Tribune libre

Le positionnement « aveugle » de l’opposition décrié par un universitaire gabonais

Le positionnement « aveugle » de l’opposition décrié par un universitaire gabonais
Les principaux candidats de l’opposition gabonaise à la présidentielle de 2016 © 2016 D.R./Info241

Noël Bertrand Boundzanga, enseignant-chercheur, écrivain, membre fondateur du Club 90, défait dans cette tribune libre, le positionnement de chaque leader de l’opposition qui vivrait comme « dans sa bulle, croit pouvoir en finir avec la dynastie ou veut seulement mourir sous la lumière ». Faisant allusion à l’allégorie des insectes tués du fait de leur attrait à la lumière qui scintille dans la nuit, il conclu de cet "aveuglement" que les « papillons » de l’opposition gabonaise se désincarne à cause des intérêts personnels mortifères.

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Chacun de nous a pu observer le phénomène. La nuit tombée, une nuée d’insectes prend d’assaut des ampoules allumées. En fait, les insectes s’orientent en suivant les astres, notamment la lune. La nuit, ils vont vers les ampoules allumées, croyant que c’est la lune. Trompés, ils tournent autour d’elles. Cette erreur leur est fatale. Pourquoi ? Parce qu’ils en meurent, pour deux raisons simples : du fait de l’épuisement, car à force de tourner en rond, on perd ses forces au point d’en mourir ; et du fait qu’en tournant infiniment, les insectes ne se nourrissent ni ne se reproduisent. Quelle leçon tirer de ces insectes qui meurent de l’éclairage qui les attire ?

Etat des lieux du positionnement

Reprenons autrement les protagonistes dans une transposition à notre petit monde. Qu’est-ce que la lumière ? Je n’en donnerai pas une explication scientifique, risquant de me perdre dans le dédale des protons et des noyaux parce je n’en possède pas la connaissance. La lumière est ce qui éclaire et rend visible. Elle est si indispensable à la vie et que, provenant du soleil, les hommes ont fait de l’astre une divinité. La lumière guide et oriente. Dans le champ politique qui nous intéresse, les hommes veulent approcher la lumière pour « bien voir les choses » et, parfois, pour s’identifier à elles.

Les politiques veulent se rapprocher de la lumière pour être vus et pour qu’on les identifie à cette lumière dont ils veulent avoir la caractéristique, car qui détient la lumière détient le pouvoir. Mais en s’approchant de la lumière, ne risquent-ils pas de mourir comme les insectes ? Dans cette effervescence politique conduisant à l’élection présidentielle, plusieurs politiciens prétendent être pour nous des lumières, c’est-à-dire des guides. Précisément, en adéquation avec des rêves avoués ou inavoués de l’alternance et de la prospérité des populations, les politiciens promettent au peuple de l’alternance un renversement du régime.

Pourtant, avec des stratégies si éparpillées, ils ne peuvent manquer de faire surgir ces interrogations : font-ils la politique pour s’approcher de la lumière afin d’être vus ou, au contraire, veulent-ils devenir la lumière ? L’autopsie de la situation actuelle de l’opposition semble laisser croire qu’il s’agit d’une attraction de la lumière qui les absorbe au point de les tuer. Car, leur finalité, me semble-t-il est moins de devenir la lumière que d’être éclairés par la lumière et d’en être hypnotisés. Le problème n’est pas d’avoir le projet légitime et ambitieux d’être une lumière, mais de n’en vouloir que l’éclairage. En tirant profit seulement de l’éclairage, ils se limitent à n’être que des étincelles, qui atteignent leur apogée quand elles sont des feux de paille.

Ramenons les choses au plus clair. L’opposition annonce qu’elle va liquider le régime Bongo/PDG. Au bénéfice de l’histoire, une recomposition de cette opposition a eu lieu au point de n’être aujourd’hui composée que d’anciens et éminents membres du PDG. Deux grandes figures semblent se démarquer : Jean Ping et Guy Nzouba Ndama, mais on n’oubliera pas la pléthore de candidats qui veulent tous l’alternance, notamment Maganga Moussavou, Léon Paul Ngoulakia, Dieudonné Minlama, Raymond Ndong Sima, etc.

