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Austérité : Quand le gouvernement gabonais sacrifie la jeunesse diplômée sur l’autel de la mal gouvernance

Austérité : Quand le gouvernement gabonais sacrifie la jeunesse diplômée sur l’autel de la mal gouvernance
Ali Bongo face aux étudiants de l’Université Omar Bongo en mars 2013 © 2018 D.R./Info241

Dans cette tribune libre, Cyr Pavlov Moussa-Moussavou analyste politique et expert en sociologie des usages et comportements numériques revient pour Info241 sur l’une des nombreuses mesures d’austérité prises par le gouvernement gabonais : le gel de concours d’entrée dans les écoles de formation et de perfectionnement des agents publics au Gabon. Pour l’universitaire qui s’interroge sur les conséquences d’une telle décision sur l’employabilité des jeunes diplômés, sur la nécessaire adéquation emploi-formation avant d’esquisser des pistes envisageables pour faire de ces futurs chômeurs diplômés des « entrepreneurs » pour échapper à la « clochardisation » qui les guette plus que jamais. Analyse.

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« Les tam-tams se sont tus ». C’est sous le titre de cette œuvre cinématographique gabonaise que nous débutons ce qui, est-il utile de le préciser d’entrée de jeu, n’ambitionne guère d’être un énième pamphlet aux relents partisans contre les mesures d’austérité récemment adoptées par les autorités gabonaises à la suite du Conseil des ministres du 21 juin 2018. Aussi invitons-nous le lecteur à nous apprécier rigoureusement certes, mais surtout à l’aune du contexte particulier de la mesure portant gel des concours d’entrée dans les écoles de formation et de perfectionnement des agents publics ; cette mesure qui en n’en point douté, inscrit l’avenir de nombreux jeunes diplômés sur les rails de l’incertitude ou bien pis, vers une mendicité sociale certaine.

A travers l’évocation des tam-tams Bantu en effet, nous voulons mettre en exergue ou symboliser l’"espoir" ; l’espoir de trouver un emploi décent pour ces milliers de jeunes disqualifiés du point de vue de leurs origines sociales, et inscrits à l’université Omar Bongo (UOB) par exemple, cette institution décrite à tort ou à raison comme « l’université des enfants de pauvres ») ; et qui, à l’image d’une « école gabonaise faite pour échouer » [1], devient une véritable fabrique du chômage.

I.Des offres de formation universitaire inadaptées aux besoins actuels du marché de l’emploi

Cette section trouve sa justification dans le fait de présenter le contexte au sein duquel intervient la mesure gouvernementale évoquée préalablement ; un contexte marqué par la présence de nombreuses cohortes de diplômés issus des universités publiques gabonaises, et en proie aux affres du chômage, comme l’indique ce propos de l’actuel recteur de l’UOB : « (…) nous formons des jeunes, mais nous sommes au regret de constater que nous formons des chômeurs. » [2]

Et le tableau s’assombri davantage lorsqu’on observe que nombre d’institutions scolaires continuent sous le « regard complice » de l’Agence nationale des bourses du Gabon (ANBG), de faire le choix du non-emploi, de la « clochardisation » de la jeunesse ; le choix de l’anti-république par conséquent, en proposant aux étudiants des offres de formations qui n’ont plus aucun échos (en termes de débouchés), sur le marché de l’emploi. Procurons une armature empirique à cet énoncé en convoquant les propos de l’actuel ministre des petites et moyennes entreprises du Gabon : « nos jeunes sont diplômés, mais pas en conformité avec les besoins du marché. » [3] Eclairons davantage cette situation en convoquant le témoignage de cet autre étudiant : «  (…) il y a de cela deux mois, j’écoutais RFI [4] , et l’émission avait pour thème « l’éducation et la formation en Afrique  ». Je fus très choqué lorsque le spécialiste invité déclarait qu’ « en Afrique on forme un bataillon de sociologues qui se retrouvent au chômage au terme de leur formation.  » [5]

Les propos du spécialiste ici rapportés par notre enquêté (étudiant) ont certes une portée globale, mais nous avons pu en faisant du terrain, nous rendre compte que cette observation épouse parfaitement les contours spécifiques de la réalité « uobienne » [6] en général, et du département de sociologie en particulier.
Dans ce contexte du « former pour chômer », les écoles de formation et de perfectionnement des agents publics constituent désormais des « écoles de la dernière chance » pour de nombreux jeunes diplomés en quête d’un emploi décent.

II. Quand le gel de concours entrave la possibilité d’avoir un emploi décent pour de nombreux jeunes diplômés

Peut-on prétendre aimer notre pays le Gabon, et soutenir que les mesures d’austérité récemment prises par le gouvernement sont toutes « salutaires » ?
En effet, s’il est de notre devoir en tant que citoyen, d’apprécier objectivement le bien-fondé de certaines mesures gouvernementales, nous devons dans ce même élan reconnaitre qu’il y en a, au titre de ces décisions politiques, certaines qui malheureusement ne vont pas dans le sens d’apporter des réponses à des problématiques d’ordre social tel que le chômage des jeunes.

