Croissance

Mali : Quelles pistes pour améliorer les relations banques-PME ?

Mali : Quelles pistes pour améliorer les relations banques-PME ?
Mali : Quelles pistes pour améliorer les relations banques-PME ? © 2016 D.R./Info241

Dans cette analyse de l’économiste Amadou Sy*, la problématique du financement des PME par les banques maliennes est mise sur le grill. Pour cet expert en diagnostic économique d’Entreprise : « Un pays qui n’a pas de solides institutions et qui fonctionne sur base d’un système d’indigence politico-économique, ne peut concevoir significativement une croissance économique inclusive de sa croissance démographique ».

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Le Mali a été vitupéré en 2012 par une triple crise politique, économique et sécuritaire. Cette crise a frappé de plein fouet les établissements bancaires se traduisant par plusieurs attaques d’agences principalement celles situées dans les régions du nord, suivies par de lugubres conséquences sur les petites et moyennes entreprises (PME) enlaidissant au passage les relations entre banques et entreprises.

Depuis 2014, la situation semble exhortante avec un paysage bancaire désormais composé de 17 établissements de crédit (14 banques et trois établissements financiers), après la création en 2014, d’une filiale du groupe Coris Bank. Le climat des affaires est exauçant, classant le Mali à la première position dans la zone UEMOA et les relations entre établissements bancaires et entreprises sont de plus en plus emplissantes. Toutefois, les banques restent frileuses pour ce qui concerne le financement des PME, surtout avec tous les problèmes hypothécaires et de titres fonciers constatés en fin d’année 2015. Quid des carences pour les banques ? Quid des carences pour les PME ?

En réalité, les relations entre banques-PME ressemblent à des vieux couples toujours en querelle mais qui sont incapables de se désagréger. Si les premières réclament les entreprises à se conformer aux exigences bancaires, les secondes revendiquent aux banques d’assouplir les procédures à l’accès au financement.

Du côté des banques, il faut acquiescer qu’il y a quelques carences notables. La première est relative à l’inconsistance du suivi des crédits octroyés aux PME. Cela s’explique par l’organisation exécrable des PME, ce qui rend difficultueux le travail des banques pour vérifier de manière flegmatique les opérations courantes de l’entreprise.

Dans ce cas, les banques sont rapetissées à conseiller et à accompagner l’entreprise dans ses projets de croissance. De plus, le manque de suivi des dossiers peut être imputé à l’insuffisance de temps accordé pour étudier les dossiers. En parallèle, la disette de visibilité sur des projets à moyen et long termes de la part des PME est une grande contrainte pour les banques qui sont systématiquement dans l’aversion pour le risque malgré qu’elles disposent parfois des ressources financières significatives.

Au final, si la banque n’est pas circonspecte, le manque de suivi peut engendrer un « effet domino » sur la dégradation d’autres dossiers entrainant plus d’aversions pour le risque. La deuxième carence des banques, en partie responsable de la précédente, est la raréfaction d’une ressource humaine de qualité dédiée à l’étude des dossiers de financement. Le manque des agents compétents et expérimentés dans des études de faisabilité financière de projets de création d’entreprise, est corollaire de mauvaises analyses des dossiers de financement et suscite très souvent un manque à gagner pour les banques.

Ce constat est une lapalissade, puisque les banques maliennes sont dans la dèche de départements spécialisés sur les PME. De plus, il y a des lacunes de méthodologie et de procédure pour l’analyse des informations financières approximatives issues des entreprises. La troisième carence est imputable à l’insuffisance de la formation des agents y compris les analystes crédits et chargés de clientèle, conjuguée à la lenteur des banques à proposer de nouvelles garanties adaptées aux PME. En effet, une grande partie des banques ne mette pas assez de moyens pour former leurs agents dans la maîtrise des techniques bancaires.

Aussi, il y a très peu de garanties acceptées par les banques maliennes dans le cadre des études de faisabilité financière. Une grande majorité des banques privilégie les hypothèques et les titres fonciers comme garanties car moins risqués pour la couverture des lignes de crédit en cas de défaut de paiement du client. Enfin, il y a des carences au niveau de l’environnement institutionnel à travers l’appareil judiciaire qui pénalise les actions des banques malgré les réels progrès apportés par l’Organisation pour l’Harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA). Des insuffisances qui génèrent des difficultés pour la récupération des crédits défaillants et amenuisent davantage l’octroi des concours aux PME poussant dans le même temps les banques à durcir leurs conditions.

Du côté des entreprises, trois obstacles constituent une préoccupation prépondérante pour les banques. L’insuffisance généralisée des fonds propres des PME apparaît comme le premier d’entre eux. Cette insuffisance s’explique à la fois par les réticences des entrepreneurs à rechercher d’autres associés potentiels, mauvaise définition du modèle économique, la rareté des trésoreries disponibles, la mauvaise évaluation des budgets de fonctionnement et d’investissement, mais aussi, par l’estimation approximative du capital nécessaire pour atteindre le chiffre d’affaires prévisionnel. Par conséquent, une grande partie du plan de financement est relative à la sollicitation des emprunts bancaires. Cela exalte d’une part, la méfiance des banques vis-à-vis des PME pour leur financement, et d’autre part, freine les entreprises à retrouver l’équilibre financier.

