Portrait

Emile Kassa Mapsi, un résistant contrarié et rompu à la tâche au service du Gabon

Emile Kassa Mapsi, un résistant contrarié et rompu à la tâche au service du Gabon
Emile Kassa Mapsi, un résistant contrarié et rompu à la tâche au service du Gabon © 2022 D.R./Info241

En 1932, le Gabon n’est encore qu’une colonie française d’Afrique faisant partie du gouvernement général de l’Afrique équatoriale française. Cette même année naquit Emile Kassa Mapsi (1932-2021) dans la région sud du Gabon français. En dépit de la zone enclavée dans laquelle il fut élevé, ce futur emblème du territoire national eu une trajectoire bien similaire aux jeunes cadres de l’administration post indépendante qui pour des besoins d’édification républicaine, s’engagèrent aux côtés des dirigeants dont ils avaient décrié la gestion durant leurs années de militantisme en Europe et plus particulièrement en France.

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Avant que le peuple ne soit autorisé à disposer de lui-même par la Métropole, bon nombre d’apprenants universitaires dénoncèrent les manœuvres colonialistes, originaires d’un autre âge, que l’Etat français voulut perpétuer ad vitam aeternam dans le but d’accomplir sans discontinuité, ses desseins destructeurs de l’émancipation et de l’affirmation des peuples autochtones issus du « berceau du monde ».

L’illustre disparu

La résilience et l’abnégation qui caractérisaient plusieurs nouveaux « révoltés » des temps modernes provenant des milieux académiques des Hautes écoles et des Grandes universités de l’Hexagone se manifesta dans l’approche métropolitaine de léguer à ses anciennes dépendances, une souveraineté travestie au sein d’une nouvelle approche organisationnelle qui dans les tréfonds, arrogeait à l’ancien colonisateur, bon nombre de droits et de dispositions taillés à sa convenance.

Sans l’avoir anticipé, le référendum de 1958 fut dans un sens vomi par les esprits lucides et intrépides qui déchiffrèrent les intentions enfouies dans ce nouveau « deal » déséquilibré au profit des intérêts de celui qui le façonne. Par ailleurs, l’esprit républicain et citoyen de certains leur donna injonction de regagner la patrie pour l’y édifier au gré des convictions passées et des hésitations intermittentes, sans jamais vraiment les oublier.

 Naissance

C’est dans la région de Koulamoutou dans l’actuelle province de l’Ogooué-Lolo, au sud du Gabon français, que se déroula, le 6 novembre 1932, l’accouchement d’Emile Kassa Mapsi né Emile Kassa Mapessi. A cette époque, c’est le gouverneur-général de l’Afrique équatoriale française qui dirige ce territoire d’Afrique équatoriale.

 Parcours scolaire

Comme beaucoup de jeunes de son époque, Emile Kassa Mapsi a débités ses études dans les missions religieuses européennes. Après l’obtention de son Certificat d’études indigènes, il poursuit son enseignement au secondaire où il décroche son brevet d’études ainsi que son baccalauréat au courant des années 1950. Il obtient une bourse d’études et s’en va étudier la médecine et les sciences politiques en France notamment à Paris. Il fut diplômé dans cette discipline mais aussi dans le domaine des finances.

 Défenseur de la souveraineté gabonaise

A l’approche du référendum du 28 septembre 1958, des oppositions estudiantines pleuvent de partout jusqu’à « inonder » de crainte, les milieux politiques et décisionnels d’Afrique et de France. En cause, le format d’indépendance proposé par Paris aux territoires coloniaux qu’elles contrôlent depuis plus d’un siècle. En effet, la Métropole envisageait, par le biais de cette consultation populaire, d’octroyer aux peuples africains le droit de disposer d’eux-mêmes tout en gardant une position de « tutelle » sur ses possessions basées dans le « Berceau de l’humanité ». Pour quantité de souverainistes africains métropolitains et locaux, la plupart apprenants dans les « temples » d’enseignement en Hexagone, cette proposition était une injure à la cause noire qui a trop longtemps été foulée aux pieds par les colonisateurs européens.

