Tribune libre

L’éloge de l’indivisibilité du Gabon, en réponse des propos de Max Anicet Koumba

L’éloge de l’indivisibilité du Gabon, en réponse des propos de Max Anicet Koumba
L’éloge de l’indivisibilité du Gabon, en réponse des propos de Max Anicet Koumba © 2021 D.R./Info241

Le docteur Albin-Baptiste Mabicka Mabicka nous livre dans cette tribune, une réplique aux propos tribalistes du président du Rassemblement des gaulois Max Anicet Koumba.

Moov Africa

La construction de la nation gabonaise s’est faite à partir d’une composante multiethnique. La plupart de références ethniques ont été perçus comme une problématique favorable à l’édification de l’unité nationale. Ainsi est conçu, mieux, est perçu « l’État-nation » au Gabon. Celui-ci embraie sur la puissance de l’État-nation et une profonde connaissance de l’histoire séculaire des peuples.

Dans cette perspective, le système institutionnel, politique et culturel permet de cultiver un mode de vie en communauté qui s’appuie davantage sur le respect de l’autre. Ce terme revient ou reste omniprésent dans ce vivre-ensemble. Le respect, ou respicere en latin, (« regarder en arrière ») ou dukinzu en Lumbu, renvoie à ce que Jacques Attali désigne comme « l’idée de tenir une promesse, d’appliquer un contrat, de suivre les règles d’un jeu  ».

Il enseigne la valeur accordée à l’autre en raison de ses nombreuses qualités, de sa différence, ou encore, plus proche de notre sujet, de son ethnie. Le respect d’autrui est l’une des données les mieux représentées dans toutes les langues, que l’on soit Bakota, Nzebi, Fang, Myené, Punu, etc. Cette valeur institue une parité sociale et une tolérance indispensable à la pacification des rapports sociaux.

Cette idée est fondatrice de l’acceptation de l’autre. En effet, chaque groupe ethnique traîne sa charge culturelle, historique et anthropologique en dépit de son contact avec l’autre. C’est donc dans ce sens que s’est construite la nation, car les différences se conjuguent sous des jours nouveaux. Les peuples ont appris à communiquer, à traiter, à commercer, et même à vivre ensemble dans des interactions des mariages. De ces contacts sont nés des imaginaires développés sur l’autre. Chaque partie a développé une image.

Cependant, comme la construction de la démocratie, les discours sur une communauté culturelle interrogent et restent un sujet sensible. C’est dans cette perspective que le controversé propos du personnage de Sieur Max Anicet Koumba s’inscrit aujourd’hui. La tribune usée par ce dernier connote nettement la symbolique du lieu et son inscription idéologique, notamment la sphère politique ici représentée par le (CND) Conseil National de la Démocratie.

De ce fait, plusieurs questions se posent. Pourquoi donc une telle sortie médiatique ? Pour quelle fin politique, sociale ou culturelle ? Enfin, peut-on comprendre la réception de ce propos, ici et là ?

Les vagues de protestations des uns et des autres supposent une rupture du pacte social lié au respect et à l’intégrité de chaque groupe. Les autres y voient tout simplement un acte de provocation qui relève de l’incivilité, de l’impolitesse, de la discourtoisie au sein d’un État de droit. La gravité soulignée par la sortie médiatique du ministre de l’Intérieur témoigne de l’importance de la situation. Si Essodina Bamaze Ngani (« Politiser ou privatiser l’ethnie ? Réflexion à propos du bien commun en Afrique postcoloniale » ) conseille de ne pas inscrire la réflexion sur l’unité nationale dans l’activité politique, ou encore la privatiser dans ce même domaine, il semble que, malheureusement, le politique en a fait une base à la fabrique d’une idéologie utile à ses ambitions.

Cette séquence n’est pas isolée, a priori. Elle se nourrit d’un discours entretenu pacifiquement par la société et souvent amplifié par le politique. Certains d’entre eux, très souvent, à la lisière des échéances électorales, clament volontiers la supériorité d’une ethnie à l’égard d’une autre. Par exemple, le « tout sauf… », expression bien connue et souvent employée lors des échéances électorales, des nominations aux postes de responsabilité ou de promotion sociale réactualise le débat sur la place de telle ou telle autre communauté au sein de la société gabonaise. Guy Rossatanga-Rignault (« Identités et démocratie en Afrique : entre hypocrisie et faits têtus ») parle d’hypocrisie qui se caractérise par « une concurrence permanente entre identité nationale et infra-identités ethniques ».