Bien au contraire, des mesures comme celle optant pour le gel des recrutements à la Fonction publique ou pour ce cas précis, celle relative à l’inorganisation des concours d’entrée dans les écoles de formation et de perfectionnement des agents publics sont « antirépublicaines » (pour le dire sans détour aucun), car elles démontrent que le gouvernement a ainsi fait le choix de laisser certaines franges de la population au bord de la route. Et au nombre de ces catégories populaires désormais « laissées pour compte » ces trois (3) prochaines années, l’on dénombre de milliers de jeunes diplômés, et souvent affrontés à un état de misère matérielle et financière accrue. Cette situation désespère plus d’un, comme cela transparaît d’ailleurs dans les propos de ce membre de la fédération des étudiants gabonais de France (FEGAF) : « trois ans sans recrutements dans la Fonction publique gabonaise ? Mais on fait comment après nos thèses, notamment pour ceux qui sont en dernière année, ou pire encore, ceux qui viennent de terminer ?  » [7]

Ainsi donc, la problématique de l’emploi des jeunes aurait- elle cessé d’être une priorité pour le gouvernement gabonais ? Sinon, pourquoi condamner nombre de jeunes diplômés à une « misère de position » trois années durant ? Quelles chances ont ces cohortes de diplômés sur un marché de l’emploi de plus en plus réduit et visiblement affecté par l’effet boomerang occasionné par la récente crise économique qui a touché le pays ?

III. Un marché de l’emploi très réduit et de plus en plus exigeant

Une récente enquête menée par le cabinet de recrutement AltEmploi Gabon révèle (au titre de ce qu’ « attendent réellement les responsables RH par rapport à un dossier de candidature »), que la formation ne compte que pour 14,8%, alors que l’expérience professionnelle en tant que critère de sélection, culmine à 71,8% [8]. Nous pouvons donc déduire que les « demandeurs d’emploi » ont désormais de moins en moins de chances, car seuls les « offreurs de compétences » se partagent le nombre très réduit de places disponibles au sein de l’ « unique » secteur susceptible de proposer des emplois présentement, en lieu et place de la Fonction publique ; à savoir le secteur privé.

Et parmi ces demandeurs d’emploi en position défavorable se trouvent de nombreux jeunes diplômés issus des universités publiques du Gabon ; ces étudiants qui subissent leurs formations loin de toute expérience professionnelle liée à leur domaine d’études.

Et à ce sujet, il nous a été donné de constater que de nombreux d’établissements supérieurs continuent là encore, de former des jeunes sans établir préalablement un ou plusieurs partenariats de stage avec des administrations publiques ou privées. D’où la question de savoir comment acquérir cette expérience professionnelle tant recherchée par les recruteurs, lorsqu’aucun stage-école ne nous est proposé durant notre formation.

En effet, seules quelques institutions universitaires (du secteur privé pour l’essentiel) semblent se conformer à cette exigence devenue majeure sur le marché actuel de l’emploi. Or, l’accès à ces établissements supérieurs privés coûte excessivement cher ; et rares sont ces familles gabonaises capables d’y inscrire leurs enfants.
En synopsis, les places deviennent de plus en plus rares, et le facteur chance quasi inexistant pour de nombreux demandeurs d’emploi, fautes de formation adaptée et d’une expérience professionnelle attestée.
Aussi le gouvernement gabonais encourage-t-il les jeunes à opter pour l’entrepreneuriat.

IV. L’entrepreneuriat des jeunes : un outil de propagande politicienne ?

Référence faite au site d’informations Gabonactu.com qui, dans sa parution du 1er juillet 2018, nous a faisait savoir ce qui suit : « Wabouna, le mouvement des entrepreneurs engagés dit oui aux mesures d’austérité ».

En effet, si nous applaudissons le dynamisme qui caractérise ces compatriotes (à la lumière des différentes actions menées sur le terrain) il nous parait toutefois juste de nous interroger dans le cadre cet article, sur l’objectivité, ou plus encore sur la « sincérité » d’une telle motion de soutien, lorsque nombre de publications faites sur les réseaux sociaux en ligne nous rappellent que certains de ces jeunes qui aujourd’hui constituent la fine fleur de l’entrepreneuriat au niveau local, avaient ouvertement soutenu l’actuel chef de l’Etat lors des élections présidentielles de 2016, et/ou sont actuellement membres de l’AJEV [9] ; cette association que nombreux observateurs considèrent aujourd’hui comme la plus grande force politique engagée auprès de la première institution politique du pays.

