Tribune libre

Réponse à la lettre « épistolaire » de Marc Mve Bekale adressée à Laurence Ndong

Réponse à la lettre « épistolaire » de Marc Mve Bekale adressée à Laurence Ndong
Marc Mve Bekale, Laurence Ndong et Hugues Steve Ndinga-Koumba-Binza © 2019 D.R./Info241

La tribune libre de l’essayiste Marc Mve Bekale publiée hier sur Info241, adressant des pics « fraternels » à Laurence Ndong pour sa participation au premier Sommet Russie Afrique, n’a laissé personne insensible. En guise de réponse à sa lettre « épistolaire », un autre universitaire gabonais Hugues Steve Ndinga-Koumba-Binza, a tenu à réagir. Dans sa tribune-réponse que nous publions également, cet enseignant-chercheur à l’Université du Cap-Occidental (Afrique du Sud) clame que « Pour l’Afrique, nous avions besoin de tenir les discours comme ceux de Laurence Ndong sur toute plateforme et devant toute audience qui nous sont offertes ». Lecture.

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Après la lecture de la lettre épistolaire du Dr Marc Mve Bekale au Dr Laurence Ndong suite au discours de cette dernière à Sotchi lors du Sommet Russie-Afrique, j’ai d’abord voulu laisser un commentaire à la fin de l’article. Le commentaire devenait de plus en plus long, alors j’ai décidé d’en faire une réponse à l’épistolaire de Marc Mbe Bekale. Je ne cherche pas à défendre Laurence Ndong (elle sait bien se défendre elle-même), et encore moins défendre Vladimir Poutine ou la Russie. Je ne cherche pas non à maintenir un quelconque débat. Je veux juste donner un avis sur certains points qu’a évoqué le collègue universitaire et compatriote Marc Mve Bekale.

Souveraineté ou démocratie : Il faut choisir

J’ai eu l’impression de lire un journaliste de CNN ou un crédule de la propagande occidentale contre quiconque ne se soumet pas au nouvel ordre mondial. Quelqu’un m’avait soufflé que c’est une hérésie de prendre pour modèle de démocratie un pays (USA) où il est impossible de créer un troisième parti politique. L’alignement est le principe même de toute dictature, que se soit l’alignement dans un régime monopartite ou dans un régime bipartite.

L’Occident cherche à mener tout le monde à s’aligner dans l’un des deux camps qui servent le même maître, i.e. l’oligarchie financière mondiale. Il faut être de gauche ou de droite (selon le modèle américain), les extrêmes on n’en veut pas. A y voir clair, tous les extrêmes ne sont que des défenseurs de la souveraineté de leurs nations en partant des angles opposés. La souveraineté des nations, c’est justement ce dont ne veut pas l’oligarchie financière mondiale. Quiconque défend la souveraineté de sa nation doit être un pestiféré : c’est un fasciste s’il vient de gauche, un raciste ou un anti-migrant s’il vient de droite. Mais peut-il avoir souveraineté des peuples sans souveraineté des Etats ? Autrement dit, peut-on avoir un peuple libre sans un Etat libre ? C’est un peu, à mon avis, toute la différence entre la Russie et les Occidentaux dans leurs approches respectives vis-à-vis des Africains.

La Russie tient des élections souveraines de manière régulière, c’est une dictature juste parce qu’elle réussit à museler des activistes grassement financés par les oligarques financiers de ce monde. La France tient de manière régulière des élections présidentielles pipées d’avance où l’élu est d’abord choisi par l’oligarchie financière et par la franc-maçonnerie, c’est une démocratie même si les Gilets Jaunes se font crever les yeux et que l’état d’urgence entraîne la mise sur écoute, illégalement, de certains dirigeants.

Les valeurs de démocratie dont se vantent les Occidentaux et dont manqueraient les nations mises au banc comme la Russie et l’Iran n’existent nulle part en réalité. On le comprendrait peut-être mieux avec ce propos de Mahamadou Issoufou, président du Niger (qui a pris la tête de la campagne contre le 3ème mandat en Afrique) : « On somme les Africains de se conduire en démocrates exemplaires, mais la gouvernance mondiale est tout sauf démocratique  ». Ainsi, reprocher au nom de la démocratie à Laurence Ndong d’avoir répondu à l’invitation russe de prendre la parole à Sotchi est malvenu. Car la défense d’une cause juste, normalement sied à toute audience. Or la souveraineté de l’Afrique et le respect du vote des Africains sont tous les deux des causes grandement justes.

Mon avis est que les peuples africains ne devraient pas rechercher la démocratie à l’occidental. La démocratie à l’occidental est la belle manière de se foutre de son propre peuple, c’est-à-dire ne pas du tout tenir compte de son point de vue tant que les intérêts de l’oligarchie sont menacés. Le Traité de Rome II (ou Constitution de l’Europe), rejeté par la quasi-totalité des peuples européens, est le parfait exemple de la démocratie qui n’est pas du tout «  gouvernement par le peuple et pour le peuple  ».

