Portrait

Pierre Péan, l’homme qui osa révéler les travers de la famille Bongo et de la françafrique

Pierre Péan, l’homme qui osa révéler les travers de la famille Bongo et de la françafrique
Pierre Péan, l’homme qui osa révéler les travers de la famille Bongo et de la françafrique © 2022 D.R./Info241

Dans la pensée collective gabonaise, jamais un homme n’avait réussi à vulgariser sinon à dévoiler à la face du monde, des divulgations aussi graves concernant les secrets aussi bien gardés et protégés que ceux de la famille du président Omar Bongo. Mais Pierre Péan (1938-2019), journaliste d’initiative, d’enquêtes et non d’investigations comme il se refusait à se faire appeler ni qualifier, fut l’un des premiers hommes des médias sinon le premier, à lever le voile sur la vie privée d’un chef d’Etat africain aussi puissant que celui du Gabon.

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En plus de plusieurs scandales financiers entre les autorités françaises et gabonaises affichés à la lumière du jour, le natif de Sablé-sur-Sarthe en région Pays de la Loire, en terre française, s’est longtemps penché sur les malversations pécuniaires et administratives de la présidence gabonaise. Son travail s’est aussi attardé sur les connections des réseaux françafricains qui liaient des hauts responsables de Paris à ceux de Libreville. C’est fort de ses solides et anciens contacts tissés au début des premières années d’indépendance dans l’ancienne « capitale » du Congo français, que Pierre Péan fera naître des œuvres inédites et plébiscitées des affaires la concernant.

L’illustre disparu

Parmi les plus célèbres, on peut sans se tromper citer « Affaires africaines  », « L’argent noir : corruption et sous- développement  », « L’Homme de l’ombre : éléments d’enquête autour de Jacques Foccart, l’homme le plus mystérieux et le plus puissant du début de la 5ème république », « Carnages : les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique » et « La République des mallettes » parues respectivement en 1983, en 1988, en 1990, en 2009, en 2010 et en 2011.

Le très épineux et contesté « Nouvelles affaires africaines : Mensonges et pillages au Gabon  » sort lui près de deux ans avant le très indécis et attendu scrutin présidentiel d’août 2016 et expose une nouvelle fois, l’ancienne épouse du président Omar ainsi qu’un éminent membre du clan Bongo : son fils Ali Bongo Ondimba l’ayant succédé en 2009 à la tête du Gabon. Ces productions littéraires de Pierre Péan présentèrent des aspects inimaginés du régime dont il fut la pierre angulaire et des relations sombres et mafieuses qu’il aurait entretenues avec le sillage politico-affairiste de son ancienne administration métropolitaine coloniale toujours basée dans l’actuelle capitale de la mode.

 Naissance

C’est le 5 mars 1938 qu’est né Pierre-Eugène Adolphe Jean Péan à Sablé-sur-Sarthe, une région du Pays de la Loire au sud-est de la France. Il est le fils d’Eugène Péan, un coiffeur exerçant dans le département de la Sarthe et d’Alice Gougeon qui était, elle, femme au foyer.

 Cursus

Pierre-Eugène Adolphe Jean Péan n’a pas toujours été le journaliste brillant qu’il fut. Petit, il rencontrait plusieurs difficultés dans l’expression orale et écrite en langue française. Ses enseignants avaient perdu tout espoir quant à une possible réussite scolaire. Par l’effort et l’abnégation, il put améliorer, peu à peu, ses moyennes en français. «  C’est pour m’obliger à effacer cette carence et à corriger cette tare que je suis devenu journaliste. Ecrire pour moi c’est un bonheur mais, c’est aussi resté une douleur », s’expliquait-t-il sur cette partie amère de son passé.

Par ailleurs, Pierre Péan fit ses études secondaires à l’établissement d’enseignement privé catholique Saint-Julien, situé dans la ville d’Angers. Après son baccalauréat, il rejoint l’Université d’Angers où il fera des études en droit, section sciences économiques. Après l’obtention de sa licence en sciences économiques, il s’établit dans la capitale française et s’inscrit à l’université de la Sorbonne, au sein de son institut d’études politiques Sciences-Po Paris. Il fera plusieurs petites bricoles pour pouvoir gagner ses charges de jeune étudiant.

