Dans cette tribune pour Info241, le citoyen Ben Loïc Doukaga critique le nouveau code électoral gabonais, qu’il décrit comme un texte opaque, précipité et anti-démocratique. Adopté sans réel débat parlementaire, ce code repose sur des bases floues, notamment des critères électoraux imprécis, une caution financière discriminatoire, et un retour à une administration partisane pour l’organisation des élections, remettant en question la transparence. Il souligne des contradictions normatives dans les conditions d’éligibilité et l’absence de recensement fiable, exacerbant les inégalités. L’auteur appelle à une réforme participative et inclusive pour aligner ce cadre légal avec les principes démocratiques et répondre aux aspirations du peuple gabonais à une gouvernance plus juste.
De par les temps qui courent, où le technicisme dépolitisant tend à priver le citoyen de sa responsabilité politique et critique, au prétexte qu’il manquerait d’outils intellectuels nécessaires pour évaluer en conscience la pertinence des lois, il était hors de question de céder à cette mesquine conjuration aristocratique.
C’est donc par devoir civique qu’il a fallu examiner cette étrange chose, qui, désormais, fait office de code électoral au Gabon. Disons-le sans ambages : il s’agit d’un texte émaillé de bizarreries, redondant à l’excès, et s’inscrivant dans la lignée de ses prédécesseurs tels que le rapport final du prétendu dialogue national inclusif et une constitution façonnée pour les besoins du Roi Ubu. Ce modeste propos n’est qu’un commentaire de quelques aspects de cette loi scélérate qui se heurte à l’étonnement naïf d’un béotien.
a) Un processus législatif opaque et en dehors des circuits traditionnels
La loi organique servant de code électoral a été élaborée par un comité échappant aux circuits législatifs classiques. L’esprit de cénacle a dominé le processus, aux antipodes d’un débat parlementaire sérieux. Dans un pays « normal », l’élaboration d’une loi de cette importance ne saurait s’affranchir du principe de justification publique des normes. Cette opacité soulève des doutes majeurs sur la légitimité démocratique du texte.
b) Une adoption expéditive et peu démocratique
La loi a été conçue et adoptée dans une précipitation manifeste. Le Parlement n’a disposé que de dix jours pour examiner, délibérer et voter un texte de 379 articles, proposé par un comité dont la légitimité démocratique reste inconnue. Adoptée dans une totale opacité le 19 janvier 2025, elle a été soumise à un contrôle de conformité avec la Charte de la Transition et la Constitution le 22 janvier 2025, avant d’être promulguée et publiée au Journal Officiel le même jour. Un tel processus expéditif est incompatible avec les exigences d’un débat approfondi et d’une participation démocratique.
c) Article 38 : Des critères imprécis et problématiques
Selon l’article 38, « le nombre de sièges à pourvoir dans chaque circonscription pour chaque type d’élection est fixé par la présente loi organique selon les critères de démographie électorale ou territoriale ». Cependant, cette disposition repose sur une problématique fondamentale : l’absence de recensement actualisé de la population. Selon plusieurs experts [1] , le recensement le plus fiable remonte à 1993. Celui de 2013, décrié pour ses lacunes, a aggravé la situation. Le régime de transition aurait dû restaurer l’une des dimensions essentielles de l’État : sa population.
Dans un État multinational comme le Gabon, l’attribution des sièges de députés ou sénateurs obéit souvent à des logiques de polarisation ethno-régionale, servant les stratégies de conquête et de maintien des privilèges liés au pouvoir d’État.
Il convient de noter que le corps électoral d’une circonscription est généralement proportionnel à la population totale y résidant. Or, les élus doivent représenter l’ensemble de la population, y compris les citoyens non inscrits sur les listes électorales. Dans un pays marqué par une inégale occupation du territoire, quelle est la pertinence de distinguer la « démographie électorale » de la démographie globale pour l’attribution des sièges ? Si ce n’est pour encourager des pratiques comme le transport d’électeurs, ce qui accentue les inégalités entre territoires.
d) Article 59 : Des conditions d’inscription problématiques
L’article 59 fixe les conditions d’inscription dans une circonscription :
« Être né dans la circonscription électorale, avoir un domicile ou une résidence notoirement connue depuis douze mois dans ladite circonscription, ou y posséder des intérêts économiques notoirement connus ou des intérêts familiaux régulièrement entretenus. »
Ces critères, bien qu’en apparence inclusifs, risquent d’exclure de nombreux citoyens en raison de l’absence de définition claire de termes comme « notoirement connu » ou « régulièrement entretenus ». Cette ambiguïté pourrait engendrer des interprétations arbitraires, remettant en question le caractère équitable du processus électoral.
e) Article 88 : Une mesure financière discriminatoire
Cet article dispose :
« Il est institué, pour chaque catégorie d’élection, un cautionnement électoral dont les montants sont fixés comme suit. »
Cette disposition favorise objectivement les candidats les plus fortunés, au détriment d’une véritable égalité des chances. Dans un pays où 33,4 % de la population vit en dessous du seuil de pauvreté (cf. Banque mondiale), fixer une caution présidentielle à 30 millions de francs CFA revient à exclure une grande partie des citoyens. En démocratie, l’argent ne devrait jamais constituer un critère d’accès aux fonctions politiques. Une telle mesure peut renforcer le sentiment d’injustice sociale et compromettre la cohésion nationale, menaçant ainsi la stabilité politique du pays.