Pour la communauté estudiantine gabonaise, il y avait urgence d’agir. Des groupes de défense de la condition institutionnelle gabonaise s’organisèrent pour battre campagne contre le refus de ce qu’ils considéraient comme un nouveau modèle de « l’indirect rule », mode de gestion coloniale indirecte utilisée dans les dépendances britanniques. Pour prévenir cette forme affirmée mais tout aussi tacite « d’esclavagisme néocolonial », des mécanismes de contre-attaque sont élaborés.
Plusieurs jeunes élites gabonaises conçoivent, sur place en France, une nouvelle organisation estudiantine de défense d’intérêts supérieurs gabonais dénommée Mouvement gabonais d’actions populaires (MGAP). Il s’agit, entre autres, de Marcel Eloi Chambrier, de Jean-Pierre Nzoghé Nguéma, de Paul Moukambi, de Gaston Boucka-Bu-Nziengui et bien sûr de Emile Kassa Mapsi.

Ces derniers tirèrent la sonnette d’alarme auprès de l’opinion nationale et internationale et appelèrent leurs compatriotes présents sur le territoire, à voter le « non » lors du référendum. Pour que cela puisse être possible, ces dénonciateurs du « colonialisme » apportent leur soutien à l’unique parti politique gabonais qui s’aligne sur leurs idées et la même conception qu’ils ont de l’avenir du pays, la formation nationaliste dont le nom était Parti de l’unité gabonaise (PUNGA) de Jean-Jacques Boucavel et de René Paul Sousatte. Cependant, Emile Kassa Mapsi était lui un membre fondateur et actif du MGAP. De surcroît, c’était un indépendantiste de la première heure. Il avait une idée assez limpide du vocable « démocratie » et celui-ci ne ressemblait en rien au « contrat » d’asservissement que la Métropole offrait aux habitants du Gabon.

Un compagnon de lutte de Emile Kassa Mapsi, le nommé Marcel Eloi Rahandi Chambrier justifia plus tard, l’action du MGAP « Nous ne voulions pas de cette indépendance donnée et viciée. Nous nous sommes donc réunis et avons décidé d’aller rencontrer nos aînés qui étaient des leaders écoutés. C’est ainsi que nous sommes allés voir Houphouët-Boigny qui nous a écouté et salué notre engagement.  ». En dépit de leur engagement certain et de leur mobilisation entière, les gabonais acceptèrent le « deal » que leur proposait les autorités françaises. Avec cet échec cuisant, plus de 90% de la population s’étant prononcée en faveur du « oui », les anticolonialistes convaincus que furent Emile Kassa Mapsi et ses compagnons de lutte tapèrent un grand coup dans la fourmilière.

Libreville et Paris mirent les petits plats dans les grands pour amoindrir leur dynamisme et faire taire leurs aspirations indépendantistes et souverainistes. Plusieurs constatèrent la suspension de leurs bourses d’études et d’autres furent traduits en justice. Par peur de représailles encore plus dangereuses et leur principal combat politique de l’époque perdu, la quasi-totalité des architectes du MGAP décidèrent de regagner leur pays en essayant de le délivrer de son mal depuis l’intérieur du système qui l’asphyxiait. Beaucoup comme Emile Kassa Mapsi s’obligèrent à collaborer avec l’indésirable président Léon Mba.

 Logique militante

Après avoir regagné sa terre natale le Gabon, Emile Kassa Mapsi tait ses ardeurs et commence à travailler dans l’administration gabonaise. L’accumulation des dérives du président Léon Mba qui va même jusqu’à placer en résidence surveillée son « alter ego », Paul-Marie Gondjout, après l’avoir destitué de façon abusive et anticonstitutionnelle, réveillent en lui d’anciennes convictions durement enfouies. Après une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale pour évincer Jean-Hilaire Aubame du Parlement, le 21 janvier 1964, plusieurs voies contestatrices se lèvent notamment celle de l’armée.