 Carrière immobilière et journalistique

Au mois de décembre 1964, Pierre Péan quitte le Gabon, petit émirat pétrolier d’Afrique centrale autrefois dénommée Afrique équatoriale française (AEF), dans lequel il vient de passer un an et demi voire environ deux ans à tout casser. Il revient en France notamment à Paris et commence sa carrière professionnelle dans l’immobilier. De 1964 à 1970, Pierre Péan est promoteur immobilier. Cependant au fil des années, la routine s’installe et il devient las de cette activité. Malgré qu’il gagne suffisamment bien sa vie, le fils d’Eugène Péan tient à réaliser un rêve qui a longtemps bercé ses nuits et ses moments de réflexion : celui de devenir journaliste.

Il s’était déjà essayé au jeu, en écrivant dans l’organe médiatique français de presse écrite « Le Monde », une lettre ouverte sur la malsaine ingérence française en Afrique. En 1969, des écrits de Pierre Péan apparaissent à nouveau dans le journal « Le Monde » traitant de l’interdiction des livraisons d’armes vers Israël. Ambitieux, il adresse une demande d’emploi pour intégrer les équipes de rédaction dudit média français qui était « Un vieux rêve, écrire dans le plus grand quotidien afin d’effacer mes mauvaises notes en français  », selon des déclarations du concerné.

Ne recevant aucune réponse, Pierre Péan ne perd pas la foi malgré cette grande désillusion et son désappointement. Il prend la décision de tenter sa chance dans une autre entité médiatique qui n’est autre que l’Agence France presse (AFP). Péan intègre finalement le service économique de l’AFP en 1970 et pond quelques articles distingués. En 1974, il quitte l’agence et atterrit au magazine français d’actualité hebdomadaire L’Express. C’est durant ces années-là, au terme des Trente Glorieuses et en pleine flambée des prix des cours du pétrole, qu’il se penchera pour la première fois sur des affaires assez complexes et dangereuses en lien avec la politique étrangère de la France.

Ce, via la Direction générale des services extérieures (DGSE) et en connivence avec le destin de l’or noir suite aux bouleversement climatiques. Sans y avoir même été en poste, ne serait-ce qu’un an, Pierre péan pose sa démission à l’administration de « L’Express » la même année de son embauche car il ne partage plus les mêmes idées partisanes avec la trajectoire éditorialise concernant l’Etat hébraïque d’Israël. Mais le « bohémien des médias » qu’il fut trouva confortablement sa place, auprès du média français de presse papier « Le Nouvel Economiste ».

Au sein de son nouvel environnement professionnel, Pierre Péan s’affirmera davantage dans sa passion concernant le journalisme en écrivant une première œuvre en 1974 « Pétrole : La troisième guerre mondiale ». Il commence à être de plus en plus connu et ses livres se vendent moyennement bien vue qu’il en écrivait au minimum un chaque année. L’homme devient une vedette des médias d’enquête avec son livre « Bokassa 1er  » paru en 1977. Elle permit à François Mitterrand de remporter la présidentielle de 1981 car la culpabilité de l’ancien chef de l’Etat français, Valérie Giscard d’Estaing (VGE), dans le cataclysmique dossier politique de « L’affaires des diamants de Bokassa » d’octobre 1979, avait été prouvée notamment par le précieux concours de Pierre Péan.

Il avait fourni à l’hebdomadaire français satirique d’enquête « Le Canard Enchaîné », un document signé par l’empereur Bokassa 1er de Centrafrique, lui-même, qui attestait la réception d’une plaquette d’or, d’environ 30 carats, par VGE au moment où il était Ministère d’Etat, Ministre de l’Economie et des Finances entre 1969 et 1974 ; certains membres de la famille et des proches de VGE avaient eux aussi bénéficié de livraisons de diamant. Cela démontrait bien que des liens incestueux existaient bien entre les deux hommes. Par ailleurs, c’est en 1983 que Pierre Péan provoqua un séisme de magnitude 9 sur « l’échelle de Richter politique » quand la publication de son œuvre « Affaires africaines » fut effective.

 Révélations et investigations de la nébuleuse Françafrique à la gabonaise : La genèse

En 1962 alors qu’il est étudiant à Paris, Pierre Péan fait fortuitement la connaissance, de deux jeunes ministres gabonais en visite officielle, les nommés François Méyé et Jean-Marc Ekoh Ngyéma. Une société de transport de luxe l’embauche pour être l’un de ses chauffeurs de direction, c’est-à-dire conducteurs automobiles de personnes très importantes, Very important person (VIP) en anglais. Un bon feeling entre les trois protagonistes est tout de suite au rendez-vous et des affinités naissent. Ces derniers l’invitent à Libreville au Gabon. En lieu et place du service national qu’il était censé faire en Algérie en 1962 et qu’il refusa d’exercer, Pierre Péan est envoyé la même année au Gabon sous la houlette de la Coopération franco-gabonaise.

