Tribune Libre

La candidature unique de l’opposition, un sérieux atout pour vaincre Ali Bongo selon un universitaire

La candidature unique de l’opposition, un sérieux atout pour vaincre Ali Bongo selon un universitaire
La candidature unique de l’opposition, un sérieux atout pour vaincre Ali Bongo selon un universitaire © 2016 D.R./Info241

Sylvère Mbondobari, maître de conférences en littérature générale et comparée, enseignant à l’UOB, professeur invité à l’Université de la Sarre (Allemagne), dans une tribune libre intitulée « Entre l’illusion et le vrai : Arès à la recherche d’un gîte » passe au crible les arguments de Flavien Enongoué, l’enseignant de philosophie une des éminences grises du régime Bongo-PDG qui soutenait en décembre 2015, que son employeur Ali Bongo serait facilement réélu faute d’une candidature unique de l’opposition. Selon le germaniste, les derniers ralliements de deux poids politiques Guy Nzouba Ndama et de Casimir Oyé Mba à l’actif de Jean Ping semblent l’assurer une victoire défendable à la présidentielle du 27 août prochain.

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Au mois de décembre 2015, Flavien Enongoué, enseignant de philosophie à la Faculté des Lettres et Sciences Humaines (UOB), par ailleurs conseiller spécial du président gabonais sortant publiait dans le quotidien national pro-gouvernemental L’Union, une tribune qui mettait en évidence les limites de la stratégie électorale de l’opposition gabonaise depuis 1990 affirmant par la même occasion que pour ce qui est des stratégies pour l’actuelle présidentielle « cette équation sera très simple à résoudre pour la majorité […] en 2016, parce qu’elle n’a pas d’autre inconnue que la seule volonté du sortant : Ali Bongo Ondimba. Sauf à imaginer l’irruption, toujours possible en démocratie, de candidature(s) dissidente(s) ou consécutive(s) à une rupture d’alliance électorale.

En revanche, l’équation sera complexe pour l’opposition gabonaise. » Et l’enseignant de philosophie de conclure « Sauf miracle politique, celle-ci sera confrontée, comme par le passé, à ‘la multiplication à plaisir des candidatures’, malgré les incantations actuelles sur la perspective contraire d’une candidature unique ». Le propos de Flavien Enongoué reposait sur deux hypothèses. La première était déterminée par la question d’éligibilité politique et, la seconde, sur « l’incapacité des acteurs politiques [de l’opposition] à surmonter politiquement les querelles byzantines, dont l’histoire politique nous montre qu’elles alimentent, depuis 1990, un état de guerre civile perpétuelle au sein de la famille, défiant ainsi la pertinence mêmes des coalitions politiques ». Le scénario est donc connu : la dispersion du suffrage aura pour conséquence inéluctable la réélection d’Ali Bongo Ondimba.

On connaît les vives réactions que cette analyse avait suscitées dans l’opinion. Noël Bertrand Boundzanga, universitaire et Président du Club 90, avait, dans une tribune assez corrosive, mis en doute l’intelligence méthodologique de l’analyse, la probité intellectuelle de l’auteur et la pertinence des conclusions de l’article. Il notait que « […] comme il [F. Enongoué] esquive volontairement le problème fondamental des conditions d’existence viable de notre communauté nationale, je suis curieux de savoir si l’enseignant de philosophie a pensé ou, au contraire, s’est-il réduit à une expression instinctive aux apparats d’une activité réflexive qui n’a cependant pas dissimulé sa pulsion de survie ».

Il y aurait des choses à dire sur l’argumentaire et la méthodologie convoqués par F. Enongoué et sur cet échange. Nous n’entrerons pas dans cette polémique. D’ailleurs, le format grand public de cette tribune ne nous permet pas de nous appesantir sur des considérations méthodologiques. Pour l’heure un constat s’impose : l’actualité de ces derniers jours dément de manière terrible les conclusions de l’enseignant de philosophie politique. Pour la première fois dans l’histoire politique du Gabon post-conférence nationale « la tradition maudite » de « la guerre civile de l’opposition » (dixit F. Enongoué) a été vaincue.

Et ce ne sont pas les candidats dissidents de l’opposition qui démentiront l’ampleur de cette dynamique. L’événement est historique parce que, ces candidats à la présidentielle, contrairement aux propos de certains analystes, ont accepté de faire passer le projet d’une alternance politique avant leurs propres intérêts à courts termes. Dans un pays comme le Gabon, l’Histoire s’écrit au présent et chaque événement quelque soit son niveau de signification vient nécessairement construire l’Histoire de la longue durée (F. Braudel). Il y a semble t-il plusieurs manières de rentrer dans l’histoire.

