Charles M’Ba : « Les Gabonais ont élu Jean Ping et le vote est sacré. L’âme du peuple existe, il ne faut pas la détourner »
L’ancien ministre délégué aux Finances, Charles René M’Ba, sénateur démissionnaire du parti au pouvoir s’est exprimé ce mardi au micro d’Info241 sur la sortie de son livre ’’Gabon : la passion du pays’’. L’expert-comptable, membre éminent de la coalition pour la Nouvelle République, dirigée par Jean Ping, diagnostique l’actualité gabonaise entachée par la crise post-électorale qui a fait le lit selon lui à celle économique et sociale. Tout en passant en revue la corruption et le marasme économique qui gangrènent la gestion du pays par Ali Bongo et son régime, sans omettre de préciser le sens de son positionnement politique désormais ancré dans l’opposition.
L’homme politique qui a été récemment auréolé du ’’Prix de l’engagement national’’ des Awards de l’info donne sa vision politique aussi bien sur son sens de la République, l’idée qu’il a de son expérience sur l’autorité de l’Etat, en évoquant son adhésion à l’Union Nationale (UN), que sur la sortie de crise politique au Gabon. Selon Charles M’ba : « Les Gabonais ont voté et le vote est sacré. Ils ont élu Jean Ping. Le monde entier l’a immédiatement su...Il faut juste que la volonté du peuple gabonais soit respectée. L’âme du peuple existe, il ne faut ni la contraindre, ni la détourner ».
Info241.com M. Charles M’BA, l’interview que vous avez accordée à Dénise Epote à travers son émission « Et si vous me disiez toute la vérité.. », diffusée sur TV5 Monde nous a rappelé que vous ne vous étiez pas retiré de la vie politique et qu’au contraire, avec la sortie d’un livre, vous preniez bien votre part au débat politique national. Qu’en est-il, que faites-vous donc ?
Charles M’Ba : J’ai en effet écrit un livre. Il ne s’agit pas encore de mémoires ! Dans « Gabon : la passion du pays », j’expose l’ambition que je nourris naturellement pour mon pays ; la vision que j’ai du Gabon à bâtir. C’est vrai, beaucoup auraient aimé me conduire au découragement et au renoncement ; malheureusement pour eux, ma nature est toute autre. L’adversité stimule ! Mes mémoires ? je les publierai plus tard. Une vingtaine d’années au cœur d’un grand groupe industriel, une quinzaine d’années de compagnonnage politique auprès du Président Omar Bongo, douze mois de gestion des marchés publics, quatre années au gouvernement, six années d’élu au Sénat ont construit mon expérience. Celle-ci a posé des traces, une marque, avec des réalisations politiques et sociales identifiables qui mériteraient que l’histoire en soit racontée. Elle le sera ! C’est vrai aussi que depuis 2009, le « jeunisme » et la nouveauté se sont emparé de notre pays. Ceux qui ont aujourd’hui confisqué le pouvoir n’ont eu de cesse que de mettre à l’écart l’expérience et la maturité.
Et a fortiori, la probité ! Ils disent que les meilleurs sont les nouveaux et les jeunes ! Mais le sommet de l’Etat ne peut être un lieu d’apprentissage, d’amateurisme ou de dilettantisme ! Malheureusement, beaucoup de ceux qui aspirent à gouverner demain semblent eux aussi sensibles aux sirènes du « dégagisme » démagogique. Comme si la modernité ou l’ancienneté était seulement affaire d’âge ! Cette fantaisie a conduit notre pays dans le gouffre : un vrai gâchis ! Au-delà des situations personnelles, ce gâchis généralisé de ressources humaines est un crime moral contre notre pays !
Quant à moi, je fais comme la très grande majorité des Gabonais : je me tiens derrière Jean Ping, élu à la présidence de la république. Je m’y tiens fermement et sans trompettes. Je me bats, où que je me trouve, avec les Gabonais pour que notre volonté librement exprimée soit respectée.
