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Gabon : la post-colonie cherche à se réinventer une nouvelle identité sous la coupole de deux maîtres ?

Gabon : la post-colonie cherche à se réinventer une nouvelle identité sous la coupole de deux maîtres ?
Gabon : la post-colonie cherche à se réinventer une nouvelle identité sous la coupole de deux maîtres ? © 2023 D.R./Info241

Dans cette analyse, Jean-Stanislas Wamba chercheur à l’Institut de recherche en sciences humaines (IRSH, CENAREST), revient sur la tentative du Gabon de se réinventer à l’ère post-coloniale avec la France et le Royaume-Uni. Pour ce spécialiste de la post-colonie, le modèle gabonais semble "une forme de mise en « rivalité mimétique » de deux maîtres, francophonie et anglophonie". Lecture.

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Le Gabon est une des anciennes colonies françaises en Afrique équatoriale, qui accède à la souveraineté internationale en 1960. Riche en matières premières, la post-colonie est longtemps demeurée fidèle à l’Hexagone aussi bien sur le plan économique, politique que culturel. Entre continence des frustrations et aspiration à une nouvelle identité ; sans forts liens historiques avec le Royaume-Uni, son adhésion au Commonwealth, sous le regard réservé et méfiant de la France, ancienne puissance colonisatrice, amène à poser la question de savoir si le sujet subalterne peut désormais librement parler, pour paraphraser Gayatri Chakravorty Spivak de son texte Can the Subaltern Speak. [1]

La continence des frustrations 

Quelle est la teneur des grandes rencontres internationales de la taille du Sommet sur l’environnement tenu ce 01 mars 2023 à Libreville ? Le choix du Gabon pour abriter ces échanges est pourtant un honneur pour le pays, le témoignage de l’estime que lui partage le monde entier, en termes de contributeur majeur dans le débat sur l’impératif du réchauffement climatique et l’urgence écologique qui s’imposent et menacent la planète. Problématiques importantes en ces temps de prise de conscience. La question environnementale étant portée au plus haut niveau par les institutions étatiques gabonaises, le pays absorbe près de 140 tonnes de CO2 par an selon les statistiques officielles. Le Gabon est ainsi répertorié par les Nations-Unies comme l’un des points du globe convenable à la préservation de la biodiversité dans le bassin et la forêt du fleuve Congo.

Seulement, la forte présence des grandes figures occidentales représentées au plus haut niveau ne nourrit pas moins chez le sujet subalterne africain suspicion de collusion et d’adoubement des pouvoirs supposés autocrates africains. Comment comprendre cette contradiction ? Au fond, c’est parce –que, et cela plus globalement, la relation post-coloniale entre l’Afrique et les puissances colonisatrices se nourrit toujours des apparences officielles de soumission à un ordre, d’obéissance à la volonté des puissants ; alors même que l’ancien sujet colonisé ne rechignerait que rarement à contester cet ordre qu’il juge dorénavant désuet. Il y a ainsi camouflage des malaises lors des rencontres officielles post –coloniales, en dépit des convenances sociales et les bienséances imprimées dans les sourires des grands jours.

Pourtant, en se positionnant entre le Royaume-Uni par son adhésion au Commonwealth et la France, l’ancienne puissance colonisatrice, la post-colonie gabonaise tente une métamorphose de son identité. C’est le nouveau creuset dans lequel elle voudrait ainsi se réinventer. Se trouvant désormais dans l’entre-deux visions, deux regards : francophone et anglophone. En ce doublage de postures et de langages, le Gabon ne cherche pas moins à brouiller le caractère univoque du récit colonial imposé par la France, en incluant dans son avenir le projet anglophone, dévoilant ainsi les impensés des discours officiels beaucoup plus axés sur l’idée de nouvelles opportunités économiques, politiques, sociales et culturelles à saisir. 

Cependant, sans pour autant tourner totalement le dos à la France, pays colonisateur, l’hypothèse est qu’en s’ouvrant au-delà des limitations géographiques héritées de la conférence de Berlin [2] et imposées au sujet anciennement dominé, la post-colonie gabonaise semble imposer pour se réinventer son identité, un nouvel ordre et une nouvelle géographie des territoires, en devenant une sorte « d’espace-tiers » - ( Third Space chez Homi Bhabha), campé entre la France et le Royaume-Uni et érigé en site de négociation politique et économique.

Ainsi, si le Gabon n’aspire nullement à rompre les forts liens historiques avec la France, toujours est-il que par la proximité avec le Royaume-Uni, proximité désormais entérinée, comme tout subalterne, le pays ne cherche pas moins à conquérir des marges d’autonomie avec le risque d’empiéter les limites de la ruse, de camouflage et de la dérobade ; ceci aussi bien vis-à-vis de la France mais également à l’endroit de son nouveau partenaire. L’enjeu étant de ne se soumettre complètement ni à l’influence prépondérante de l’une, ni à celle de l’autre, mais tout en se gardant d’offusquer chacune des deux puissances. Il faut donc se ranger commodément sous la coupole des deux souverainetés, risquant ainsi l’épithète de subversion.