Il y était comme attaché de cabinet au ministère des Finances qui est dirigé par son « frère » gabonais, François Méyé. Mais ses habitudes dans sa vie au quotidien sont très dépréciées par les autres ressortissants français présent au Gabon. En effet, l’ancien pensionnaire du lycée catholique Saint Julien emprunte très souvent des transports en commun et s’adonnent à des activités plutôt locales et non européennes mis à part la pratique du tennis. Son habitation est singulière et l’on ne sait réellement rien sur lui, du moins les gens de sa communauté, car il est le plus de son temps avec ses amis autochtones du pays.

Au courant de l’année 1963, Pierre Péan se rend dans un camp militaire en Centrafrique pour finalement effectuer son service militaire traditionnel en y passant seulement un semestre. De retour au Gabon, il est affecté au Ministère des Affaires étrangères et de la Coopération, son ami François Méyé ayant été nommé au ministre du Travail. Il travaille au sein du service de la gestion des bourses de coopération et s‘était déjà lié d’amitié avec l’ancien député gabonais à l’Assemblée nationale française et président de l’Union démocratique et sociale gabonaise (UDSG), Jean-Hilaire Aubame Eyéghé.

En février 1964, un coup d’Etat, évinçant le président Léon Gabriel Mba Minko, a lieu au Gabon et à cette période, Pierre Péan y est toujours en poste mais assiste impuissant à l’arrestation de ses camarades, François Méyé, Jean-Marc Ekoh Ngyéma ainsi que Jean-Hilaire Aubame. Le nom du premier ne figure pas dans le gouvernement provisoire formé par Aubame qui y occupait les fonctions de Premier ministre et de ministre des Armées. Le nom de sieur Ekoh lui y figurait en qualité de ministre des Affaires étrangères et de la coopération. De façon expresse, la France rétablira Léon Mba au pouvoir. Ses camarades sont tous arrêtés et envoyés dans un centre d’incarcération de Libreville du nom de « Dom-les-Bam » qui était par le passé, un campement forestier.

L’ancien chauffeur de maître de Méyé et d’Ekoh Jean-Marc va alors se mobiliser et faire jouer ses connaissances pour sauver la mise à ses amis. Le juge chargé de l’affaire, Léon Augé, est aussi un proche de Péan et il orchestre un plan assez malicieux consistant à rédiger le réquisitoire de Augé. Finalement, seul Jean-Hilaire Aubame sera condamné lourdement. Péan disait de lui que « Sa formation en tant que catholique pratiquant et fonctionnaires des douanes, a contribué à faire de lui un homme intégré dont le pouvoir politique n’était pas une fin en soi  ». Cependant, François et Jean-Marc recouvriront leur liberté. Par la suite, Pierre Péan mettra sur pied une association franco-gabonaise et commencera dès lors à dénoncer l’ignoble ingérence des autorités de Paris à l’endroit des décisions et des orientations politiques du Gabon.

Souvenez-vous de la fois où Péan avait fait paraître une lettre ouverte au journal « Le Monde » en 1964, ce n’était pas un acte isolé mais bien en étroite logique avec ce qu’il avait vécu, en étant sur le territoire gabonais, l’année du putsch avorté. Vers la fin du mois de décembre 1964, Pierre Péan s’empressa de regagner la France, pour sauvegarder sa vie, qui était sérieusement menacée selon un élément des services de renseignements français travaillant à la présidence qui lui tenu informé de ce qui se tramait contre sa personne.

C’est durant ce court séjour gabonais que Pierre Péan se construisit un véritable cercle d’amis et d’associés au sein du microcosme politique gabonais, un agenda qui lui permettra plus tard de clairsemer le grand public sur les alliances et les relations obscures entre Libreville et Paris. C’est aussi au Gabon que Pierre-Eugène Péan fera la rencontre de celle qui partagera avec lui, sa vie jusqu’à son dernier souffle. De nationalité française, elle était aussi en fonction sur place dans le cadre de la coopération franco-gabonaise.