Doit-on y voir là un véritable soutien empreint de sincérité ? Ou plutôt une simple correspondance avec cette célèbre maxime : « je chante celui dont je mange le pain ! »

Et que dire de l’actuel président du conseil national de la jeunesse qui, lors de son récent passage sur le plateau de Gabon 24, a également préconisé l’entreprenariat au titre des réponses pour lutter contre le chômage des jeunes. Nous déplorons là encore le fait que le « premier » porte-parole de la jeunesse gabonaise a étrangement omis de nous dire ce que le CNJ pose comme actions sur le terrain, afin d’emmener de plus en plus de jeunes à se dire à la suite du coach Luc ONDIAS SOUNA : « c’est possible ! »

Poursuivons avec un autre fait, en évoquant la « confiscation » dont la semaine mondiale de l’entrepreneuriat (Édition 2018) a récemment été objet.
Invité sur les antennes d’une radio locale en effet, le président de l’ONG Agir Pour une Jeunesse Autonome (APJA) [10] s’était offusqué du fait que certaines personnalités politiques avaient profité de cette semaine dédiée à l’entrepreneuriat pour se mettre en avant, à travers notamment leurs visites fort médiatisées, dans certaines institutions scolaires de la capitale ; du Lycée national Léon Mba en passant par l’Institut Immaculée conception.

Cette forte collusion entre le domaine entrepreneurial et les personnalités politiques proches du pouvoir éveille toutes sortes de suspicions, car pour le commun de gabonais, il est quasiment impossible de se réaliser dans ledit domaine sans pourtant être proche du régime politique en présence. Toute chose que le mouvement des entrepreneurs engagés "Wabouna" semble entretenir indirectement, car nombre de ses figures de proue sont dans l’imaginaire collectif présentés et décrits comme des fervents soutiens de l’actuel chef de l’Etat.

Quelques propositions :

Nous allons pour conclure, proposer (en termes de plaidoyer), quelques pistes de réflexion qui pourraient emmener les jeunes gabonais à tourner le dos à la Fonction publique enfin, et « penser entrepreneur » désormais.
Il faudrait pour ce faire :

- Dédier de façon exclusive un ou deux secteurs d’activités aux jeunes gabonais désireux de se lancer dans le domaine de l’entrepreneuriat.
« Les jeunes gabonais doivent de plus en plus opter pour l’entrepreneuriat ». Oui ! Mais dans quels secteurs ? Surtout lorsque nous constatons pour le déplorer, que l’ensemble du tissu économique national se trouve entre les mains de personnes originaires de certains pays amis. Il faut donc, loin de toute intention de procès en xénophobie, limiter la présence de non-gabonais dans certains secteurs d’activités. Ce qui, en plus de permettre une croissance économique partagée, offrira la possibilité à de nombreux jeunes de se réaliser sans pourtant faire face à une « concurrence étrangère » souvent déloyale.

- Inculquer aux jeunes une culture de l’effort et de la prospérité ; ainsi qu’une formation entrepreneuriale de qualité et adaptée aux exigences de l’heure
Entreprendre. Oui ! Mais comment ? En effet, nous avons longtemps pensé que le pétrole, le manganèse etc., sont les premières richesses du Gabon. Faux ! Nous avons mal pensé, car la première richesse du Gabon c’est la jeunesse.
Il est faudrait impérativement inculquer à cette jeunesse une culture de la prospérité, de la persévérance ; et lui donner de véritables moyens ainsi que le savoir-faire nécessaire, afin qu’elle puisse se battre non plus pour réaliser les rêves des autres (employeurs), mais plutôt ses propres rêves, à travers l’entreprenariat notamment.

- Faire de la formation dans les NTIC une cause nationale
Il s’agit là de réveiller le génie informatique gabonais, à travers une démocratisation effective des formations dans le domaine des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). Ce qui par conséquent permettra à de nombreux jeunes de savoir comment créer des applications et autres solutions numériques, pour résoudre certaines difficultés auxquelles ils font face dans leur vie quotidienne ; tout en créant de la richesse.

 

[1A ce titre, lire G. NGUEMA ENDAMNE, L’école pour échouer, Paris, Publibook, 2011

[2Marc Louis ROPIVIA, In Edition spéciale UOB, Télé Africa 2013

[3Madeleine BERRE, Dafreshmorning/ Urban FM, le 18 juillet 2018.

[4Radio France Internationale

[5Entretien avec A.N (un étudiant régulièrement inscrit au département de sociologie de l’UOB), WhatsApp /LSA-NTIC, Libreville, le 18 juin 2018

[6Se dit de l’UOB (Université Omar Bongo)

[7Y.K, Statut Facebook du 27 juin 2018

[8Les autres critères se partagent le reste des pourcentages, à savoir les fautes (11,2%) ; et autres (2,2%)

[9Association de la Jeunesse Emergente et Volontaire

[10Il s’agit de Mr Willy Conrad ASSEKO, président de l’ONG Agir Pour une Jeunesse Autonome (APJA)

@info241.com
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