Dans toutes les langues, on veut la destitution ou la disqualification d’Ali Bongo qui se prend pour une lumière, mais qui n’a pas cessé de montrer qu’il est une figure maléfique, qui n’a le pouvoir que pour l’assombrir. Certains candidats prétendent qu’ils pourraient battre même cet ogre en allant aux élections. Question : comment fait-on pour vaincre un digne héritier du bricolage et du marchandage de tous genres alors que l’opposition est dispersée ? L’histoire du Gabon raconte que Mba Abessole s’y était essayé ; Pierre Mamboundou et, plus récemment Mba Obame, se sont neutralisés à l’issue de l’élection présidentielle de 2009 parce que tous les deux revendiquaient la même victoire donnant ainsi facilement le pouvoir à Ali Bongo.

Drôle d’histoire pour des candidats qui connaissaient les réels résultats, s’il y en a déjà eu dans ce pays. Aujourd’hui, ils nous ont précédés, comme on dit, dans la gloire éternelle. Je puis dire que les tentatives solitaires et les rassemblements parcellaires ont tous échoué à faire tomber la dictature-dynastie qui s’est emparée de notre pays depuis 1968. Les opposants voulaient-ils se rapprocher de la lumière pour être vus et donc pour nous éblouir, au sens où l’entend Joseph Tonda dans sa critique de la société postcoloniale, ou voulaient-ils devenir cette lumière même, c’est-à-dire posséder le pouvoir ?

A supposer qu’ils aient eu potentiellement l’envie du pouvoir, on ne peut cependant évaluer cette envie en tenant compte seulement de leur potentiel. Ce qui est virtuel ne peut être évalué que dans la transformation de l’énergie virtuelle en puissance factuelle. Les aventures solitaires semblent n’entretenir qu’une virtualité d’espèce qui ne conduit guère ses tenants à la détention du pouvoir, donc à présider aux destinées du Gabon. Or, en 2016, les mêmes logiques sont reproduites avec un tel aveuglément qu’il me paraît évident que les papillons mourront sous la lumière.

L’allégorie des papillons assimilée à l’action actuelle de l’opposition gabonaise

Rappelons ceci : les papillons meurent sous la lumière (ampoules) parce qu’ils s’épuisent en tournant autour de l’ampoule d’une part, et parce que, d’autre part, dans ce tournis éternel, ils oublient de s’alimenter et de se reproduire. La reproduction des mêmes logiques et leurs promesses devenues endémiques ont fini de lasser les populations qui, à défaut d’être sceptiques, tournent le dos à la politique, laissant allègrement l’imposture Bongo se poursuivre.

Rien n’est nouveau sous le ciel gabonais qu’un Ping ou qu’un Nzouba Ndama renoncent à ses privilèges d’hier et promettent de faire tomber le système Bongo-PDG. Rien n’est nouveau que les nouveaux prophètes se croient des destinées personnelles et qu’ils se refusent obstinément à des dynamiques de rassemblement. Mais plus grave, l’opposition a oublié de se reproduire. Son activisme n’a pas eu d’effet multiplicateur, au point qu’aucune opposition historique n’existe plus de nos jours.

C’est une défaite idéologique, qui travaille les mentalités dans leur fond même. En effet, l’idolâtrie à l’égard des figures de l’opposition fut une réplique de l’idolâtrie à l’égard du dictateur Omar Bongo qui imposait qu’on le vénère en le déifiant presque, puisqu’il est par ailleurs devenu immortel, son nom planant comme une ombre et comme une malédiction sur des âmes gabonaises en errance. Mais si Bongo a réussi le coup de la reproduction biologique (?), il l’a réussie aussi dans la reproduction idéologique. Ainsi, qu’ils furent au PDG, à Héritage et Modernité, ou indépendants, Ali Bongo, Ping et Nzouba Ndama n’ont de cesse de revendiquer l’héritage politique d’Omar Bongo, comme ce fut le cas d’André Mba Obame en 2009.

Où est donc passée l’opposition puisque la guéguerre politique en cours oppose exclusivement les héritiers d’Omar Bongo ? Aucune figure nouvelle donc n’est née de l’opposition et aucune idéologie n’a été enfantée pour engager une nouvelle dynamique, Myboto ayant lui aussi séjourné dans la protection du divin Omar Bongo. Nous sommes dans un ressassement éternel qui étouffe jusqu’à nos morts, et en premier lieu Joseph Rendjambé. Tout se passe comme si on s’amusait à mourir ; comme si, au lieu de mourir en cachette comme les oiseaux (Réf. Les oiseaux se cachent pour mourir), il fallait mourir en scène.