Cette dernière renverse Léon Mba du pouvoir dans la nuit du 17 au 18 février 1964 et sollicite Jean-Hilaire Aubame afin qu’il puisse devenir le chef et le ministre des Armées du gouvernement provisoire qu’elle compte mettre en place. Les militaires gabonais chargent aussi Aubame de composer un gouvernement. Dans celui-ci, le nom d’Emile Kassa Mapsi y apparaît et est associé à la fonction ministérielle de « Ministre d’Etat, ministre des Finances ». Contacté, l’intéressé accepte la proposition sans la moindre hésitation.

Mais l’armée de la Communauté franco-africaine réinstalle hâtivement le président Léon Mba en conformité avec les accords de défense signés entre La France et le Gabon. Paris trouve un subterfuge pour justifier son intervention. Après son réinvestissement au pouvoir, le président gabonais est courroucé et jure de faire payer le prix fort aux auteurs de sa destitution. Après plusieurs mois d’emprisonnement dans une sorte de centre d’incarcération non loin de Libreville en attendant leur procès, les putschistes sont finalement présentés en août 1964 devant le juge chargé par Léon Mba de l’affaire.

Ironie du sort, ce n’est autre que Léon Augé, un ancien grand leader anticolonialiste militant au sein de l’Association générale des étudiants gabonais (AGEG), anciennement dénommée Association des étudiants gabonais (AEG), qu’il avait lui-même créée en 1949. Emile Kassa Mapsi fut condamné à 10 ans de prison. En 1967, le président Léon Mba décède et Omar Bongo est appelé à présider au destin du pays. Il fait libérer plusieurs incriminés de 1964 dont Emile Kassa Mapsi.

 Carrière politique

En 1968, Emile Kassa Mapsi est nommé par Albert Bongo patron du ministère des Affaires économiques, du Plan, des Mines, de l’Energie et des Ressources hydrauliques. C’est son grand baptême au gouvernement. Par la suite, il sera promu au poste de ministre d’Etat chargé de l’Ambassade de la République gabonaise auprès des Communautés européennes. De 1980 à 1983, Kassa Mapsi a occupé le poste de président du Conseil économique et social (CES) renommé depuis 2022, Conseil économique, social et environnemental (CESE).

De 1987 à 1990, il fut nommé 3ème vice-premier ministre, ministre de la Fonction publique et de la Réforme administrative chargé des relations avec les Assemblées. Le natif de Mouila fut, entre autres, ambassadeur du Gabon en Belgique et auprès de la Communauté économique européenne (CEE) ancêtre de la Communauté européenne (CE) et de l’Union européenne (UE). Au sein de celle-ci, il a brillé par ses positions réfléchies et par sa clairvoyance. Plusieurs diplomates européens notamment français, éprouvé pour cet homme d’un enseignement élevé, une admiration sincère et méritée.

Il fut aussi l’un des conseillers spéciaux d’Omar Bongo. Emile Kassa Mapsi a, par ailleurs, été conseiller municipal de la commune de Mouila ainsi que sénateur de circonscription de la provine de la Ngounié. Au sénat, il a été président de la Commission des affaires étrangères de la défense nationale et des relations internationales du Sénat.

Grosse ombre cependant au tableau pour Emile Kassa Mapsi. Plusieurs de ses frères de lutte critiquèrent son rapprochement éclair et prononcé entre lui et Omar Bongo car l’ancien résistant du MGAP cautionnait étrangement la logique d’hyper présidentialisation du chef de l’Etat gabonais. Bien que certains comme lui aient rejoint le pays à l’appel d’une réconciliation nationale lancée par Bongo au moment de sa prise du pouvoir, au nom de l’intérêt supérieur de la Nation, ils évitaient certaines rencontres avec Bongo dont il ne voulait partager aucune intimité et aucune bienveillance.