Charles M’Ba : On parle beaucoup des marchés publics et de la gestion des deniers publics ces derniers temps. Malheureusement pas pour se réjouir du lancement d’une opération de salubrité publique mais plutôt à propos de la mise aux arrêts de quelques hauts cadres de l’administration. Vous qui avez été Directeur Général des Marchés Publics en 2005, que pensez-vous des pratiques en cours et de l’encadrement légal ?
En sept ans, le Gabon a disposé de budgets extraordinaires, inimaginables auparavant. Les opinions nationale, internationale, les institutions financières notamment, sont unanimes pour relever que même les quelques réalisations présentées par le pouvoir ne pourront justifier les sommes colossales décaissées. C’est un fait incontestable ! Même pour le Gabonais non averti, cela sent l’évaporation financière massive, c’est à dire la généralisation des détournements de l’argent public, par la surfacturation, par la pratique de marchés fictifs ! Il suffit d’observer les projets redimensionnés, non engagés ou abandonnés, et aussi les chantiers personnels des gouvernants qui poussent comme des champignons !
Le code des marchés publics disponible en 2005 avait été établi avec le concours de la BAD et du FMI. Il nous a permis avec mon équipe, d’engager vigoureusement l’application de la transparence et de la concurrence, plus bénéfiques au pays, contrairement à la pratique du gré à gré. Ce code nous a permis d’atteindre des objectifs approuvés par nos partenaires internationaux.
Sans doute y a-t-il toujours besoin de faire évoluer une réglementation mais l’efficacité d’une règle repose d’abord sur la qualité des hommes qui l’appliquent tout au long d’une chaine de responsabilités. Les textes sont des outils de travail ; mais ce ne sont pas eux qui font le bon ouvrier, ou les bons résultats ! Ce qui construit le bon ouvrier, ce sont les valeurs et le travail, beaucoup de travail ! Ce qui produit les bons résultats, c’est le travail, l’excellent travail ! Il faut que, dans notre pays, nous en convenions une fois pour toutes, et dans tous les domaines.
Info241. Il s’agit apparemment de fonctions à « hauts risques » au regard de faits reprochés notamment à des hauts cadres du Ministère de Budget. Qu’en pensez-vous ?
Oui, les marchés publics comportent des tentations ; et en même temps, la commande publique est une fonction centrale pour le développement d‘un pays. Le Gouvernement doit donc choisir avec encore plus de précaution ceux qui dirigent cette fonction de l’Etat, de même que les gestionnaires des crédits. L’efficacité de la dépense publique exige que les responsables des marchés publics, les responsables des achats publics, soient exemplaires. Sinon tout peut s’effondrer comme nous le voyons aujourd’hui. C’est vrai, la tentation est humaine, mais les valeurs morales personnelles, l’éthique, la déontologie et aussi la loi devraient être là pour dissuader et pour réprimer les brebis galeuses qui dilapident les deniers publics ou s’approprient l’argent des Gabonais.
Les faits apparemment imputés aux personnes interpelées sont extrêmement graves s’ils sont avérés. Ils doivent cependant être établis et démontrés par les procédures judiciaires. Et dans les formes qui protègent les libertés reconnues à chaque citoyen. Il faut éviter que l’arbitraire s’installe davantage chez nous ! Le respect de la loi doit être exigé de tous et pas seulement de quelques-uns car, « même les aveugles voient » l’émergence incongrue de fortunes inattendues ! La crédibilité de l’autorité judicaire ne devrait pas permettre que, seules quelques personnes soient ciblées. Sinon, il ne s’agirait que de sordides règlements personnels de comptes.
La corruption est un phénomène social mondial. Personne, dans aucune société, ne l’éradiquera définitivement. La bonne question reste bien toujours celle du degré de corruption qu’une société peut tolérer sans être menacée de mort. Chez nous, il semble que le pronostic vital soit engagé ; et tout le monde s’en émeut, même à l’extérieur ! Enfin, puisqu’il s’agit de corruption, qu’en est-il des corrupteurs et où sont-ils passés ?
