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Tribune Libre

Violations des libertés publiques au Gabon : l’injustice aggravée a désormais ses symboles

Violations des libertés publiques au Gabon : l’injustice aggravée a désormais ses symboles
Violations des libertés publiques au Gabon : l’injustice aggravée a désormais ses symboles © 2015 D.R./Info241

Noël Bertrand Boundzanga, chercheur universitaire, au nom du Club 90, pour une majorité citoyenne, qu’il préside, s’indigne ce vendredi à Libreville, dans une tribune libre contre les violations des libertés publiques, les abus du pouvoir, les actes anticonstitutionnels perpétués depuis 1967 par l’Etat-PDG et qui se sont accentués depuis 2009, sous la présidence contestée d’Ali Bongo.

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Ceci, à travers, le musellement de la presse libre. Mais surtout, l’action mortifère d’une police criminelle racketteuse, envers les femmes commerçantes dénudées ignoblement. Dont les décès de Mboulou Beka et de Béranger Obame Ntoutoume (23 ans), jeune commerçant gabonais décédé à Libreville en sont la résultante. Et la parfaite illustration.

Lisez dans ces lignes satiriques envers le pouvoir du Bord de mer, le cri d’alarme d’un peuple qui a trop souffert de ces injustices. Le Gabon devient pour l’universitaire un pays insécure, où le sommet de l’Etat brille par des actes de faux usage de faux, de délits d’initié, de détournement des deniers publics (la holding familiale des Bongo Ondimba, Delta Synergie) qui ont fait le lit de l’insécurité institutionnelle au-delà de celle grandissante dans tous les quartiers urbains, dont Libreville est le paroxysme.

Le Gabon, pour le Club 90 (Pour une majorité citoyenne), est un pays où l’injustice généralisée a pris le pas, sur les libertés publiques, les droits humains, le respect de la dignité humaine, les valeurs républicaines, la loi fondamentale, dont le chercheur se fait l’héraut d’un rétablissement urgent. Pour que le Gabon devienne une véritable République, qui fût autrefois respecté et envié. Dans les paragraphes suivants, retrouvez l’intégralité de cette tribune libre.

Trois événements m’interpellent ; j’en suis indigné. Des commerçantes ont été vues nues dans les réseaux sociaux en situation de maltraitance et d’humiliation publique au motif qu’elles ne se seraient pas acquitté du paiement d’une quittance de je ne sais quelle nature. Enfermées dans les geôles de la police pendant environ un mois, elles ont été ensuite condamnées par la justice à trois mois de prison avec sursis.

La même police serait impliquée dans l’immolation du jeune étudiant de sociologie, Bérenger Obame Ntoutoume, commerçant à ses heures perdues, pour soutenir sans doute ses études. La confiscation de sa marchandise l’aurait exaspéré au point de s’immoler par le feu. Il en est mort quelques jours plus tard. Qui chercherait encore des insurgés, les trouverait au moins dans le nom de Berenger Obame Ntoutoume et des femmes dénudées.

Enfin, loin des marchés et des tracasseries policières, l’hebdomadaire La Loupe est mis à l’index par le Gouvernement qui s’est fendu d’un communiqué l’accusant de susciter la xénophobie, la haine et la désobéissance civile. Et d’ici quatre matins, le Conseil National de la Communication et autre Procureur de la République pourraient mettre leurs mains dans la patte pour donner un coup fatal à l’irrévérencieux journal.

D’un côté donc, des commerçantes face à des policiers ; des humiliations, des coups de matraque, le feu, la prison, la maltraitance des femmes et d’un jeune unis dans le commerce. De l’autre, un journal face au gouvernement ; la veille informative contre la terreur lexicale, et bientôt contre la machine judiciaire. En tout, des commerçants et la presse face à l’institution publique. Ils sont tous accusés de troubles à l’ordre.

Et alors que le Front des indignés voudraient organiser une marche pacifique pour soutenir les femmes victimes de maltraitance policière, la même police leur apprend que la route appartient au Régime et qu’ils ne peuvent donc l’emprunter sans son consentement. L’abus du pouvoir et le pouvoir de l’abus, tout ensemble, pour empêcher la libre expression d’opinions.

Le trouble à l’ordre public

Avant toute chose, il me faut m’acquitter du devoir de respect à l’égard du service public pour lequel je suis moi-même agent. Le policier comme le ministre agissent en tant que dépositaires de l’autorité publique et la finalité de leurs actions est le maintien de l’ordre public autant que de la vie nationale. C’est du moins ce qu’on en attend et ce qu’ils prétendent faire. Mais… parce qu’il y a un « mais », l’ordre brille chez nous par son absence.

Outre l’insécurité dans les quartiers, il y a désormais l’insécurité institutionnelle. Et c’est donc le désordre qui sévit ici, au point de se demander à quelles conditions les actions policières et les propos du ministre de la Communication sont-ils dans l’ordre. L’ordre public se caractérise par la paix, la sûreté et la sécurité publique ; mais elle n’est pas réductible à l’espèce de tranquillité publique apparente ! Les femmes qui se sont dénudées ont sans doute commis un attentat à la pudeur, mais les policiers qui les ont maltraitées ont ostensiblement méprisé la dignité humaine. Ceci a causé cela.