 Révélations et investigations de la nébuleuse Françafrique à la gabonaise : Le déroulement

En 1983, François Mitterrand est président de la République française depuis près de deux ans. Le Gabon lui est dirigé d’une main de fer par Omar Bongo, digne héritier du pouvoir depuis 1967 à la mort de Léon Mba, premier chef d’Etat du pays du 12 février 1961 au 27 novembre 1967. C’est l’année que choisit Pierre Péan pour mettre un grand coup de pied dans la « fourmilière » relationnelle entre « Marianne » et sa fille, la « Cendrillon » d’Afrique. Le livre « Affaires africaines », essentiellement axé sur le Gabon, paraît la même année et les révélations qu’il comporte sont d’une gravité incommensurable.

On y apprend que Jacques Foccart, secrétaire général de l’Elysée aux affaires africaines et malgaches de 1960 à 1974, fut l’architecte de la très dénoncée et impopulaire « Françafrique », système de domination et de liaisons secrètes à caractère néocoloniale entre l’Hexagone et ses anciennes dépendances africaines notamment celles se trouvant en zone subsaharienne. Péan affirme que Foccart a aussi été, l’instigateur « taille patron » au Gabon, d’un système pervers de rapports clandestinement structurés pour tout d’abord, réinstaller son « ami » Mba au pouvoir car celui était considéré comme un grand collaborateur du Président de Gaulle et un excellent « élève » en matière de Coopération franco-gabonaise pour Foccart, bien sûr à l’avantage de la France.

C’est d’ailleurs dans cet ouvrage qu’on apprend qu’une ruse aurait permis à la France d’intervenir suite aux traités de défense conclus entre les deux pays. En effet, pour que l’intervention soit commode et en accord avec le Droit et les textes de loi, il fallait que le vice-président du Gabon puisse avaliser l’opération militaire de restitution du pouvoir à Léon Mba. Il a donc fallu pondre un document antidaté que l’intéressé signerait plus tard. L’auteur français affirmait d’ailleurs concernant cette période « Pendant deux ans, j’ai vu se mettre en place la quintessence du système Foccart ».

Une autre histoire qui va tout autant faire couler beaucoup d’encre et de salive relaté brièvement dans ce roman de Péan et dans son œuvre « Carnages : les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique » est celle de l’intrépide allégeance et de la complicité certaine d’Albert-Bernard Bongo dans la guerre du Biafra, région du Sud-est du Nigéria. En fait, ce dernier apporta toute son assistance à la France à qui il devait sa fonction de président suite à un possible refus de Georges Rawiri, l’actuel ambassadeur du Gabon en France à cette époque, qui aurait choisi de diriger le pays dans de manière souterraine. Albert Bongo permit donc à de Gaulle et Foccart d’utiliser son pays entre 1967 et 1970, comme base arrière de l’appui militaire français au gouvernement sécessionniste du colonel Odumegwu Ojukwu qui en avait la charge.

Philippe Lettéron, conseiller politique français à la présidence Gabonaise de 1968 à 1983, veillait à l’engagement sans faille de Bongo tout en assurant l’aide militaire nécessaire aux insurgés séparatistes. Péan n’hésita pas à accuser Foccart d’être celui qui facilita l’accession de Bongo à la présidence du Gabon du fait de sa malléabilité et de sa fidélité à Bongo donc à Georges Rawiri et par conséquent à la France. C’était là le triangle vicieux du début du néocolonialisme implanté au Gabon depuis les années 1963. Ces explications pour le journaliste d’enquête qu’il fut servaient aussi à démontrer la position funeste dans laquelle Albert-Bernard s’était mise, ne pouvant rien refuser au « patronat » politique français même les besognes les plus abjectes et impensables.

« Affaires africaines » mit aussi en exergue la collaboration que Bongo entretint une nouvelle fois avec Foccart et très certainement le président Georges Pompidou, de 1968 à 1974, pour destituer le 6 janvier 1977, le chef de l’Etat béninois Mathieu Kérékou avec la participation du tristement célèbre mercenaire français, Bob Denard. Cinq ans plus tard, l’enquêteur journalistique publia en 1988, l’œuvre « L’argent noir : corruption et sous-développement », dont les conclusions furent elles aussi salées et retentissantes à l’endroit du locataire du palais du bord de mer de Libreville.

Omar Bongo aurait selon Pierre Péan, été au milieu d’un gigantesque réseau de corruption pour s’enrichir de façon démesurée sur le dos de pauvres gabonais croupissant dans la misère et vivant quasi quotidiennement avec moins d’un dollar par jour en poche. Dans ses autres productions littéraires à l’instar de « L’Homme de l’ombre : éléments d’enquête autour de Jacques Foccart, l’homme le plus mystérieux et le plus puissant de la 5ème République » paru en 1990 ou encore de « Carnages : les guerres secrètes des grandes puissances en Afrique », disponible dès l’année 2010, Omar Bongo (prénom qu’il prit en 1975 après être devenu musulman), Pierre Péan éclaira la lanterne de nombreux lecteurs le rôle prépondérant de Jacques Foccart sur le processus de décolonisation et de néo-colonisation.

