Tribune libre

Lettre ouverte à ces rappeurs gabonais qui ont suivi Ali Bongo Ondimba

Lettre ouverte à ces rappeurs gabonais qui ont suivi Ali Bongo Ondimba
Une vue des artistes soutenant le président sortant Ali Bongo lors de la campagne présidentielle © 2016 D.R./Info241

Dans une lettre ouverte parvenue à notre rédaction, que nous publions in extenso, le rappeur et blogueur gabonais Nguema Ndong dresse un tableau plutôt sombre de la crise post-électorale et du rôle joué par les artistes. L’auteur s’adresse ainsi à ses pairs ayant soutenu le président sortant Ali Bongo et s’interroge sur leur mutisme devant les privations de libertés organisées sans stupeur par le pouvoir gabonais.

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Lors de la campagne de l’élection présidentielle, beaucoup d’artistes ont choisi, malgré les sept années de grèves, de contestation sociale, de chômage et de violation des libertés individuelles, de soutenir le camp du président sortant en présentant le Gabon comme le pays où il coule le miel et le lait.

Mais aujourd’hui, ils sont terrés dans un mutisme retentissant. Nous ne demandons guère à qui que ce soit de renoncer à son engagement, mais de parler et d’agir en ayant en conscience le peuple gabonais si meurtri. Il ne s’agit plus d’enculer des mouches à propos du flow, de beats, d’authenticité ou pas des rappeurs gabonais, mais des pertes de vie de nos concitoyens qui faisaient, pour certains, sûrement partie de vos admirateurs.

La liberté de choisir son dirigeant est antinomique à la liberté de faire le déni de réalité. Nous sommes conscients du fait qu’elle est bien loin l’époque que le rap gabonais avait comme fonction de satisfaire les inquiets et d’inquiéter les satisfaits. Néanmoins, comment peut-on rester muet quand l’armée tire sur des civils désarmés ? Est-ce parce que l’on espère une nomination au sortir de la période électorale que l’on doit garder son silence vis-à-vis de ces images atroces que l’on voit tous les jours sur les réseaux sociaux ?

Des images que l’on ne peut voir sur les chaînes de télévision d’État qui sont devenues par ailleurs les caisses de résonnance du PDG (Parti démocratique Gabonais). Qui n’a pas suivi cette vidéo du corps d’un jeune homme, tué par les forces de sécurité ou de défense (personne ne peut les identifier, ils sont encagoulés et ne portent aucun insigne), transporté à travers les rues du quartier Nzeng-Ayong de Libreville ? Qui parmi nous n’a pas regardé la vidéo de cette mère qui découvre le corps sans vie de son fils recouvert du drapeau national ? Cette femme peut être la mère, la sœur ou l’épouse de quelqu’un parmi nous, car les escadrons de la mort d’Ali Bongo ont décidé de tirer sur tout ce qui bouge.

Pour les autorités gouvernementales, les manifestants ne sont que des pillards et des casseurs un argument qui est repris par leurs soutiens. Cependant, cet état de choses suscite des interrogations : doit-on tuer des gens parce qu’ils s’attaquent à des bâtiments ou à des marchandises ? Un bâtiment peut être reconstruit, mais un être humain, peut-il être ressuscité ? La question fondamentale serait donc : la vie d’un Gabonais vaut-elle un bâtiment ou un sac de riz ?

Vous avez chanté : « Laissez-nous avancer », tant mieux ! Puis « On te suit », de mieux en mieux ! Maintenant, nous avons des familles endeuillées, des concitoyens mutilés, traumatisés… que faites-vous ? Quelques-uns de vos collègues, peut-être même des proches, sont menacés, voire traqués parce qu’ils auraient été trop véhéments dans leurs attaques à l’endroit du pouvoir en place. On leur prédit des sorts pas très reluisants. Leurs photos sont diffusées sur les réseaux sociaux, en les présentant comme des vandales.

La connexion internet est rationnée au péril de plusieurs opérateurs économiques, l’accès aux réseaux sociaux et l’utilisation des applications telles que Whatsapp sont conditionnés par l’usage d’un VPN pour contourner les blocages, l’envoi des SMS est impossible, les écoutes téléphoniques sont florès, car Big Brother a largement déployé ses ailes, que fait-on, on le suit ? L’armée est partout dans l’espace public, les deux chaînes de télévision publiques avilissent le métier de journaliste alors que les chaînes de télévision proches de l’opposition sont attaquées, les locaux de Waze Music ont été saccagés, des sites internet d’informations ayant une ligne éditoriale libre sont « hackés » quand on ne bloque pas leur accès au Gabon… Que fait-on, on vous laisse avancer ?

À tous les rappeurs gabonais qui ont fait le choix de continuer à soutenir un pouvoir qui tire sur le peuple, qui immole des commerçants qui réclament leurs droits, qui humilie nos mères, qui n’a construit aucune salle de concerts en sept ans, qui n’a point fait évoluer le dossier des droits d’auteurs, votre conscience ne manquera pas de vous rappeler un jour que toutes ces victimes ne sont que les vôtres. Nous savons que plusieurs parmi vous n’ont pas fait ce choix par conviction, mais pour la poursuite de l’agréable et le refus du désagréable qui sont vos boussoles pour chercher à mener une existence heureuse.

Ne soyez pas étonnés si certains de vos aficionados vous tournent le dos. Apprenez dès à présent qu’on ne se moque pas du peuple sans payer des dégâts et le premier dégât pour un artiste est le boycott de ses fans. Gardez votre silence, mais sachez que le silence est une trahison. Au moment de la sanction, vos fans sauront agir, car votre mutisme face à barbarie du pouvoir en place n’est que complicité et comme le disait Martin Luther King : « celui qui accepte le mal sans lutter contre lui, coopère avec lui  ».

Hommage à toutes les victimes de la répression d’Ali Bongo Ondimba et de ses sbires.

Nguema Ndong, rappeur et blogueur gabonais

@info241.com
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