Info241. Vous qui êtes diplômé en expertise comptable et avez été formaté à l’orthodoxie de gestion d’un grand groupe, ELF, puis Total pour le nommer. Comment avez-vous vécu ce décalage de méthodes privé/public ?
Oui, j’ai un métier et quoi que je fasse, l’audit et l’esprit d’audit constituent mon premier outil de méthode, d’analyse, de travail. Les faits, leur véracité et leur cohérence ; puis, « ne jamais rien prendre pour vrai que l’on ne puisse vérifier par soi-même ». C’est une des maximes de ce métier ! Avec ses forces et ses limites. D’autres sont chirurgien, psychologue, électricien, mécanicien, informaticien, architecte ! Pour tous, l’angle d’attaque des problèmes est différent et cependant toujours le même, pour chacun ! C’est cela avoir un métier.
L’orthodoxie, c’est l’application normale et conforme des règles éprouvées ; c’est s’attacher à l’efficacité permanente des bonnes pratiques professionnelles. En particulier pour les hommes au service de l’intérêt général, c’est aussi la probité ! Tout cela est affaire d’état d’esprit et donc d’éducation. Et d’abord, celle que l’on reçoit chez soi ! C’est ainsi que se sont formées mes pratiques professionnelles et publiques. Il s’agit très simplement de ne jamais confondre les moyens et les biens de l’Etat avec les siens propres. Au sortir de la colonisation, c’était le cas général des agents de la fonction publique : ce n’était pas des oiseaux rares ! Hélas, aujourd’hui, même les perles rares se révèlent des calamités pour l’argent public !
Arriver à la Direction Générale des marchés Publics à Libreville a évidemment été un grand changement d’environnement professionnel. Mais c’était revenir chez moi et aussi faire mon devoir. D’autres hauts cadres comme Roger Sickout, un grand ingénieur du Groupe Total, en acceptant le poste de Directeur Général des Hydrocarbures, m’avait en quelque sorte ouvert la voie. Il a fallu ensuite prêcher par l’exemple et la DGMP s’y est mise avec d’excellents résultats !
Avec mon équipe, nous avons fait la démonstration que pour éviter de dilapider l’argent public, il suffit d’appliquer scrupuleusement le code des marchés publics. Car l’appel d’offres est toujours le meilleur moyen pour mieux dépenser l’argent de l’Etat. La concurrence est toujours bénéfique pour l’acheteur car elle limite les risques de collusion et donc de corruption. En 2005, les moyens légaux m’ont donc paru satisfaisants. Et, un peu comme Saint Paul, j’ai gardé la Foi dans le rôle, les capacités et l’efficacité possible de l’Etat.
Info241. Un rapport de la Commission Nationale de Lutte Contre l’Enrichissement Illicite a été récemment rendu. Il établit qu’en 7 ans de 2006 à 2012, la moitié du budget de l’Etat a été détourné. Comment avez-vous accueilli cette révélation ? Qu’est-on en droit d’en attendre ?
Charles M’Ba : Je n’ai pas encore obtenu ce rapport qui devrait éclairer les citoyens sur la construction imprévisible des fortunes nationales et donc sur la gestion des deniers publics dans notre pays. Mon petit doigt me dit qu’il y a du pain sur la planche ! Et la contribution de cette Commission à la moralisation de la gestion de l’Etat sera essentielle. Personnellement, je crois dans la transparence et la probité, comme règles principales de gestion et d’action publiques. Observer ces repères est censé mettre à l’abri, mais le sensationnalisme et la nuisance gratuite guettent chacun de nous !
Vous connaissez le dicton : « calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose ! » Et la criminalisation semble devenue une arme politique : à défaut de pouvoir combattre les idées, on s’attaque aux hommes ! Concrètement, et en matière de lutte contre l’enrichissement illicite, le rapport de la CNLCEI devrait, je crois, être transmis au Procureur de la république pour les poursuites judiciaires qui s’imposeraient. Que chacun fasse donc vraiment son travail : que la Commission dénonce les faits délictueux et que la Justice poursuive les personnes incriminées !