Sur 17 pays qui l’ont ratifié, deux seulement ont eu à le faire par référendum ; les autres ont choisi des arrangements d’arrière-boutique entre parlementaires et gouvernants dans le dos du peuple (le cas de la France est plus que patent), quand sa reformulation en tant que Traité de Lisbonne a tout simplement imposée aux peuples jusqu’à ce jour. On comprendra donc que la démocratie à l’occidental c’est tout sauf la souveraineté des peuples. J’insiste donc, les Africains devront rechercher la souveraineté d’abord, puis la justice sociale. C’est de la justice que découlent les libertés fondamentales tout en respectant les droits civiques et les mœurs culturelles.

Afrique et Russie, même malheur, même combat

Non, on ne peut pas interdire à l’ours polaire blanc de défendre sa riche tanière sous prétexte que ses oursons naturellement nourris au poisson n’ont pas le droit de jouer avec les petits du panda géant et devenir herbivores. La malheur de la Russie est le même que celui de l’Afrique, celui d’être immensément riche en ressources minières et culturelles. Quand Boris Nikolayevich Eltsine, entre deux vers de vodka, signait la privatisation des entreprises d’Etat russes au profit des multinationales occidentales, il paraissait tout d’un coup démocrate et homme intègre auprès des médias mainstream occidentaux, « le leader moderne de la Russie » pour reprendre en français le "Russia’s first modern leader" de Leon Aron (rédacteur à Foreign Affairs et surtout Directeur à American Entreprise Institute).

Il avait fallu le scandale de la firme suisse Mabetex pour redécouvrir un régime hautement corrompu et prêt à plier l’échine dans un moment de vieillesse et empêtré dans une guerre en Tchétchénie. La Russie est redevenue souveraine avec Poutine, n’en déplaise à ceux qui lorgnent avec envie les importants gisements de gaz naturel et de pétrole à Grozny (les séparatistes Tchétchènes faisaient usage des armes de marque occidentale, les mêmes dont disposaient les Kosovars).

Le combat de l’Afrique devra donc être celui de la Russie, celui de sa souveraineté afin de prétendre au finish au contrôle de ses propres ressources. Les dirigeants africains, notamment de l’Afrique francophone et ses médias sous contrôle (RFI, France 24, TV5, Jeune Afrique, etc.), ne devraient plus être d’abord adoubé par la France avant d’être proclamés élus. Les espèces du genre Ali Bongo et Alassane Ouattara (le chouchou démocrate des médias français en 2010 qui a battu le record de plus de 1000 prisonniers politiques dans les geôles de la Côte d’Ivoire) ne doivent plus exister chez nous.

Car toutes les fois qu’on aura des pantins au pouvoir en détriment de nos votes, nous n’aurions pas non plus assez de contrôle de nos ressources pour le développement de nos pays. C’était cela aussi, en mon sens, le discours de Laurence Ndong en Russie qui a le contrôle totale de ses ressources, qui se développe et redevient petit à petit une puissance économique dans le concert des nations. L’illustration de la puissance économique en interne de la Russie nous avait été offerte en 2014. Suite à l’annexion de la Crimée, les Etats occidentaux s’étaient précipités à prononcer sanctions commerciaux et économiques. Du jour au lendemain, la production locale avait triplée, et ce sont les agriculteurs polonais et français ainsi que les industriels occidentaux qui en subir les frais.

Mon avis est que si la Russie peut être un allié pour la reconquête de notre souveraineté, pourquoi s’en empêcher ? C’est d’ailleurs pourquoi Nathalie Yamb pouvait dire : « L’Afrique n’a pas besoin de tuteur à l’ONU. L’Afrique n’a pas non plus besoin de nouveaux propriétaires, mais la Russie y a sa place comme un partenaire, dans une logique de Commonwealth, d’enrichissement partagé, de collaboration vivifiante et innovante entre les secteurs privés respectifs ».

L’Occident et ses turpitudes

Il est connu que l’occident a la manie de blâmer autrui pour ses propres turpitudes. Parce qu’on ne peut justifier comment un outsider et un imprévisible a pu battre le joker de toute l’armada médiatique mondiale, on n’a vite fait de pointer celui que tout le monde peut croire capable ou du moins avoir les moyens intellectuelles, technologiques et courageuses de le faire : la Russie. Mais pourquoi diantre ce ne serait pas la Grande Bretagne, la France ou même le Mexique et le Venezuela qui se seraient ingérés dans la présidentielle américaine ? Et puis, serait-ce un fait nouveau qu’un pays s’ingère dans la présidentielle d’un pays tiers ? Les Etats-Unis ne le font ils pas assez souvent ? La France ne le fait-elle pas dans ses colonies d’Afrique ?

