L’histoire de l’autodétermination du Gabon est marquée par une concentration importante de formations et d’hommes politiques actifs quasi-totalement dans la province de l’Estuaire. L’intérieur du pays n’enregistrait que très faiblement des « éminences grises » prenant part à la lutte menant au long et pénible chemin de l’accession du pays à la souveraineté internationale. Dans le Sud et le Sud-est, on y dénombrait quelques-uns mais dans la partie Est de cet ex territoire d’Afrique équatoriale française, un homme, au cursus très modeste a su représenter valablement sa province de naissance (le Haut-Ogooué) jusque dans l’Establishment administratif : il s’agit de Eugène-Marcel Amogho (1926-1979).
Naissance et origines
C’est dans l’un des villages de Franceville, chef-lieu de la province du Haut-Ogooué, du nom de Onkoua qu’est né Eugène-Marcel Amogho. Il a huit ans quand, les missionnaires qui l’ont élevé décident de l’inscrire à l’école catholique de Franceville. On est en 1926. Il y fera cinq ans et obtiendra son brevet, sanctionnant la fin de ses études primaires. Voulant très tôt travailler comme il était de coutume pour les jeunes africains de l’époque, le jeune Amogho, sachant lire et écrire, décide de ne pas poursuivre ses études et se met à chercher du travail.
Il décroche un emploi au sein de la Compagnie Equatoriale Française d’Afrique (CEFA) en 1931, quelques temps après l’obtention de son parchemin. Près de 2 ans après, il rejoint la Compagnie Française d’Afrique de l’Ouest (CFAO) en 1933. En 1936, c’est la Société du Haut Ogooué (SHO) qui lui tend les bras. Il y restera sept ans avant de songer à entamer une carrière administrative.
Il faut dire que cette ambition taraudait l’esprit d’Amogho depuis belle lurette. Mais au-delà de ses aspirations personnelles, Eugène-Marcel Amogho nourrit comme beaucoup d’autres gabonais de l’époque, peu ou assez lettrés, un patriotisme très enclin à l’autodétermination et à l’émancipation de la patrie. Pour lui, seul un engagement politique réel et dépourvu de « lèche-bottisme » et de flagornerie envers la puissance coloniale française conduira le Gabon à une authentique indépendance.
Combat et influence politique
Au terme de la Seconde Guerre Mondiale en 1945, la métropole française décide de libéraliser la vie politique de ses colonies. C’est ainsi que le Gabon emboîte le pas et le premier parti politique, le Parti Démocratique Gabonais (PDG) voit le jour avec pour fondateur Emile Issembé. Paul Idjendjet Gondjout le rejoindra par la suite. Moins d’une année plus tard, le socialiste convaincu Jean-Hilaire Aubame fonde l’Union Démocrate et Sociale Gabonaise (USDG). En 1947, Eugène Amogho décide de rallier les rangs de l’USDG qu’il considère comme une formation politique représentative du Pays donc nationale (car ses différents membres sont issus de groupes ethniques distincts).
Aussi, il y voit un projet solide dans l’établissement d’une nation avec l’ambition de non seulement remporter les différentes échéances politiques mais aussi de former et d’instruire les adhérents afin de les outiller dans la gestion et la formalisation de l’administration publique gabonaise en vue du trajet de décolonisation qui se dessinait à l’horizon. Eugène Amogho, titulaire du Brevet d’Etudes Primaires Indigènes saute sur cette occasion et accroît ses compétences tel un autodidacte focalisé sur l’acquisition de connaissances.
Ayant appris le sens du devoir, le respect de la parole donnée et le goût de l’effort lors de son passage à l’école catholique de Franceville, il se fait très vite remarquée par les leaders de l’USDG (Jean-Hilaire Aubame, René-Paul Sousatte, Jean-Marc Ekoh, Maurice Ambonghilat, George Damas Aleka né Ndama Aleka…) et en devient naturellement un. Lors des élections territoriales de 1953, Eugène Amogho devient conseiller territorial de l’Afrique Equatoriale Française (A.E.F) pour le compte de la province du Haut-Ogooué. Il a lieu d’indiquer ici que c’était chose inévitable car l’USDG était le plus grand parti gabonais de la période coloniale et qui faisait raz-de-marée à chaque élection à laquelle il se présentait.
La suprématie de cette formation politique poussera même Léon Mba et Paul Gondjout à former une alliance politique autours du Bloc Démocratique Gabonais (BDG) ; l’USDG était le parti de la décolonisation et fervent défenseur « du Gabon à disposer de lui-même ». En 1957, Amogho siège au grand conseil de l’AEF après avoir remporté les élections territoriales de la même année et, participe activement à l’interpellation de l’administration coloniale et de la métropole pour que son pays accède à l’autodétermination tant souhaitée et tant attendue.
Dans sa province natale du Haut-Ogooué, : Eugène-Marcel Amogho qui est un homme au grand cœur et de petite taille, est perçu comme un homme très discret mais aussi très puissant, un exemple pour beaucoup de jeunes Altogovéens de l’époque. Mais l’homme passe la majeure partie de l’année à Libreville où il remplit ses obligations politiques de conseiller territoriale mais il n’oublie pas pour autant son Franceville et ses environs, lui qui y est très attaché.