Symphorien Nguema Ezema (« Démocratie pluraliste et ethnie en Afrique »), quant à lui, soulève les points dangereux liés aux référents ethniques. Ces approches convergent puisqu’elles rejettent l’ethnie comme motivation d’un programme politique national. Cette démarche joue un jeu grave et dangereux pour la paix et la cohésion sociale. De ce fait, le programme politique gabonais ne répond pas toujours à une idéologie savamment élaborée sur l’éthique et la cohésion sociale. Ces programmes sont davantage orientés vers la personnification du pouvoir. Ainsi, il n’est pas rare d’écouter que ce ministère, cette administration ou cette entreprise appartiennent à telle ou telle ethnie, privant ainsi le pays de toutes ces compétences étant donné que les nominations se font le plus souvent sur le substrat ethnique.

De plus, que l’on soit sur les réseaux sociaux ou entre membres d’une même ethnie, combien de fois un post, une image plus ou moins dégradante est accolé à telle ou telle ethnie. Si les fous rires dominent face à de telles « plaisanteries », elles peuvent néanmoins laisser entrevoir un sentiment de propagande d’intentions malsaines inavouées. Le propos de Sieur Max Anicet Koumba, n’est qu’une fuite de ces discours longtemps entretenus au quotidien même si, en soi, il se range davantage dans le rire, la plaisanterie...

Aujourd’hui, ces représentations fantasmées de l’autre ont débouché sur un certain nombre de discours sociaux qui font florès dans la société gabonaise. Ceux-ci s’amplifient innocemment par des emplois négligeables au quotidien : ils se narrent, se lisent, s’invitent sur les réseaux sociaux, se médiatisent avec pour seul but de railler gentiment l’autre. Ces discours constituent en revanche, un soubassement de haine lorsqu’ils s’invitent dans le débat politique où ils sont instrumentalisés par les politiques.

Ces discours sociaux méritent d’être analysés dans leur formation progressive, dans leur authenticité historique afin de questionner leur influence et leur apport dans le débat public et surtout politique. Le refus d’y consacrer une réflexion probante peut avoir des conséquences potentiellement désastreuses à l’instar d’autres pays présentant la même configuration ethnique. L’élimination des juifs par Hitler ou plus proche de nous, le génocide du Rwanda, ou encore les guerres intercommunautaires au Kenya résultent d’une carence de respect pour l’autre ou la tolérance de sa différence.

À l’aune de temps préélectoraux, les discours à caractère ethnique tendent à se multiplier. Dans la situation particulière du Gabon, il est important d’apporter une réponse appropriée afin de continuer à consolider l’unité nationale gage du vivre ensemble. Cela passe par une concertation plurielle de tous les acteurs politiques, sociaux, intellectuels et culturels pour les tensions ethniques.

Si aujourd’hui, les fortes tensions ébranlent le tissu collectif de notre société, comment comprendre la persistance et l’implosion de ces micros discours qui influencent, malheureusement de façon inquiétante, le débat politique au Gabon, et semblent mettre en mal le principe même de l’État-nation qui suppose un vivre ensemble entre différentes communautés ?

En somme, le principe d’« unité nationale », en dépit de sa résonance politique, conditionne avant tout une exigence éminemment sociologique dans un espace pluriethnique tel que le Gabon. La connexion intercommunauté en dépend, car faire société dans cet espace implique inéluctablement une adjonction des composantes ethniques hétéroclites à cet espace. Et la solidité de cette unité sociale prévaut sur les particularités de chaque groupe. Autrement dit, les singularités s’inclinent devant la globalité, en l’occurrence la nation, qui se veut fédératrice.

Albin-Baptiste Mabicka Mabicka

@info241.com
Moov Africa

Newsletter de Info241.com

Inscrivez-vous maintenant pour recevoir notre newsletter quotidienne


Info241.com s'engage à ne pas vous envoyer de messages non sollicités. Si vous changez d'avis, vous pourrez vous désabonner de cette newsletter à tout moment.

Commenter l'article