Celle-là n’est certainement pas la moins honorable. « Un miracle politique », pour reprendre l’expression de F. Enongoué, s’est donc produit. Il faut reconnaître que dans une société pourtant riche par le nombre de ces églises, il n’est pas toujours très bien vu de se repentir publiquement ou de faire abstraction de soi. Et les acteurs de ce miracle qui se moquent de ce que Bernanos appelait « les petits mufles réalistes » sont entrés dans l’histoire politique de notre pays et nous donne l’irrésistible envie de croire en une communauté fondée sur des valeurs autres que « l’avoir et le paraître ».

D’ailleurs, c’est une exigence intellectuelle qui nous commande de reconnaître avec une certaine humilité cette réalité. Dire, comme je l’ai lu et entendu ici et là, que le ralliement de M. Guy Nzoumba Ndama et de M. Casimir Oye Mba est « un non-événement » fondé essentiellement « sur un marchandage de postes » relève ou de la mauvaise foi et ou de l’autisme. Mauvaise foi, parce qu’on refuse d’admettre l’évidence. Autisme, parce qu’on s’enferme dans ses propres fantasmes en sous-estimant un adversaire politique. On aurait tort pourtant d’adopter une telle posture. Parce que derrière ces trois personnalités se retrouvent de nombreux alliés (Partis politiques, Société civile, Associations, etc.) qui de toute évidence, vont assurer leur soutien à M. Jean Ping.

Sur un tout autre registre, ce ralliement renforce également l’idée largement partagée par l’opposition gabonaise qu’en dépit des blocages institutionnels, une victoire par les urnes est possible, pour certains inévitable. Ce qui est sûr, c’est que cette nouvelle configuration change considérablement la donne à la veille de l’élection présidentielle. Pire, elle complique les calculs du candidat du PDG et de son état-major. Surtout que dans son camp, on semble ignorer que le CLR et d’autres partis de cette galaxie n’apprécient que très peu le sort qui leur est réservé dans la gestion de la campagne électorale.

La récente sortie de M. Jean Boniface Assélé ainsi que les démissions de dernières minutes d’un ancien ministre (Dominique Guy Noël Nguieno) et d’un député PDG (Martin Moulengui Mabende) en sont la parfaite illustration d’un manque de sérénité au sein de la majorité pour l’émergence. Et rien n’annonce la fin de cette grogne. L’opposition peut donc se frotter les mains. Mais bien plus qu’une question de circonstances, la mise en place de cette coalition a un effet psychologique indéniable. Et, comme on sait, en matière électorale, la psychologie est un facteur essentiel particulièrement dans un pays où l’électorat extrêmement volatil, collectionne les t-shirts et les gadgets de l’ensemble des candidats.

Il faut dire que face à un clientélisme souvent très agressif, les populations ont depuis développées des stratégies consistant à préserver la liberté de leur choix jusqu’au moment ultime du vote. Figure tragique s’il en est, l’opposition gabonaise ou du moins ce qui la compose aujourd’hui, toujours montré du doigt comme « une communauté maudite » s’est donc défaite de cette honteuse malédiction. Comment dès lors comprendre ce changement de paradigme ? Comment interpréter cette rupture ?

Il me semble qu’il faut rechercher les raisons de cette union sacrée dans la gouvernance des 7 dernières années. Au moins quatre raisons (la liste n’est pas exhaustive) permettent de saisir le message envoyé par ces ralliements. Premièrement, ils peuvent être compris et interprétés comme une réponse à l’idée largement véhiculée par le PDG-Émergent que l’on ne fait pas du « neuf avec du vieux ». S’il est indéniable qu’il fallait pour avancer et rompre avec certaines pratiques « tuer le père » (Freud), cette rupture du contrat intergénérationnel par des gens qui, pour la plupart doivent leur ascension professionnelle et politique aux « vieux », a eu pour conséquence un départ du PDG d’une génération.

Or, si cette génération (Ndemezo, Ntoutoume Emane, Adiahenot, etc.) n’était plus indispensable dans la gestion de l’administration, il n’en demeure pas moins qu’elle restait nécessaire pour assurer les victoires électorales. Au demeurant, je ne partage pas l’analyse uniquement matérialiste qui consiste à dire que ces anciens hiérarques du PDG ont tous quitté le bateau ivre parce qu’ils avaient perdu leurs privilèges. Il me semble que les raisons sont bien plus profondes. Mais cela est une autre question…

La deuxième raison a trait à la gestion de la chose publique. Dans cette querelle des Anciens et des Modernes, la rupture prônée par les ténors de l’Émergence reposait sur un principe de bonne gouvernance avec en filigrane l’idée que les Anciens avaient ruiné le pays et que les « Émergents » allaient relever le défi du développement. Sept ans après le désarroi est général. Et pourtant le Plan Stratégique Gabon Émergent était censée alimenter un cercle vertueux entre croissance et progression graduelle vers la justice sociale, tout en résorbant les problèmes sociaux.