Pour illustrer l’influence qu’il avait sur les jeunes de sa région, une anecdote peu connue fait état de ceci : en 1957, Eugène Amogho rencontre un jeune originaire du Haut-Ogooué et en fait son poulain en politique. Cet individu n’est autre que Albert Bernard Bongo qui succédera au président Léon Mba après son décès ; il faut savoir qu’avant de rejoindre le BDG, le jeune Albert Bernard Bongo était membre de l’USDG et tenta même d’être candidat sous la bannière de ce parti parti aux élections territoriales de 1957 mais, il fut disqualifié car il avait ajouté deux ans à son âge pour être éligible.
Par ailleurs, peu après l’accession du Gabon à l’indépendance, Eugène Amogho comme plusieurs ténors de l’opposition, subira des pressions et intimidations de la part de Léon Mba qui, une fois devenu président, voulait réduire au silence et à l’asservissement ses adversaires ainsi que ses puissants alliés d’autrefois comme Paul Gondjout. Eugène Amogho, bien que jeune, était très craint de Léon Mba, d’autant plus qu’il était quasiment le seul et grand leader politique de la province du Haut-Ogooué.
En effet, Amogho avait fait part en 1957, de son souhait de rallier sa province au Moyen-Congo tout comme les Woleu-ntémois avec le Cameroun, c’était dû au comportement autoritaire de Léon Mba. Bien que la raison avancée par Amogho soit que « La vie économique de la région est intimement liée à ce territoire, lien encore renforcé par une similitude de race et de langage. », la cause de ralliement au Moyen-Congo était d’ordre politique. De plus, la loi cadre Deferre du 17 juin 1956 instituée pour permettre aux territoires français d’outre-mer de tendre vers une autonomie ne prévoyait aucunement le développement d’une province sur la base des richesses qu’elle possédait.
Cette démarche de rattachement ne pouvait donc logiquement pas aboutir, et n’était qu’un moyen de pression pour voir les revendications de Amogho (notamment les modalités d’accession à l’indépendance) être prises en compte par le chef du conseil de ministres dirigé déjà par Léon Mba ; ce dernier avait fait preuve de roublardise politique pour former une alliance avec le parti de l’Entente-Défense des Intérêts Gabonais (E-DIG) pour occuper cette fonction qui était en ces temps, synonyme de celle de « Chef autochtone du territoire Gabon », le Gabon étant encore une région placée sous l’autorité de la France.
Cette situation faillit provoquer une « balkanisation » du pays. Ce qui fît trembler la métropole française ainsi que le pouvoir de Léon Mba, puissant vice-président du conseil. Ces sorties du territoire étaient à éviter. Mais après 1960, Eugène Amogho finit par s’effacer progressivement des annales de l’USDG au profit du BDG de Léon Mba puis du Parti Démocratique Gabonais de Albert Bernard Bongo.
Carrière administrative
De manière inaugurale, il faut rappeler ici que Eugène-Marcel Amogho a été l’un des idéologues dans la mise en place de nouvelles institutions étatiques dans notre pays, lui qui a passé plus de dix ans (1959-1969) dans les différents gouvernements des présidents Mba et Bongo. Mais son parcours administratif commence dans les années 1940. C’est en 1943 que Eugène-Marcel Amogho intègre l’administration coloniale du Gabon et est engagé comme instituteur d’enseignement laïc.
Avant le référendum de 1958 voulu par la France, le Gabon enregistrera son premier conseil de gouvernement composé des membres des deux grandes représentations politiques des années coloniales restreint au nombre de dix : l’USDG et le BDG. C’est ainsi que Eugène Amogho bénéficiera du portefeuille ministériel de l’enseignement, de la jeunesse et des sports alors qu’il n’avait seulement que 29 ans. Le pays devenu autonome (mais toujours sous administration française) après le référendum de 1958, l’organisation et les fondements de l’Etat-Gabon prend forme avec l’entrée en vigueur de la première constitution du 19 février 1959.
Eugène Amogho poursuit sa carrière dans l’administration en étant ministre de l’agriculture puis celui des travaux publics en 1964. Entre 1964 et 1965, Eugène Amogho est tour à tour ministre de la santé publique et de la population puis ministre des eaux et forêts. Il devient ministre de la justice au cours de l’année 1965. En 1969, le retrait de Eugène-Marcel Amogho en politique est acté mais le président Bongo décide de le nommer président du Conseil d’administration (PCA) de la Caisse Gabonaise de Prévoyance Sociale (CGPS).
C’est aux commandes de celle-ci que cette institution sanitaire et sociale deviendra la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS) ; les nouvelles modalités de fonctionnement et de financement seront mises en place par le nouveau PCA, sieur Eugène Amogho. Par cette prouesse, il laissera graver à jamais son nom dans les pages de l’histoire moderne du Gabon.
Disparition
On est le 24 octobre 1979. La ville de Franceville est endeuillée : Eugène-Marcel Amogho n’est plus. Il passe de vie à trépas à l’âge de 52 ans. Il laisse notamment une fille, Nicole Amogho, qui est aujourd’hui une célébrité de la musique traditionnelle gabonaise avec des sonorités en patois du Haut-Ogooué.
Devanture du lycée éponyme de Franceville
Pour immortaliser et honorer sa mémoire, le lycée d’état de Franceville porte son nom. Il s’agit du lycée d’Etat Eugène Marcel Amogho.
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