Processus qui lui a longtemps permis d’écrire certaines pages de l’histoire politique du tiers-monde africain à résonnance francophone en nommant à leurs têtes, comme Albert Bongo, des hommes qu’il avait choisi à l’avance et dont il s’était assuré de l’asservissement grâce notamment à sa proximité avec de De Gaulle.
Etant chargé de la politique de France en Afrique notamment sur le plan économique, il veilla à l’indépendance énergétique de « Marianne » en mettant en place et en protégeant plusieurs chefs d’Etats des anciennes colonies françaises africaines pour que ces derniers puissent faciliter l’hexagone dans l’extraction et l’exploitation des produits miniers et pétroliers.

La « cohabitation » avec Omar Bongo fut l’une des plus belles réussites de cette stratégie politique savamment orchestrée depuis les salons de l’Elysée et qui a permis au président gabonais, de bâtir un véritable empire financier qui lui donna une influence et un droit de véto jusque dans la sphère décisionnelle française en offrant des présents et des facilités à presque tous les départements politico-affairistes parisiens. Omar Bongo fut l’un grands argentiers du système de corruption et de financements ombrageux qui a longtemps éclaboussée la noblesse et l’intégrité des hommes politiques français. Ces faits ont notamment été dénoncé par Péan dans son livre « La république mallettes » sorti en 2011. « Affaires africaines » avait également soulevé quelques éléments importants concernant la vie privée de la famille Bongo mais c’est assurément par le billet de « Nouvelles affaires africaines » que ces supposés « secrets » feront grand bruit en raison du contexte politique et des nouveaux moyens de communication.

 Révélations et enquêtes au sein de la nébuleuse Françafrique à la gabonaise : Le point culminant

En 2014, « Nouvelles affaires africaines : Mensonges et pillages au Gabon » paraît en France aux Editions Fayard, l’éditeur historique de Péan. Le roman de 250 est exclusivement à charge contre Ali Bongo Ondimba, fils du défunt président Bongo et nouveau président du Gabon depuis le décès de son père en 2009. Cependant après plusieurs investigations et retour d’informations de ses « antennes relais » installées à Libreville, Pierre Péan déclare dans ce nouvel ouvrage, les origines d’Ali Bongo qui seraient rattachées à la région du Biafra.

En effet, selon Pierre Péan, le nouvel homme fort du Gabon ne serait pas le fils biologique de Bongo mais un enfant biafrais qui auraient atterri au Gabon comme des centaines d’autres que les groupes d’aides humanitaires acheminèrent vers Libreville et d’autres capitales africaines notamment la Côte-d’Ivoire pour fuir les combats entre l’armée sécessionniste et celle du gouvernement officiel. Omar Bongo, puzzle important de ce conflit, ne s’opposa pas à ses contingents de jeunes garçons et filles. Il aurait même adopté l’un d’entre eux pour en faire « cadeau » à son épouse qui n’arrivait pas à lui donner d’enfant. Selon les confidences de Péan, la femme d’Omar Bongo à cette époque, Joséphine Nkama alias Patience Dabany, aurait tenté à plusieurs reprises de concevoir. Elle se rendit même pour cela en Israël accompagné d’un collaborateur de Bongo mais aucune cure n’aurait jamais été trouvée contre son infertilité.

Mais pourquoi diable, Monsieur Péan aurait-il déclaré, à la télévision gabonaise, ce qui suit en parlant de l’élection remportée par Ali Bongo en 2009 ? « Son élection est remarquable car il n’y a pas eu bourrage des urnes ou triches, ce qui est assez exceptionnel dans la région ». Chacun se fera son opinion. Par ailleurs, l’œuvre met en lumière d’autres divulgations notamment la supposée falsification de l’acte d’Etat civil et du diplôme du président Ali Bongo notamment son Doctorat en Droit public dont il ne serait pas Titulaire et dont le contraire a toujours été affirmé par son entourage ou par le président lui-même. Seule une thèse en géographie sur le « Transgabonais » serait l’œuvre d’Ali et encore que.