L’opération Mamba, vous y croyez ? Coup de communication ou volonté sincère du pouvoir en place d’assainir une situation désastreuse ?
Charles M’Ba : A propos de l’opération « Mamba », je dis chiche au Gouvernement d’aller jusqu’au bout de cette initiative salutaire. Sinon, il s’agirait d’une énième opération de com’ et les Gabonais n’en ont cure ! Un jour, chez nous, l’enrichissement illicite nécessitera une solution politique mais en attendant, l’état des lieux doit être fait et traité !
En termes de symboles, je préfère l’oiseau qui est plus libre, au serpent que l’on peut guider vers des cibles préalablement choisies. Je préfère l’oiseau à serres qui se saisit de la proie, à un serpent qui injecte un venin mortel. Il s’agit, non pas de tuer, mais de punir et surtout de faire rendre gorge !
Info241. A quel moment réalisez-vous que la politique nouvelle du Gabon ne cadre plus avec votre définition de la République et de votre vision pour le pays ? Il faut rappeler que vous avez battu campagne pour Ali Bongo en 2009, et que vous êtes resté fidèle au PDG jusqu’à votre démission en 2016. Avez-vous le sentiment que le PDG vous ait mal remercié ?
Charles M’Ba : Je suis revenu au pays avec des idées claires : sur la construction de l’unité nationale qui ne peut être juste décrétée, sur l’exigence de l’Etat républicain, loin du népotisme et de l’affairisme généralisés, sur la création massive d’entreprise comme élément de sécurité nationale, sur la formation et sur l’méritocratie, sur le nécessaire brassage des jeunes. Sur l’intégration nationale puis régionale. Au-delà des slogans ! J’écris sur ces sujets depuis 1991 et je suis resté fidèle à ces idées pour lesquels je continue de me battre. Loin de l’opportunisme, et je ne cède jamais aux modes ! Et franchement, je ne peux pas rougir d’avoir construit à Oyem la seule maison de la jeunesse et de la culture au Gabon, avec un gymnase de 1500 places assisses. En un seul mandat de sénateur ! Et je me reconnais toujours devant mon miroir !
Dans notre pays s’est installé un système mortifère qui dure parce que beaucoup trop de gens y trouvent encore leur compte. La République et la gestion probe de la chose collective ? Les veut-on véritablement ? J’ai parfois des doutes, mais l’histoire se fait en marchant et il faut donc poursuivre ce « bon combat » ! Si nous pouvions simplement nous engager à construire un pays meilleur, juste, paisible, protecteur, un pays où chacun puisse croire se développer et s’épanouir en confiance, nous aurions déjà pris le bon chemin.
Oui j’ai bien battu campagne pour Ali Bongo en 2009. Oui j’ai défendu et promu sa candidature dans ma circonscription. A mes risques et périls, parce que l’hostilité était très grande à cette succession dynastique, parce que le rejet de cette candidature était déjà très vif. Oui j’ai soutenu le candidat du PDG, non pas par calcul commerçant, mais bien par fidélité et loyauté à l’engagement pris envers ce Parti, et aussi à l’égard d’Omar Bongo. Non pas non plus par ruse comme ceux qui espéraient guider la main du futur président. Ma conscience me le commandait, ne fut-ce que pour respecter un délai de viduité !
J’ai donc quitté le PDG où, en tant que ministre, j’étais entré directement par le Bureau politique. Et j’ai ouvert la voie du succès électoral local à Oyem ! J’en ai démissionné en juillet 2016, avec la sortie de mes livres. Assez tôt pour soutenir vigoureusement Jean PING, le candidat unique et victorieux des Gabonais !
Info241. En clair, vous seriez à Libreville que même invité, vous ne seriez pas allé au dialogue d’Ali Bongo, faute d’inventaire sur les actes et du fait des exactions contre les populations depuis le 31 août 2016 et aussi par manque de légitimité de l’appelant ?