D’autres faisaient directement front au dictateur président en le payant malheureusement de leurs vies. Ce fut le cas de Germain Mba, ancien anticolonialiste et maquisard gabonais, qui fut lâchement assassiné à Libreville, une nuit du 17 septembre 1971. A la fin des années 1970, Omar Bongo aurait eu l’intention de monarchiser le pays comme Bokassa avant lui en Centrafrique. Plusieurs personnalités du gouvernement dont Kassa Mapsi auraient été informés du sombre projet et auraient avalisé les desseins empiriques de l’ancien vice-président de Léon Gabriel Mba Minko. Une allégation qui n’a jamais été confirmée.

Bien qu’étant un homme lucide et de bonne éducation, la collaboration et la sympathie entre Kassa Mapsi et Omar Bongo fut souvent gênante voire allégorique. Certains diront que le jeune président avait sûrement sauvé la mise à Emile Kassa Mapsi qui, sans la volonté de Bongo, continuerait assurément à croupir dans les geôles de Libreville. Cette raison expliquerait peut-être la docilité qu’avait l’ancien étudiant en droit à Paris qui collabora avec Bongo malgré l’édiction de l’autocratisation, le 13 mars 1968. La même année, Emile Kassa Mapssi fut nommé ministre.

 Dernières prises de position

S’étant mis en retrait de la vie politique gabonaise pendant plusieurs années, Emile Kassa Mapsi s’étant à nouveau produit sur le devant de l’arène politique en 2015 aux côtés d’un groupe de doyens gabonais du nom de Collectif des anciens cadres, notables et dignitaires de République (CACNDR). En 2016, Emile Kassa Mapsi exhorte la majorité et l’opposition à dialoguer tout en appelant au calme suite aux tensions nées de l’élection présidentielle du 30 août 2016 et des violences postélectorales qui s’en sont suivies.

En 2019, il avait aussi été partisan d’une vacance de pouvoir en raison des problèmes rencontrés par Ali Bongo Ondimba, président en exercice de la République gabonaise, depuis son accident vasculaire cérébral du 24 octobre 2018. En juillet 2020, une modification du Code pénal gabonais acte la dépénalisation de l’homosexualité au Gabon. Emile Kassa Mapsi s’insurge contre cette décision en appelant au « respect des valeurs héritées de nos aïeux à l’esprit et à la lettre de la loi fondamental ».

 Disparition, hommages et haute distinction

Emile Kassa Mapsi a mené la dernière lutte de sa vie en le 18 juillet 2021 France dans un établissement sanitaire située en banlieue parisienne, là où tout avait commencé. L’homme était âgé de 89 ans. Plusieurs hommages vinrent saluer la mémoire de l’ancien membre de MGAP émanant d’hommes politiques importants en tête desquelles Jean Ping, principal opposant à Ali Bongo au scrutin présidentiel de 2016 et ancien ministre gabonais des Affaires étrangères et de la Coopération ou encore Alexandre Barro Chambrier, fils de son ancien compagnon de lutte Marcel Eloi Chambrier.

La Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) l’a fait éponyme d’une de ses représentations située dans la province de la Ngounié. Le Parti démocratique gabonais (PDG) dans lequel il a été un pilier important avait aussi rendu un hommage distingué à l’un des hommes qui a participé à son implantation et à son édification dans le Sud du Gabon et ce depuis le commencement de l’époque des « 23 glorieuses » du Parti unique.

En reconnaissance de l’éminence des services rendus à la République française et à la vue de son exceptionnelle et longue carrière, il reçoit des mains de l’Ambassadeur Dominique Renaux, haut représentant de la République française au Gabon, les insignes républicains de l’Ordre national de la Légion d’honneur qui l’élèvent au grade de Commandeur, c’est-à-dire la plus haute décoration honorifique d’Hexagone. Le grade de « Commandeur » est le 3ème plus important dudit l’Ordre après ceux de « Grand-croix » et « Grand officier ».

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