Aussi, Péan assure qu’Ali Bongo n’aurait jamais obtenu son baccalauréat si et seulement si son père, Omar Bongo, n’avait pas fait intervenir ses réseaux français en particulier VGE pour qu’il puisse glaner le très courtisé diplôme sanctionnant la fin des études secondaires. Une version des faits corroborée par un document exclusif diffusée le 6 juillet 2017 sur la chaîne publique française France 2 intitulé « Le clan Bongo : une histoire française » et réalisée par les équipes de l’émission « Complément d’enquête » qui avaient établi leur base au Gabon durant plus de dix mois après la très discutable réélection d’Ali Bongo en 2016.

« Nouvelles affaires africaines : Mensonges et pillages au Gabon" retrace, entre autres, le sulfureux parcours d’accession d’Ali Bongo au pouvoir avec l’aide de Nicolas Sarkozy, président français de l’époque, depuis l’hospitalisation du patriarche jusqu’à l’officialisation de sa victoire à la présidentielle de 2009 ainsi que les violences post-électorales et les disparitions qui s’en sont suivies. En sus, l’ouvrage met en exergue les colossales malversations financières qu’auraient commis le chef de l’Etat entouré d’une « légion étrangère » composée de « grands délinquants » et de meurtriers dont notamment le sulfureux directeur de cabinet du fils Bongo, Maixent Accrombessi.

Plus grave, Pierre Péan affirme dans son bouquin, qu’Ali Bongo serait le commanditaire de l’assassinat avorté de Pierre-Lemboumba en 1992 et qu’il aurait organisé l’empoisonnement qui aurait conduit au décès en 2006 de Georges Rawiri, président du Sénat et également Grand argentier du régime de Bongo père. Aussi, le journaliste d’initiative indique que le président Ali Bongo serait de mœurs douteuses et qu’il aurait jeté son dévolu sur le culte « Vaudou » pour lequel il est désormais un grand disciple.

A la lumière de ses informations rendues publiques, l’opposition et la société civile gabonaise se mobiliseront intensément pour faire invalider la candidature d’Ali Bongo, qui si les propos de Péan était fondés, ne remplissait pas les conditions d’éligibilité encadrée par l’article 10 de la Constitution gabonaise de l’époque obligeant chaque candidat à être gabonais de père et de mère. Malgré la pression médiatique et la mobilisation de l’opposition, Ali Bongo fut bien présent lors de l’échéance et en sortit vainqueur sous fond de graves soupçons d’irrégularités et de considérables violences postélectorales.

Et comme souvent au sein de la famille présidentielle selon Pierre Péan, Paris et son « armée » politique constitue le rempart inébranlable sur lequel elle peut compter. Le père a longtemps servi de vache à lait pour le financement de campagnes et autres réalisations matérielles et financières des partis traditionnels français. Des hommes politiques de ses formations en ont aussi grassement profité. Même si la politique française connaît aujourd’hui une restructuration et une refonte, les formations politiques classiques gardent toujours une influence dans les administrations et les institutions de Paris.

Pour Péan, l’Elysée était lié à la présidence gabonaise comme des « jumeaux siamois » et du côté des « Bongo », on a toujours su que l’on pouvait compter sur l’appui des épigones de leur plus vieil allié : la République française. Elle qui permit et ne s’offusqua jamais des scores presque parfaits réalisés par Omar Bongo, le temps du parti unique où en 1973, il obtint 99,59 % des suffrages exprimés. En 1979, ce fut même la démence quand il fut donné vainqueur à 110 % car selon les résultats officiels, on dénombrait « 650 000 inscrits pour 750 000 votants ». Une victoire dont le poids était d’une lourdeur même pour les chiffres eux-mêmes.

 Intimidations, accusations et procès

Après la parution de son livre « Affaires africaines » en 1983, les premiers gros ennuis de Péan débutent avec le Palais de Libreville et l’Elysée suite aux révélations inédites qui y sont faites tirés d’enquêtes habilement menés avec l’aide de ses réseaux européens fréquentant les salons huppés de la présidence mais aussi de ses attaches gabonaises occupant de hautes fonctions au sein de l’administration, des institutions et même du gouvernement. Entre dix ou douze plaintes sont déposées contre le natif de Sarthe.

Courroucé au plus haut point, Omar Bongo est gêné par les accusations de Péan. Quelques jours qui suivent la sortie du roman, il échappe à un attentat à la bombe dans sa résidence de Bouffemont, commune française localisée en région Ile de France. Seuls des dégâts matériels seront à déplorer. Il rate de peu d’être fauché par une camionnette se dirigeant vers lui à toute allure et les menaces de mort pleuvent. Des mécontents tapis dans l’ombre veulent apparemment le réduire au silence. Les relations diplomatiques entre Libreville et Paris se tendent.