Charles M’Ba : Les Gabonais ont voté et le vote est sacré. Ils ont élu Jean Ping. Le monde entier l’a immédiatement su. Les Gabonais lui ont ainsi attribué la conduite du pays et de la Nation. Personne d’autre que lui, à ce jour, n’a d’autorité réelle pour réunir la famille gabonaise. C’est aussi simple que cela ; et nos traditions l’enseignent.
Le pouvoir de fait établi par la force des armes pourra bien faire toutes les propositions de réformes, de réorganisation, d’inflexions de gestion économique, cela n’enlèvera rien à son illégitimité ! Le vote est sacré ; c’est pour cela que l’on peut dire « vox populi, vox dei » ! Est-ce trop que d’exiger son respect ? Non !
Enfin, le soliloque national est une opération cynique. Car, tout de même, il y a eu des morts dans l’opération de confiscation du pouvoir. Le sang de très nombreuses familles gabonaises a coulé ; et le mien avec. Ma mère et ma fille attendent de comprendre ; que leur dirais-je ? Que la vie douce continue et que nous devons accepter quelques prébendes ? C’est impensable. Si nous ne craignons pas l’enfer des croyants, nous pourrions au moins craindre la justice immanente ! Non, en aucun cas je n’aurais été ni figurant ni a fortiori acteur de ce cinéma qui ne peut sortir notre pays d’une impasse dramatique.
Info241. Les violences post électorales vous ont touché personnellement. Deux membres de votre famille ont été tués dans la nuit du 31 août 2016. Vous n’en faites pas étalage. Comment avez-vous vécu tout cela ?
Charles M’Ba : Oui, Prosper mon frère et Ulrich mon petit fils ont perdu la vie cette nuit-là. Beaucoup d’autres Gabonais sont atteints dans leur chair depuis ce jour-là. Nous pensons aussi à eux. Tous ces jeunes ne demandaient que justice. C’est révoltant. Cependant, aucune douleur n’en dépasse une autre et je ne suis jamais un adepte de la médiatisation à tout prix, ni du show off ! Cette colère, cette douleur sourde de tant de familles, il faut la respecter, l’entendre et faire notre devoir collectif. La détermination et la compassion de la Nation sont déjà un réconfort d’espérance.
Info241. Aussi difficile qu’il n’en demeure de l’envisager, une sortie de crise est à trouver. Comment faire pour revenir à un Gabon normal ?
Charles M’Ba : Il faut juste que la volonté du peuple gabonais soit respectée. L’âme du peuple existe, il ne faut ni la contraindre, ni la détourner. Il n’est pas sage d’ignorer cette vérité universelle car c’est toujours avec fracas que l’âme et l’esprit d’un peuple se rétablissent. Il faut donc que les uns et les autres, nous dépassions nos égoïsmes et nos conforts personnels, nos petites vies comme aurait dit De Gaulle. Nous devons faire que la souveraineté du peuple soit rétablie.
Pour revenir à un Gabon normal, il faut deux autres choses : des institutions fiables et des dirigeants normaux. Lorsque les institutions sont crédibles, elles sont dignes de foi et leur autorité est reconnue ; elles gagnent alors en force. Les dirigeants normaux sont qualifiés, expérimentés et dotés de valeurs morales nécessaires pour assumer des charges lourdes. Ce ne sont ni les fortunes douteuses, ni les titres ronflants qui confèrent l’autorité indispensable aux missions d’Etat. C’est l’impartialité et l’efficacité républicaine.
Info241. On vous dit proche de Casimir Oye Mba et que vous auriez adhéré à l’Union Nationale. Que dites-vous de ce qu’il représente pour vous ?