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Entre des impatiences sociales et le ralentissement prononcé de l’activité économique, le gouvernement a peiné à esquisser une solution de sortie de crise. La jeunesse qui, aspire à autre chose qu’une vie scandée par des dons et une cynique attention pré-électorale, est la première victime de ce système. Il n’y a qu’à regarder du côté de l’UOB où les travaux de réfection du campus sont à l’arrêt depuis plus d’un an. On peut imaginer la détresse et l’impasse dans lesquels se trouvent des milliers d’étudiants depuis deux ans.

A cela il faut ajouter les indiscrétions sur Delta Synergie, les révélations de Mediapart et des Panama Papers qui ont fini par briser cette vitrine et pointer le hiatus entre les discours teintés de bonnes intentions et la réalité de la gestion des finances publiques. Les plus lucides signalaient depuis trois ans les mirages de cet « avenir en confiance ». La troisième raison nous ramène au sentiment diffus mais bien réel qui traverse une grande partie de l’opinion gabonaise avec en substance l’idée que l’Etat est aux mains d’une légion étrangère occidentale et ouestafricaine.

Souvent diffusé par les responsables de la Haute administration si ce n’est des membres du PDG eux-mêmes, ce sentiment qui ne date pas d’aujourd’hui s’est amplifié au fil du temps pour devenir un handicap dans la stratégie de conservation du pouvoir. C’est justement ce sentiment largement partagé par l’élite politique de l’opposition qui a fait dire au candidat du PSD, Maganga Moussavou que « les Béninois avaient beaucoup de chance au Gabon » et que le Directeur de Cabinet du Président de la République M. Accombressi « serait un second Dossou ».

Le quatrième et dernier aspect est lié au projet de société « l’égalité des chances ». Il me semble que pour qu’un tel projet de société passionne l’opinion, il faut une forme de symbiose entre le projet et son porteur. De par sa personnalité, sa trajectoire professionnelle et sa biographie le porteur devrait se confondre avec cet idéal. Quand Lula da Silva, Hugo Chavez, Evo Morales, après de nombreuses luttes syndicales se présentent à une élection avec pour projet de société la réduction de la pauvreté et la lutte contre les privilèges, ils sont crédibles. Et pour cause, ils viennent des milieux défavorisés.

Que le candidat Ali Bongo Ondimba soit porteur d’un projet de société sur l’égalité des chances ne peut que laisser perplexe ! Ce qui manque c’est simplement un sentiment de confiance et de sincérité. Car il est toujours risqué de porter les vêtements du déshérité. Construisez une appartenance de circonstance ou faites appel aux charmes de son humble condition, on y décèlera une forme de cynisme. Contrairement à l’idée assez vague d’émergence, qui pouvait faire projeter le citoyen dans un avenir lointain, « l’égalité des chances » a le défaut majeur de ne proposer aucun rêve ; il ramène inévitablement le Gabonais vers sa quotidienne réalité. Or, cette réalité se décline en termes de chômage, de précarité, de privation des libertés fondamentales et d’injustices sociales criardes.

Comme on le voit, si l’élection n’est pas encore gagnée par l’opposition, on peut déjà prendre le risque de répondre à F. Enongoué qu’Arès, le dieu de la guerre dans la mythologie grecque, n’aura pas élu domicile cette année au sein de l’opposition gabonaise. En Insider et bon connaisseur du microcosme politique gabonais, il possède la science qui permet de lire cette réalité. Les problèmes ne manquent pas dans le camp présidentiel, et la politique de l’autruche menée par le secrétariat général du PDG qui, après chaque démission, de manière insipide et monotone, faisait des anciens camarades des êtres aigris sans réel poids politique, au lieu de renforcer le parti, a eu pour conséquence néfaste de fragiliser les fondations de l’édifice.

C’est dire qu’avec cette alliance de l’opposition autour de la candidature de M. Jean Ping, l’idée d’une victoire annoncée par la dynamique plurielle a déjà pris un sérieux revers. Et cela sonne comme une évidence que les partisans convaincus du président sortant, pour assurer sa victoire, ne peuvent plus compter sur la seule force de l’inertie de l’opposition. Ils doivent d’abord regarder les écueils en face plutôt que de les minimiser comme ils le font depuis trois ans. Sauf que pour une réelle et profonde introspection, il ne reste plus beaucoup de temps.

Mbondobari Ebamangoye S. Germaniste. Maître de conférences en littérature générale et comparée à l’Université Omar Bongo et à l’Université de la Sarre (Allemagne) . Dernière publication Villes coloniales, métropoles postcoloniales (2015).

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