En plus, parce que ce sont des femmes, symboles de la maternité allaitante, c’est-à-dire un symbole de notre République, on aurait jamais dû leur infliger un tel traitement public et des conditions exécrables d’incarcération. Le médiateur de la République, si elle peut être une, Laure Olga Gondjout, ainsi que l’Union nationale ont requis des sanctions exemplaires contre les policiers.

Peut-être faut-il rappeler à ces derniers, ainsi que le garantit la Constitution de la République gabonaise, que « Nul ne peut être humilié, maltraité ou torturé, même lorsqu’il est en état d’arrestation et d’emprisonnement », et que nous devons « agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité », selon l’article premier de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Quant à l’étudiant, l’évidence des choses nous oblige à reconnaître qu’il est victime du harcèlement des policiers, à la suite des femmes de l’ancienne Gare routière.

Tous sont victimes du trouble à l’ordre public orchestré par la puissance publique. Et puis, il y a cette affaire d’Etat qui fait trembler la République, celle de La Loupe qui aurait troublé l’ordre public, en écrivant qu’il n’y aura plus de Gabonais dans vingt-cinq ans ».

Le désordre engendre le désordre

Pour qu’il y ait ordre public dans un Etat de droit, il faut une hiérarchie des normes, une séparation des pouvoirs et une égalité des sujets devant la loi (droits fondamentaux). Notre pays brille par la confusion des normes, le mélange des pouvoirs et l’inégalité des sujets devant la loi. La puissance publique est donc la première à initier le trouble à l’ordre public. En conséquence de quoi, elle ne peut évoquer, pour condamner La Loupe et les femmes dénudées, la règle juridique, puisqu’elle-même ne la respecte pas.

Pour lui donner une garantie de légalité et de légitimité, la puissance publique a le devoir de se plier devant la loi. Or, sous le Régime qui nous dirige malgré nous, l’Etat est au dessus de la loi. Comment voudrait-on donc qu’on se soumette à l’autorité de celui qui est le premier à bafouer la loi ? Ceux qui troublent l’ordre public sont ailleurs. Ils sont au moins dans une alliance interdite, d’un président de la République qui pilote la rente Delta Synergie, qui peut faire du faux et usage de faux, dans une justice qui ne voit pas cette faute, dans une Assemblée nationale qui regarde passivement et dans une Cour constitutionnelle qui cautionne autant de brouilles.

Et peut-on s’imaginer l’ampleur des trafics d’influence, de conflits d’intérêts, de concurrence déloyale et de l’enrichissement illicite ? Et l’on voudrait abusivement faire passer un journal, La Loupe, pour fauteur de troubles, alors que le quotidien de ce Régime est un trouble à l’ordre public permanent ? La principale faute de La Loupe est sans doute de rappeler à ce Régime qu’il est un danger pour lui-même, un danger pour les autres et un danger pour la République. On pourrait gloser sur de fâcheuses associations d’images, sur son goût pour le sensationnel, mais on ne peut nier qu’il est une alternative à l’information donnée par les médias d’Etat, tous sous l’emprise du Régime.

D’autres journaux, à l’exemple d’Echos du Nord (presse écrite), Info241 (presse en ligne), Gabonreview (presse en ligne) et TV+ (presse audiovisuelle) constituent également une terre de liberté et d’informations variées, mais une certaine Ordonnance n°18/PR/2015 du 11 août 2015 pourrait les frapper bientôt également. On voudrait les comparer à Radio Mille Collines pour produire des effets inattendus et justifier l’injustice. Il faut bien connaître l’histoire du Rwanda pour comprendre le lien entre cette radio et la tragédie qu’il y a eue dans ce pays.

D’ailleurs, si on voudrait prévenir de telles dérives, il faut faire en sorte que la puissance publique tire sa légitimité du consentement du peuple. Or ce n’est pas le cas aujourd’hui. Malgré toute la sympathie qu’on voudrait avoir pour Bilie-Bi-Nzé, ministre de la Communication et Porte-parole du gouvernement, les multiples transfuges qui jalonnent son histoire politique, ne lui donnent ni l’élégance ni la justesse d’esprit pour faire une telle lecture des événements.

Qui vole à l’Etat, vole au peuple. Dans les hautes sphères de la République, on ne peut pas dire que les deniers publics aient toujours emprunté le chemin orthodoxe et l’objet pour lequel ils ont été affectés. Les détournements de fonds et de biens publics sont monnaie courante et constituent un trouble à l’ordre public. Et quoi qu’on ait créé des structures de lutte contre l’enrichissement illicite et qu’on ait organisé mille séminaires contre ce fléau, ni policiers ni justiciers ne peuvent se déclarer exempts de toute complicité, d e toute indifférence, ni même parfois d’activisme dans le crime qu’ils condamnent pourtant.