Charles M’Ba : Pour les hommes de ma génération et de mon domaine professionnel, le parcours de formation et la carrière technique du Gouverneur Oye Mba reste une référence, voire un challenge ! D’autres ont pu aussi représenter professionnellement cela : Marc Nan Nguéma ou Emile Ndoumba. Cela ne les transforme pas ipso facto en mentors. Toutes les proximités, qu’elles soient professionnelles, linguistiques, ou sportives créent des liens ; c’est humain. C’est l’exclusivité et le rejet de la différence qui sont à bannir ! J’avoue que la présence de Casimir Oye MBA à l’Union Nationale crée une zone de confort. Cependant, j’y connais d’autres femmes et hommes estimables !
Info241. Pourquoi ce choix de l’Union Nationale parmi tant de partis politiques ?
Ma décision de rejoindre l’UN est une expression de gratitude envers ses fondateurs, par ce que leurs actes démontrent ce qu’ils ont voulu faire. Leur réconciliation est l’illustration de leur volonté patriotique, indispensable pour la construction de notre pays. Dans le chaos de la citoyenneté que connaît notre pays, c’est essentiel. Mba Obame est parti et Zacharie Myboto est là.
Charles M’Ba : C’est un homme expérimenté aux côtés duquel comme de beaucoup d’autres, j’aimerais agir pour refonder la Patrie nécessaire, l’Etat indispensable et construire économie nationale obligatoire ! Enfin, il est sain que les élites écoutent les populations dont elles émanent.
L’essentiel des jeunes, des femmes et des hommes avec lesquels j’ai du plaisir à agir sur le terrain, a rejoint l’Union Nationale. Ma conviction est qu’ils ont eu raison. C’est donc aussi une manière de saluer leur perspicacité que de les rejoindre, en toute humilité. Avoir raison et le leadership ne me semblent pas uniquement tenir aux positions sociales. C’est ensemble que nous irons plus loin !
Info241. Vous avez donc publié un livre : « Gabon, la passion du pays ». Vous y déclinez le sens de la Nation, de la République. Nous en avons retenu des idées fortes. Vous parlez de volonté patriotique, de gestion de proximité. Tout un programme….
Charles M’Ba : En effet, pas un programme avec le catalogue convenu de mesures évidentes, mais un projet autour de concepts concrets, d’idées directrices ! J’ai beaucoup parlé et écrit avant d’arriver aux affaires. Avec le nez dans le guidon, je me suis consacré à l’action, dans le mouvement « des actes pour le Gabon ». Je ne crois pas à la propagande militante, mais bien plus aux actes pour transformer notre pays. Au sortir de cette période, j’ai souhaité formaliser ma compréhension des enjeux et des défis de notre pays, et proposer des solutions claires. Je préfère toujours les projets sans candidat aux candidats sans projets, sans vision.
Pour moi, la construction du Gabon repose notamment sur deux idées : premièrement tout est à construire, tout peut se construire et tout se construit ; deuxièmement, pour construire, il y faut de la volonté individuelle et aussi collective ! La Patrie demande de la volonté patriotique. Une volonté qui peut être animée sous trois angles. Un : il nous faut construire une patrie qui rassemble la nation, sans exclusive, et qui cimente notre diversité enrichissante. Deux : il faut reconstruire l’Etat pour tous qui ne soit plus jamais la propriété de quelques-uns. Trois : il faut construire méthodiquement une économie autonome qui améliore les conditions de vie des jeunes, des femmes et des hommes là où ils vivent, c’est cela la gestion de proximité. Ce sont mes propositions.
Info241. Dans votre ouvrage, vous parlez de restaurer à la fois le sens et l’autorité de l’Etat. Selon vous, sommes-nous à ce point dans la panne institutionnelle ?
Charles M’Ba : Y a-t-il encore le sens de l‘Etat lorsque l’Etat est « patrimonialisé », lorsque « les moutons broutent là où ils sont attachés » ? Lorsque des agents de l’Etat sont autant mis en cause et poursuivis par la loi autant qu’ils le sont aujourd’hui ? Y a-t-il encore de l’autorité lorsque l’Etat a perdu toute crédibilité pour servir l’intérêt général, pour protéger les plus faibles, pour faire exécuter les décisions de justice ? Je crains que nous devions répondre non à chacune de ces questions, parce que notre Etat n’inspire plus ni respect, ni confiance.