Finalement, l’œuvre sera interdite à la vente au Gabon. Péan aurait eu la vie sauve grâce à certains hommes politiques proches de Mitterrand qui se seraient catégoriquement dressés contre l’élimination du français, sur son sol de surcroît, quand bien même il était descendant de « pieds-noirs », français originaires d’Algérie et par extension, français d’ascendance européenne installés les pays d’Afrique du Nord Jusqu’en leurs indépendances (le 2 mars 1956 pour le Maroc, le 20 mars 1956 pour la Tunisie et le 5 juillet 1962 pour l’Algérie).

C’était un important journaliste et sa mort aurait été bien plus grave que son « brûlot » contre Bongo. Quand son autre production littéraire du nom de « Nouvelles affaires africaines : Mensonges et pillages au Gabon » est présenté aux lecteurs, ceux d’origine gabonais sont médusés à l’idée de savoir que celui qui les préside ne serait pas l’enfant biologique d’Omar Bongo Ondimba, celui qu’on qualifiait de président « éternel » à la vue de sa longévité au pouvoir qui s’élevait à près de 42 ans au moment de sa disparition.

Comme il fallait s’y attendre, les autorités gabonaises montèrent au créneau et portèrent plainte au journaliste d’enquête pour « diffamation ». Du côté du pouvoir, un contrat transmis à la présidence gabonaise par Ziad Takieddine, sinistre homme d’affaires et intermédiaire franco-libanais en matière de contrat internationaux, est avancé comme preuve d’un chantage ou d’une tentative d’escroquerie de la part du journaliste. En effet, le présent contrat proposait au pouvoir de s’acquitter d’un versement de la coquette somme de 10 millions d’euros pour annihiler la publication de l’œuvre.

D’après le palais du bord de mer, le nom de Pierre Péan était clairement cité comme étant le l’un des cerveaux de l’affaire. Il aurait par la suite en 2014, avec insistance, demander à Alain-Claude Bilie-By-Nze, porte-parole du gouvernement au moment des faits, de trouver de l’emploi à un de ses proches, un certain Jean-Louis Gros, qui aurait sûrement été le négociateur direct envoyé par Péan et dont le contrat transmis depuis l’étranger par Takieddine parlait.

Une tentative d’extorsion d’argent de la part du journaliste ? That is the question. Péan est un « écrivain qui rédige sous la dictée ou sur commande » déclarait sur le journal gabonais en ligne « Gabonreview » Raphaël Ntoutoume Nkoghé, un conseiller en communication de l’époque d’Ali Bongo. Pour ce dernier, l’auteur de « Nouvelles affaires africaines » était juste un marketeur et un fin négociateur qui avait déjà demandé au feu président Omar Bongo, une compensation financière pour qu’il puisse prendre sa défense et celle des chefs d’Etat Denis Sassou Nguessou et Théodor Obiang Nguéma dans l’affaire dite des « biens mal acquis ».

Pour cela, raconte sieur Nkoghé, « Monsieur Péan a présenté une note de 1,2 milliard de FCFA à chacun des présidents  » en leur promettant de laver l’affront qu’ils subissaient dans la presse, via son prochain ouvrage du nom de « Argent noir ». Déjà en 2014, le quotidien pro-gouvernemental « L’Union » s’indigna sur ce qu’il présentait comme un « torchon », les échanges furent houleux et incessants sur les différents réseaux sociaux. Les uns plébiscitaient l’œuvre quand d’autres ne voulaient même pas ne serait-ce qu’en voir la couverture.

N’ayant « pas vocation à interdire la diffusion de quoi que ce soit  », le Palais de Libreville par la voie de la porte-parole de son gouvernement, Denise Mekam’ne, réagira en ces mots « Le gouvernement condamne fermement cette volonté de nuire aux institutions républicaines et à porter atteinte à la souveraineté du peuple gabonais  », en reléguant au rang de rumeurs, les écrits de Pierre Péan.

En 2016, les bloc politique de l’opposition et celui de la société civile accuse Ali Bongo, au regard des informations de Pierre Péan, d’avoir falsifié l’acte d’Etat civil qu’il avait introduit dans son dossier de candidature en 2009. En 2015, le président Ali Bongo lanca son offensive contre Péan et le traînera, lui et son éditrice, Sophie de Closets, devant la Justice française. Cependant, en novembre 2017, Pierre Péan gagne son procès contre la mère d’Ali Bongo qui lui avait porté plainte au Tribunal de grande instance (TGI) de Paris pour « atteintes au droit et au respect de la vie privée ».