Bien sûr qu’il faut une efficacité du service public, des nouveaux modèles de management du service public opérant avec des moyens pour des résultats définis, mais bien faire son travail ne signifie pas agresser les usagers et les menacer. On ne peut demander aux femmes qui vendent des tomates de payer au quotidien des amendes qui n’en fissent jamais. Sinon on fait du harcèlement. Le service public est, à l’égard des commerçantes, coupable de harcèlement. Et les femmes doivent être entièrement acquittées.

On ne peut pas voler au peuple en haut, dans les budgets publics, et les voler encore en bas dans leurs petits commerces. C’est une évidente double infraction que ni la police nationale ni l’institution judiciaire ne peuvent ni ne doivent tolérer.
Si dans les hautes sphères de la République, on peut cambrioler sans risque d’être puni, pourquoi dans les simples sphères, on ne ferait pas autant ? De toutes les manières, selon une culture devenue tradition, « le mouton broute où il est attaché ».

Tel est le credo de milliers d’agents publics et de services publics qui créent des recettes parallèles et des extorsions de fonds, déniant à l’Etat central l’organisation des recettes publiques et leur recouvrement. Normal, quand l’ordre brille par son absence, il n’y a pas d’Etat. On ne peut donc pas s’étonner que des policiers, sans aucun sentiment de culpabilité, traque les commerçants et les taximen pour réclamer leurs pains quotidiens. C’est une culture qui se retournera infailliblement contre notre société.

Le totalitarisme est un mal en soi

Le Régime est devenu totalitaire ; il en a toujours été ainsi depuis au moins 1967. Le totalitarisme est pour moi le fait de s’assurer sa présence dans tous les organes, dans la micro-société comme dans la macro-société, aux fins de les contrôler et de les conduire selon sa convenance. Le totalitarisme débouche sur une ubiquité institutionnelle de l’homme au pouvoir lorsqu’il transforme l’Etat en un régime et qu’il place dans chaque pan de cet Etat un de ses représentants.

Tout le pays est ainsi gangrené des représentations du chef de l’éxécutif. Faut-il illustrer un propos qui est une évidence ? Oui, quand même, parce qu’il y en a qui refuse de voir les évidences ou qui, avec juste intelligence, doutent des évidences. A la Cour constitutionnelle, on place une maman ; à l’armée, on place tel parent ; à tel autre endroit, on positionne tel ami ou tels beaux-parents… Une République de la parentèle qui refuse aux hommes libres tout accès aux fonctions publiques.

Le désir de tout contrôler donne lieu à la violence, parce que le totalitarisme est une violence. Comme il y aura toujours des récalcitrants dans le système, le désir totalitaire essayera toujours d’éliminer ces récalcitrants, semant ainsi la violence et créant aussi parallèlement les germes d’une contestation systémique. Et c’est ce qui a commencé. C’est un mouvement irréversible qui finira par la chute du Régime. Car non seulement les représentants peuvent commettre plus de violence qu’il n’en faut, et c’est le cas des policiers aujourd’hui, mais en plus ils peuvent en devenir incontrôlables.

Leur pagaille rencontrerait alors la vive colère citoyenne qui, lasse de tolérer l’impunité et les fouets qui s’abattent sur de paisibles enfants du pays, rompra avec le laisser-faire, le « on va encore faire comment ? ». Une justice qui a renoncé à son impartialité ne défend plus la Justice et se risque à toute contestation. Quand la justice ne reflète plus la Justice, quand elle n’est plus qu’un bras séculier du Régime, elle cesse d’être un rempart pour les usagers. Les femmes qui se sont dénudées ont cessé de croire en la justice et à la capacité des forces de l’ordre d’établir l’ordre. On les soupçonne de travailler pour leur propre bien comme s’ils travaillaient en dehors du cadre légal, quand ils ne travaillent pas pour le Régime.

Qui menace vraiment l’ordre public au Gabon ? Le Régime ne peut continuer à prospérer en pensant qu’il a le monopole du Mal. Il y a partout, des gens bien et des gens mauvais. Asséner des coups tordus à La Loupe sous prétexte qu’il est un danger à l’ordre public, c’est manquer de se voir soi-même. Des décisions arbitraires sont prises et l’on pense que ça ne blesse personne ! Le pays est sous tension et il faudra bien que nous lavions ensemble le linge sale ; il n’y a pas d’un côté ceux qui sont nés pour commander et profiter des richesses nationales et, de l’autre, des gens qui ont les gênes de la soumission et qui passeraient leur existence à regarder et subir les autres.

Ce n’est pas bien grave si le Régime en venait à nous tuer, nous autres – la terre ne refuse personne-, mais s’assurera-t-il une sérieuse tranquillité ? Ce Régime est en soi un trouble à l’ordre public ; il ne représente pas les intérêts de l’Etat. La violence qu’elle exerce au nom de l’Etat est illégitime et mérite donc qu’on refuse de se soumettre à sa loi. Nous sommes victimes d’un système de rente qui fait croire qu’il agit pour l’ordre public alors qu’il agit pour ses intérêts. Et l’on voudrait qu’on se taise en subissant le monde comme s’il ne nous appartenait pas à nous tous ! Un jour, il faudra bien qu’on sorte du despotisme et qu’on consente à faire de notre pays une démocratie et un Etat de droit.

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