Nous devons regarder la réalité en face : oui, il y a crise de l’Etat dans notre pays, et le meilleur moyen de se guérir d’une maladie est d’abord de l’accepter. Nous devons sortir de la mythomanie, de la mystification, de l’imposture, du déni généralisé par lesquels nous avons plongé notre pays dans de très grandes difficultés. Nous pouvons redresser la situation, mais c’est un préalable. Sortons-en et nous redresserons notre pays. Nous pouvons le faire !
Info241. Vous venez d’assister à l’élection de M. Emmanuel Macron comme président de la France. Comment apprécier les relations entre la France de M. Macron et l’Afrique ?
Charles M’Ba M. Macron a été élu président de la république française, il va présider aux destinées de la France et veiller principalement au bien être des Français. C’est SA mission, qui n’est prioritairement pas de développer l’Afrique. Même si, au minimum pour des raisons de proximité géographique, pour l’Histoire et la langue communes, la France a grand intérêt au développement rapide et harmonieux de notre continent. Les Africains veulent désormais se charger, eux-mêmes, du développement chez eux ; plus encore, ils le réalisent et ils le montrent là où ils peuvent, librement agir et s’exprimer ! Des espoirs euphoriques seraient donc très déraisonnables.
De même, l’« oppositionnisme » à l’égard de la France constitue une énorme perte d’énergie ; cette énergie et cette créativité dont M. Macron dit justement qu’elle doivent être libérées et stimulées, partout. Pour ma part, je crois, comme le rappelle le Président de l’Union Africaine M. Alpha Condé, que la jeunesse du nouveau président français devrait constituer un atout pour M. Macron lui-même, et un élément favorable pour l’Afrique. Lui qui dit explicitement et à très haute voix n’être redevable de personne, le serait d’autant moins de réseaux conservateurs dépassés et d’amitiés africaines anciennes, peu enclines au progrès de l’Humanité en Afrique.
M. Macron dit savoir la France et son message attendus et qu’il répondra à cette attente, notamment sur le terrain des droits humains et de l’aide publique au développement. Si le renouveau et la révolution sont véritablement dans sa nature, ils devront aussi être perceptibles dans sa politique africaine. Mais, c’est au pied du mur que l’on juge le maçon, je crois !
Info241. Les promesses de moralisation de la vie politique en Afrique de M. Hollande n’ont pas été tenues, notamment en Afrique centrale, que peut-on attendre de M. Macron pour le Gabon ?
Charles M’Ba : Le Président Hollande est, depuis notre indépendance, le seul président français à n’avoir pas visité le Gabon. Franchement, je refuse de croire qu’il s’agit uniquement de question de calendrier ; je crois qu’il s’agit, bien plus, d’un geste politique très fort. Il y en a eu d’autres qui ont fait le tour du monde sur la toile et chacun a pu les voir et les analyser. Je ne suis pas adepte du « vive le roi, vive la ligue ! ». Malgré les frustrations, nous devons garder la lucidité de reconnaître « à César, ce qui est à César » quoique nous jugions insuffisant !
Quant au président Macron, il a, pendant la campagne électorale, clairement donné son sentiment et donc son analyse de la crise gabonaise. Même avec la prudence des usages, il ne semble pas ignorer qu’il y a crise du fait de la confiscation pouvoir par les armes. Une confiscation dénoncée, y compris par Christophe Barbier, le célèbre éditorialiste politique français de l’Express ! M. Macron dit et redit sa foi dans l’Europe, sans conteste. Nous pouvons donc raisonnablement espérer qu’au Conseil de l’Europe, la France fera adopter les mesures restrictives ciblées, votées quasiment à l’unanimité par le Parlement européen, contre ceux qui tiennent encore le pouvoir à Libreville. Il devrait en être de même au sein des instances de l’ONU, même si « la libération de la liberté » au Gabon dépend d’abord des Gabonais.
Propos recueillis par Rostano Mombo Nziengui
@info241.com