Le juge chargé de l’affaire, après avoir constaté que les accusations soumises au délibéré avaient déjà été révélées au public en 1983, prononça un non-lieu. Il est vrai qu’à l’époque, Pierre Péan avait déjà en parler dans « Affaires africaines » sauf que le livre avait été interdit au Gabon. Ne bénéficiant pas à cette période des mêmes moyens de communication qu’aujourd’hui, nombreux sont les gabonais qui n’en entendirent jamais parler. Par exemple si la connexion internet était aussi répandue qu’aujourd’hui, l’histoire aurait fait les choux gras de la presse locale, des quartiers populaires et autres débits de boissons. Pour « atteinte à la vie privée », Pierre Péan sera finalement reconnu coupable pour diffamation avec à la clé une amende de 1000 euros qu’il devra payer avec son éditrice en raison « d’une base factuelle insuffisante » et à 1 euro de dommages et intérêts.

Concernant les accusations portées à l’endroit d’Ali Bongo par le journaliste d’enquête notamment pour l’avoir directement indexer comme étant le principal commanditaire de l’empoisonnement de Georges Rawiri et celle l’accusant d’avoir commis un « coup d’Etat électoral » au scrutin présidentiel de 2009, le natif de Sarthe fut relaxé à cause d’une « documentation solide, variée, abondante », la justice française n’ayant pas déceler une quelconque médisance dans ces incriminations visant le plaignant.

 Fin d’enquête à l’africaine

Pierre-Eugène Adolphe Jean Péan écrit les dernières pages de la longue enquête de sa vie, à l’hôpital d’Argenteuil, le 25 juillet 2019 en France à l’âge de 81 ans. Au moment de ses obsèques plusieurs personnalités africaines effectuèrent le déplacement ou dépêchèrent des émissaires sur place. Les gabonais ne manquèrent pas à l’appel. Jean-Marc Ekoh, son vieil ami depuis 1962, se fit représenter. On pouvait aussi constater la présence de Charles René Mba, ancien ministre délégué auprès du ministre de l’Economie, des Finances, du Budget et de la Privatisation du Gabon de 2005 à 2006, ainsi que celle de Jean-Pierre Lemboumba-Lépandou, tout-puissant ministre gabonais des Finances de 1983 à 1990 et ex baron du pouvoir sous le régime d’Omar Bongo. Jean Ping, absent de la cérémonie, avait tout de même fait livrer une gerbe de fleurs.

En dehors des gabonais présents, une non-négligeable communauté rwandaise considérablement opposée au régime de Paul Kagamé, étaient aussi sur les lieux de la cérémonie des obsèques de celui qui dans son ouvrage « Noire fureur, blancs menteurs : Rwanda 1990-1994) paru en 2005, avait clairement rejetté la faute sur les rebelles Tutsi du Front patriotique rwandais (RPF). On peut citer Joseph Matata, fondateur du Centre de lutte contre l’impunité et l’injustice au Rwanda (CLIIR) et défenseur rwandais des droits de l’homme ou encore Jean-Marie Vianney Ndagijimana, ancien ministre rwandais des Affaires étrangères juriste et l’auteur « Paul Kagamé a sacrifié les Tutsi  », une œuvre à charge contre l’homme fort de Kigali. Dans l’assistance, il y avait entre autres, l’activiste de la République démocratique du Congo, Freddy Mulombo, et l’auteur camerounais, Charles Onana.

En 2013, Pierre Péan avait fait son apparition dans l’Ordre national de la médaille d’honneur en été élevé au rang de Chevalier. Le défunt était surnommé le « Mzee (le vieux, le sage) » en langue Swahili. Pierre Péan affirma quelques mois avant « Chez moi, l’Afrique n’est jamais loin. (…) J’y ai mes amis. Paul Mba Abessole, Abel Goumba, Miguel Trovoada, Omar Bongo aussi avec qui j’entretenais des rapports houleux, passionnels depuis 1964.

Pour rappel, les relations entre les deux hommes s’étaient réchauffées. Omar Bongo souhaitait même que Pierre Péan puisse écrire ses mémoires. En 2008, ils se rencontrèrent même au palais du bord de mer de Libreville. Considéré comme l’un des meilleurs journalistes français d’enquête avec plus de 35 œuvres, Pierre Péan laisse derrière lui une œuvre inachevée ayant trait à la conquête historique de 1830, de l’Algérie par les français.

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