La quête d’une nouvelle identité. Une conduite subversive ?

Se loger sous la voute de deux dominants. Une conduite à première vue subversive sur le plan politique, et qui risque de révéler l’insatisfaction du premier maître, la France. Pourtant, en jouant officiellement sur deux tableaux en tous points, ce positionnement lui donne d’emblée l’opportunité d’inscrire plus librement le débat de son avenir. Autrement, pour se réinventer politiquement, le Gabon doit se forger une culture de doublage et de ruse. En effet, quand la prégnance de la présence du premier maître est telle qu’elle empêche le sujet subalterne de s’épanouir plus ouvertement et selon ses propres aspirations, l’ancien sujet colonisé a tendance à ruser par des mécanismes de « transfert » de la protection du champ du premier maître vers le champ du second maître. Cela explique peut-être le dessein pour le Gabon de se créer des voies parallèles d’appuis politiques hors du giron décisionnel hexagonal.

Sur le plan culturel par exemple, l’ancienne colonie qui adopte constitutionnellement le français comme langue officielle de travail et du commerce peut dès lors devenir bilingue en incluant la langue de Shakespeare ; rusant ainsi avec l’hégémonie de la langue française et subvertissant au passage le préambule de sa propre Constitution du 11 octobre 2000 qui dispose que : « La République gabonaise adopte le français comme langue officielle de travail ». [3] Ainsi, à l’instar des mouvements de revendication ou d’affirmation identitaire, il semble s’agir pour la post-colonie gabonaise et pour paraphraser Gérard Genette, une forme de mise en « rivalité mimétique » de deux maîtres, francophonie et anglophonie, ce qui permettrait à l’ancienne colonie de se mouvoir plus librement mais en risquant l’auto-censure.

Entre deux maîtres et l’auto- censure 

Il est illusoire de penser que l’appui souhaité du nouveau maître s’obtiendrait sans renoncement à penser pour soi ou de façon critique. La post-colonie est alors contrainte à évoluer dans une forme d’auto-censure, d’inconstance et d’ambivalente ; ce qui lui permettrait de ménager sa relation avec les deux maîtres. En effet, l’étroitesse des liens historiques avec l’ancienne puissance colonisatrice d’une part, l’espoir suscité par des nouvelles opportunités consécutives à l’adhésion au Commonwealth d’autre part, font que les déceptions des uns, les rancœurs des autres, ne se manifesteraient plus que de façon indirecte, à l’arrière-plan, dissimulées dans des conduites de courtoisie réciproque et rassurante ; dans des marques de convivialités qui animent l’esprit des grands-messes pour pouvoir ainsi contenir les frustrations et avoir la foi en l’avenir.

La foi en la nouvelle relation : une religion encore sans Livre ni théologie pour le citoyen ordinaire

Pourtant, la France, ancien pays colonisateur aiguise toujours une réelle attraction aussi bien dans les imaginaires populaires que la vie courante en termes de destination privilégiée pour des raisons d’études, de santé, de tourisme. Par contre, le lien avec le Royaume-Uni n’est pour l’heure qu’une sorte de religion sans Livre ni théologie dans l’entendement des masses périphériques ; celles-ci ne disposant pour le moment ni supports ou repères culturels assez élaborés, ni outils didactiques nécessaires et largement démocratisés, permettant de se passionner pleinement de cette nouvelle idylle. Il faudrait donc encore assez de pédagogie pour le citoyen périphérique, c’est-à-dire le Gabonais des marges. En d’autres termes, la mise à la disposition des passeurs, médiateurs et autres éducateurs d’un appareillage épistémique pour mieux négocier les mécanismes d’appropriation de cette nouvelle autre part de ce qui ferait désormais l’identité gabonaise (apprentissage de la langue de Shakespeare, formation des élites, etc. ), et espérer ainsi une meilleure négociation politique et symbolique des différences culturelles entre la France, le Royaume-Uni et le Gabon et ainsi espérer de forts compromis de part et d’autre entre les trois partenaires.

 Jean-Stanislas WAMBA , Spécialiste de Littérature et Postcolonialisme . Chercheur-enseignant au Département de Littérature, Langues et Communication appliquées à l’Institut de Recherche en Sciences Humaines, CENAREST, Libreville- Gabon. ngadimif@yahoo.fr

 
 


[1] Gayatri Chakravorty Spivak : « Can the Subaltern Speak ». In Cary Nelson et Larry Grossberg (éds.), Marxism and the Interpretation of Culture . Illinois 1988, p. 271-313.

[2] Conférence du 26 février 1885 à l’initiative du prussien Otto Von Bismarck et qui aboutit à la répartition politique de l’Afrique par les puissances occidentales .

[3] Constitution de la République Gabonaise révisée en 2010 par la Loi n°13/2003 du 19 Août 2003. Loi N° 3/91 du 26 mars 1991 modifiée par la loi N° 1/94 du 18 mars 1994. La loi N° 18/95 du 29 septembre 1995. La loi N° 1/97 du 22 avril 1997 et la loi du 11 octobre 2000 au titre premier de la République et de la souveraineté à l’article 2

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