D’ailleurs, lorsqu’en 2015 éclata le scandale selon lequel les Etats-Unis espionnaient ses propres alliés notamment la France et l’Allemagne dans leurs propres ambassades, Barack Obama répondait ceci à toutes les demandes d’excuses venant de François Hollande et Angela Merkel : « Everybody does it » (tout le monde le fait).

A mon avis, croire que la Russie a pu s’ingérer dans la présidentielle américaine jusqu’à faire élire Donald Trump au dépends d’Hilary Clinton, l’égérie de l’oligarchie financière mondiale, c’est alors croire que la CIA, le FBI, la NSA (National Security Agency) et le NSC (National Security Council) seraient de la même division que le FC Lalala en matière de renseignement devant FC Barça russe. C’est Julian Assange (fondateur de Wikileaks) qui estimait : « accuser la Russie de piratage informatique est une manœuvre de diversion, afin de ne pas parler du contenu des emails d’Hillary Clinton ». Et le journaliste Glenn Greenwald d’ajouter : « les démocrates ont adopté une rhétorique maccarthysme de la Guerre Froide » qui « essaye d’insinuer que tout personne qui s’oppose aux Clinton est un agent russe, alors que ce sont les Clinton qui ont des liens avec la Russie ». Au sujet de cette tentative de nier le vote des Américains, Dana Tyrone Rohrabacher, Membre de la Chambre des Représentants, dira : « Quand les Américains se rendront compte que c’est une arnaque et une prise de pouvoir, ils seront fâchés ».

Il est une chose sure si la Russie était effectivement responsable d’élection de Donald Trump, ce dernier ne serait plus au pouvoir à l’heure actuelle. Les démocrates ont depuis abandonné la procédure de destitution basée sur les allégations de l’ingérence russe. La procédure de destitution sur la base de l’appel téléphonique avec l’Ukraine est entrain d’aller à l’eau pour faite de preuve suffisante. Le Sénateur de Floride Marco Rubio disait justement hier : « Democrats have been looking to impeach Trump before he was sworn in as president, so they start to lose credibility » (Les démocrates ont cherché à destituer Trump bien avant qu’il ne prête serment en tant que président, alors ils commencent à perdre leur crédibilité).

Il est regrettable, à mon avis, qu’un grand nombre des intellectuels de la diaspora africaine puissent à chaque fois lire les événements mondiaux au travers des lunettes des médias pro-occidentaux dont on sait qu’ils ne sont absolument pas indépendants. C’est fut le cas avec le Président Laurent Gbagbo que nombre d’intellectuels dans la diaspora, notamment en France et aux Etats-Unis, avaient vite fait de prendre pour « l’abominable homme de neige » (pour reprendre le terme de Jean-Luc Mélenchon), dictateur pilleur qui voulait se maintenir au pouvoir au dépends du saint homme démocrate Alassane Ouattara.

Alors qu’il suffisait d’interroger l’histoire et lire la loi électorale de Côte d’Ivoire pour comprendre qu’Alassane Ouattara, le préfet burkinabé de Côte d’Ivoire était tout sauf un homme propre, et que si la démocratie a un père en Côte d’Ivoire c’est son nom ne saurait être que Laurent Gbagbo. Et comme, il n’y a pas un sans deux, les mêmes intellectuels africains de la diaspora en France comme aux Etats-Unis n’ont pas su prendre position pour Mouammar Kadhafi dont l’objectif était la souveraineté des pays africains, parce que c’était un dictateur.

Quand je vois le suivisme des intellectuels africains par rapport à l’actualité internationale et leur prise de position (encore que nous prenons rarement position publiquement), je ne suis pas loin de donner raison au caméléon Matthieu Kérékou qui avait déclaré : « Les intellectuels africains sont tarés  », peut-être pas pour les mêmes motifs.

Pour ne pas conclure

C’est mon avis : Le séjour à Sotchi n’entame en rien la cohérence de Laurence Ndong pour ce qui est de la lutte pour le respect du vote et de la souveraineté des peuples africains. Si c’était le cas, le discours de Nathalie Yamb souffrirait de la même tare. Pour l’Afrique, nous avions besoin de tenir les discours comme ceux de Laurence Ndong sur toute plateforme et devant toute audience qui nous sont offertes avec objectifs, à moyen terme nous débarrasser des pantins qui gouvernent, et à long terme l’accession à la souveraineté politique, économique et militaire.

Et c’est la responsabilité des intellectuels africains de tenir, enseigner et propager ce genre de discours. Je le dis assez souvent : les intellectuels et les gens qui font profession de servir Dieu (pasteurs et autres hommes de Dieu) sont les premiers responsables de l’état de nos pays. Comme Laurence Ndong, je porte les deux casquettes : intellectuel et serviteur de JESUS CHRIST !

Fraternellement.

Hugues Steve N. Koumba-Binza, PhD

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