f) Article 117 : De la partialité des commissions électorales
Selon l’article 117 :
« Les membres des bureaux de vote sont choisis parmi les agents publics de l’État ou du secteur privé, ou toute personne jugée apte par l’Administration, qu’elle soit en activité ou non, et résidant dans le département ou la commune concerné(e). »
Dans un pays où l’administration publique est souvent soumise aux aléas des « mesures individuelles », confier l’organisation des élections à cette même administration revient à renouer avec les pratiques électorales des années 1990 et 1993. La Commission Électorale Nationale Autonome et Permanente (CENAP), bien que perfectible, garantissait une certaine transparence grâce à la participation des représentants des partis politiques. En effet, la présence de représentants des partis candidats au sein des commissions électorales donnait une certaine objectivité à la centralisation des résultats.
Le modèle de la CENAP a permis de démontrer objectivement les défaites électorales d’Ali Bongo. Les falsifications des résultats sont en général l’œuvre d’acteurs désignés par le pouvoir en place. En la matière, l’exemple à éviter aurait été le referendum du 16 novembre 2024. Jusqu’à ce jour, le ministère de l’intérieur n’a pas été capable de donner une traçabilité publique des résultats sortis des urnes bureau de vote par bureau de vote. Cette opacité amenuise encore plus le peu de confiance accordée aux représentants des institutions. Alors, à qui profite ce retour des élections entre les mains d’une administration partisane ?
g) Articles 74 et 170 : Des contradictions sur les conditions d’éligibilité
L’article 74 prévoit :
« Tous les électeurs sont éligibles, sous réserve des dispositions constitutionnelles et des conditions spécialement prévues par la présente loi organique. »
Cependant, l’article 170 impose des restrictions issues de la Constitution de 1991 : nationalité gabonaise exclusive, âge maximal de 70 ans, statut matrimonial, lieu de résidence et maîtrise des langues nationales. Ces exigences, parfois contradictoires et dépourvues de fondement explicite dans la Charte de Transition, créent une confusion normative. De surcroît, l’absence d’une obligation explicite d’inscription sur les listes électorales pour être éligible constitue une aberration légale.
g) Articles 74 et 170 : Contradictions sur les conditions d’éligibilité
Les conditions d’éligibilité fixées par l’article 170 sont en contradiction manifeste avec l’article 74, qui dispose que « tous les électeurs sont éligibles, sous réserve des dispositions constitutionnelles et des conditions spécialement prévues par la présente loi organique ». Or, cette loi organique s’appuie sur la Constitution de 1991, comme le confirme une décision de la Cour constitutionnelle.
En prenant en compte la Constitution de 1991, les restrictions relatives à la nationalité gabonaise unique et exclusive, à la limite d’âge de 70 ans, au statut matrimonial des candidats potentiels, à leur lieu de résidence et à leurs compétences en langue nationale n’ont sur aucun fondement constitutionnel.
En outre, ce conflit de normes, mêlant des dispositions issues de la Constitution de 1991, de la Charte de Transition et de textes élaborés à la hâte durant la transition, révèle une autre anomalie : l’absence d’obligation explicite pour un candidat d’être inscrit sur les listes électorales. Par conséquent, un individu pourrait théoriquement se présenter à l’élection présidentielle sans être électeur, en raison de l’absence d’une disposition interdisant explicitement cette situation.
h) Article 190 : Des délais de candidature flous
L’article 190 dispose : « Ne peuvent être acceptées, pendant l’exercice de leurs fonctions, sauf démission ou mise en disponibilité préalable, les candidatures des personnes suivantes. » Cependant, cet article manque de précisions quant aux délais nécessaires pour bénéficier d’une mise en disponibilité ou d’une démission dans l’optique d’une candidature. Une clarification explicite sur les délais (en mois ou en années avant le scrutin) est nécessaire pour éviter toute confusion ou abus.
En conclusion, le nouveau code électoral gabonais, bien qu’il pose les bases nécessaires à l’organisation des processus électoraux, nécessite des réformes profondes pour garantir une véritable transparence, équité et inclusion. La transition n’a servi à rien de ce point de vue. Les insuffisances relevées, notamment en matière d’indépendance des institutions électorales, de participation équitable de tous les citoyens, et de lutte contre les fraudes, entravent la confiance des citoyens dans le système démocratique. Une réforme participative, impliquant toutes les parties prenantes, est essentielle pour aligner ce cadre légal avec les aspirations du peuple gabonais à une gouvernance plus juste et respectueuse des principes démocratiques universels. Seul un code électoral modernisé et adapté peut poser les bases d’élections crédibles et renforcer la stabilité politique du Gabon.
[1] MBOUTSOU, Charles. Les problèmes démographiques au Gabon : le cas de la migration intérieure et de la croissance démographique de la province de l’Estuaire de 1960 à 1993. 2000. Thèse de doctorat. Bordeaux 3.
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