Le deuxième obstacle significatif rencontré par les banques est la structure d’organisation approximative des PME, plus particulièrement la gestion administrative, la comptabilité et les ressources humaines. De plus, le constat est alarmant dans les PME de grande taille, l’unique décideur final reste le chef d’entreprise. Cela fragilise les procédures de contrôle interne, mais aussi, inhibe la détection rapide des fraudes. Dans le même temps, favorise les éventuelles velléités de non transparence de certains entrepreneurs et amenuise la sérénité des banquiers face aux PME.

Enfin, le troisième gros obstacle est relatif à l’insuffisance de projection sur le moyen et le long termes des entreprises. En effet, la majorité des entrepreneurs se lance dans des projets sans au préalable prendre le temps de construire un business plan solide et convainquant. Cela entraine très souvent des confusions par exemple sur l’estimation du chiffre d’affaires, puisque, l’étude de marché a été bradée et maquillée. Et par conséquent, l’incapacité de l’entreprise à honorer ses engagements vis-à-vis des banques. Nombre de sociétés sur-évaluent leurs investissements pour essayer de convaincre le banquier, mais ce dernier reste éperdument averse au risque. Tous ces maquillages de comptes conjugués au manque de visibilité de l’entreprise dans le long terme sont un frein majeur pour les PME de bénéficier des financements auprès des banques.

Quelles pistes d’amélioration ?

Au regard des carences soulignées préalablement du côté des banques ainsi que celui des entreprises, des points d’amélioration sont nécessaires afin de pérenniser le vieux couple banque-PME. Certaines mesures ont déjà été prises comme la mise en place du Fonds de garantie pour le secteur privé, créé à l’initiative de l’État malien pour soutenir les PME. Pour le président de l’APBF, « la concurrence est très rude entre les banques, c’est une excellente chose ! ». Mais d’autres mesures sont nécessaires pour renforcer le lien historique entre banques et PME. Etant donné que quatorze établissements bancaires ne peuvent se développer avec les vingt pour cent d’entreprises « formelles », le secteur bancaire doit s’adapter.

De plus, selon les analyses de la BCEAO, la contribution des banques maliennes au financement de l’économie est encore très maigre, environ vingt et un pour cent du PIB d’après les estimations de décembre 2014. C’est un ratio proche de la moyenne sous-régionale. Mais en faisant du benchmarking avec les trente pour cent observés au Sénégal et au Togo, beaucoup de progrès restent à faire au Mali.

Il faut dans un premier temps et très rapidement une forte implication de l’Etat d’une part pour réglementer et transformer progressivement certaines activités dans le secteur informel en secteur formel. Cela est impératif surtout quand on sait que pour environ soixante dix pour cent des échanges économiques des acteurs demeurent dans l’informel et où la majorité n’a pas accès au secteur bancaire. D’autre part, l’Etat doit inciter (obliger ?) les PME à tenir une comptabilité claire et transparente.

Cela simplifiera du côté des banques les études sur les demandes de financement et renforcera dans le même temps, les relations entre banques et PME. Enfin, toujours dans le cadre de l’intervention publique, l’Etat doit proposer et acquérir des prises de participation dans le capital de certaines banques maliennes. Cela permettra à l’Etat d’influer de manière positive sur les décisions du conseil d’administration de ces banques concernant l’octroi de crédits aux PME.

En contrepartie, l’Etat proposera aux banques des assurances de recouvrement de crédits en cas d’insolvabilité du côté des PME. Dans un second temps, la reforme de l’appareil judiciaire est une condition sine qua non pour réguler davantage les conditions de récupération des crédits défaillants du côté des banques. Dans ce sens, l’OHADA à travers ses dix sept pays membres, a un rôle majeur à jouer pour reformer de manière significative le droit bancaire.

Enfin, les banques doivent s’adapter à l’évolution de la société malienne. Puisque, l’après crise montre que cette dernière fait de plus en plus confiance aux banques. D’autant qu’on constate depuis quelques années une émergence progressive d’une classe sociale moyenne caractérisée par la consommation de masse même si celle-ci reste encore fragile. Toutes ces mesures permettront de renforcer les relations banques-PME et ainsi contribuer à l’amélioration de la croissance économique pour un Mali qui se veut émergent à l’horizon 2030.

*Amadou Sy est membre du Centre d’Etudes et de Réflexion du Mali (CERM), de l’Union des Fédéralistes Africains (UFA) et de l’Association Diplomatique des Jeunes Nations-Unies (ADJNU)

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