentsia Kongo avec les décideurs publics, le monde de l’entreprise, la jeunesse, la société civile, en vue de rassembler les peuples Kongo d’Afrique et des diasporas, célébrer leur histoire et promouvoir leur culture et leur environnement.
Les impératifs du développement endogène de l’Afrique commandent ce retour aux sources et une inscription de notre culture comme clé de voûte de politiques publiques tournées vers le futur.
C’est par la prise de conscience, l’éveil de la conscience de l’univers Kongo que commence la renaissance des peuples Kongo, afin que de l’intelligence collective émanant des Rencontres Kongo émergent des projets au service de la collectivité et de la restauration de sa dignité et de son unité.
Quel est votre message à l’endroit des Gabonais ?
AMM : - Que les hommes politiques arrêtent d’exploiter l’ignorance de l’opinion pour nuire à mon image et se forger une réputation au service de leurs ambitions égoïstes, voire étriquées.
Que les Gabonais développent une capacité critique de discernement, face à toute information m’impliquant dans les actes délictueux de gestion, alors qu’un non-lieu a déjà été prononcé.
Que l’Etat gabonais apporte son appui total à l’Institut Yanga-Nzinga pour lequel je consacre l’essentiel de mon temps et qui œuvre pour faire de la culture la clé de voûte d’un développement endogène.
Propos recueillis par Phillipe Makinalok
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