Tout ceci ne serait donc qu’un jeu qui, pourtant, ne cache pas ses ruses tragiques ! Va-t-on être tenté, doit-on suivre ceux qui vont mourir ? Ceux qui prétendent avoir les capacités de nous guider doivent nous montrer qu’ils ont non seulement les capacités mais également la stratégie pour y arriver et qu’ils ne vont donc pas mourir sous la lumière. Or Nzouba Ndama peut-il nous assurer qu’il peut battre Ali alors que toutes les institutions de l’Etat sont à son service ? Ping peut-il battre Ali alors que ce dernier a dans son ADN les règles de la tricherie, de la menace, du désordre et du potentat ? Chacun dans sa bulle croit-il pouvoir en finir avec la dynastie ou veut-il seulement mourir sous la lumière ? S’ils désirent la même chose, tous ces Maganga, Myboto, Casimir Oyé Mba, Léon Paul Ngoulakia, Moukagni Iwangou, etc., pourquoi ne travaillent-ils pas ensemble pour vaincre l’ogre ?

Une dynamique unitaire de l’opposition gabonaise s’impose

Ali Bongo a offert à la communauté nationale tant de raisons de s’opposer à lui et de le démettre. Seul, personne n’y parviendra. On dit qu’il n’y a plus suffisamment de temps pour les voies institutionnelles, surtout qu’au lieu de rester au perchoir contre Bongo, Nzouba Ndama a laissé à son adversaire d’aujourd’hui libre cours au Parlement. On dit aussi que les Bongo ne gagnent pas les élections, mais ils sont toujours présidents. On dit par ailleurs que des milliers de cadres, hauts cadres et même de grands commis de l’Etat ne veulent plus de ce régime.

Question : pourquoi ils ne se font pas voir ? Pourquoi ils ne soutiennent pas les mouvements contre le régime ? Pourquoi tous ceux qui veulent la même chose ne veulent pas travailler ensemble ? Le projet de l’Union Sacrée, que j’avais alors suggéré aussi au moment de la création du Club 90 fin 2014, est de mettre ensemble tous ceux qui veulent en finir avec la dynastie et les politiques économiques qui affaiblissent l’Etat et laissent les compatriotes dans de telles situations d’indignité qu’ils ne se sentent pas appartenir à cette nation.

Que le chronogramme de l’USP soit discutable, c’est un fait ; mais suffit-il pour s’en éloigner et saboter une idée pourtant de bon sens ? Les égos de ces hommes sont si surdimensionnés qu’ils sont incapables de s’oublier un moment pour briller éternellement ? Ali Bongo a donné un acte de naissance faux en 2009 pour se présenter à l’élection présidentielle. Doit-on le laisser se présenter à la prochaine ? Ali Bongo a lamentablement échoué à porter une nouvelle vision à notre vivre-ensemble. Doit-on le laisser nous conduire dans l’échec et le contentement des détails ?

Ali Bongo, depuis son père hypothétique, a verrouillé les mécanismes électoraux parce qu’il est dans un gouvernement éternel. Doit-on le laisser ainsi ruiner nos rêves de vérité et de transparence ? Les ténors prétendent qu’en démocratie, les personnes aptes et volontaires peuvent briguer le fauteuil présidentiel. C’est vrai, en régime démocratique ; le Gabon est-il sérieusement une démocratie ? Bien sûr, ce n’est pas la Corée du Nord, mais est-il seulement pensable qu’Ali Bongo abandonne le pouvoir aux urnes alors qu’il n’en a pas les aptitudes ?

Et, plus profondément, les opposants qui refusent de travailler ensemble ne travaillent-ils pas pour que les Bongo restent au pouvoir ? Il est certain que pour soutenir Ali Bongo, il n’est pas obligatoire d’appartenir à sa Majorité ; saboter la possibilité de l’alternance c’est appartenir nuitamment à cette Majorité. L’unité de l’opposition aujourd’hui doit s’entendre comme un cas de force majeur. Il faut se rassembler avant l’élection présidentielle pour être unis après.

D’interrogations en interrogations, se perdent dans leur déroulé des espoirs qui ont pourtant de bonnes raisons de demeurer. Que la lumière nous attire, c’est un fait naturel ; mais par les temps qui courent, il faut chercher à la détenir, non à en être éclairé. La dispersion de l’opposition semble militer en faveur d’un statu quo ; ils tournent en rond, peut-être se préparent-ils à mourir eux aussi sous la lumière. A moins que, aujourd’hui, ils comprennent la nécessité de leur unité pour prendre effectivement le pouvoir.

Noël Bertrand Boundzanga
Écrivain, enseignant chercheur à l’UOB, spécialiste des littératures africaines et francophones. Président du Club 90 Pour la Majorité Citoyenne

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