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L’entrisme ou la politique du ventre au Gabon

L’entrisme ou la politique du ventre au Gabon
L’entrisme ou la politique du ventre au Gabon © 2017 D.R./Info241

Au regard des événements politiques récents au Gabon, nous voulons aujourd’hui vous entretenir sur un concept historique et sociologique : l’entrisme (ou la politique du ventre ?). Au vu de la situation actuelle du Gabon, on a malheureusement la triste impression que l’histoire se répète sans cesse. Depuis la période des indépendances, nous assistons quasiment au même « film », au même scénario, avec des acteurs différents (ou quelquefois les mêmes acteurs jouant des rôles différents).

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Pour mieux saisir l’actualité et comprendre les postures idéologiques et les positionnements (très souvent « intéressés ») de certains hommes politiques gabonais (et autres pseudo-leaders de la diaspora), il convient tout d’abord de remonter loin dans l’histoire…

Alors qu’ils sont étudiants en France dans les années 1950-1960, les jeunes gabonais sont séduits par les idéologies révolutionnaires, socialistes et marxistes des grands leaders du Tiers-Monde (Patrice LUMUMBA, Kwamé NKRUMAH, Amilcar CABRAL, Julius NYERERE, Jomo KENYATTA, Ahmed SEKOU TOURE, Ahmed BEN BELLA, MAO TSE-TSOUNG, Fidel CASTRO, Ernesto « Ché » GUEVARA,…) qui éveillent leur esprit aux questions essentielles que doivent se poser tous les Africains à cette époque.

Ces étudiants gabonais se familiarisent très vite avec les thèses défendues par les leaders tiers-mondistes qui exhortent les peuples colonisés et dominés à lutter contre l’impérialisme occidental et contre le néo-colonialisme. Ces discours empreints de nationalisme touchent particulièrement ces étudiants qui décident alors de prendre une part active dans les débats politiques secouant la société gabonaise postcoloniale.

Les mouvements étudiants : de l’AGEG à la FEANF en passant par le MGAP

Dans les années 1950-1970, les Gabonais inscrits dans les universités et écoles françaises font, pour bon nombre d’entre eux, leurs classes dans le syndicalisme étudiant en militant très activement dans l’A.G.E.G. (Association Générale des Etudiants Gabonais en France) et dans la très célèbre F.E.A.N.F. (Fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France). Précisons que l’Association des Etudiants Gabonais (A.E.G.), créée en France en 1949, est devenue AGEG en 1955, au moment de l’émancipation des peuples colonisés. C’est donc dans cette association étudiante (A.G.E.G.) que s’est faite la formation politique de plusieurs centaines d’étudiants gabonais dans les années 1950, 60 et 70.

A la fin des années 50 (et début des années 60), certains étudiants, membres actifs de l’A.G.E.G., rejoignent les rangs du M.G.A.P. (Mouvement Gabonais d’Action Populaire), un parti politique d’obédience socialiste dure (voire marxiste-léniniste), nouvellement créé sur le sol français en 1958. Lors du coup d’état de février 1964, le Comité révolutionnaire installe Jean-Hilaire AUBAME au pouvoir. De nombreux (anciens) membres actifs de l’AGEG et du MGAP feront partie du gouvernement provisoire mis en place par ce dernier. Mais l’aventure sera de courte durée, Léon MBA étant rétabli, quelques jours plus tard, dans son fauteuil présidentiel grâce à l’intervention militaire française.

Parmi les grands noms du MGAP et de l’AGEG (dans les années 50, 60 et 70), on peut citer, entre autres, Emile KASSA MAPSI, Germain MBA, Jean-Pierre NZOGHE NGUEMA, Paul MALEKOU, Marc-Saturnin NAN NGUEMA, Eloi RAHANDI CHAMBRIER, Jacques LIBIZANGOMO JOUMAS, Gaston BOUKAT-bou-NZIENGUI, Hervé MOUTSINGA, Paul OKOUMBA d’OKWATSEGUE, Joseph AMBOUROUE AVARO, Pierre-Louis AGONDJO OKAWE, Xavier-François ONDO NZE, Joseph RENDJAMBE, Jules BOURDES OGOULINGUENDE, Jean-François NTOUTOUME EMANE, Jacques MENGUE M’EYI, Jean-Pierre LEMBOUMBA LEPANDOU, Victor MAPANGOU MOUKAGNI MUETSA, René NDEMEZO’O OBIANG, Guy NZOUBA NDAMA, Benoit MOUITY NZAMBA, Luc BENGONE NSI,…

L’entrisme ou l’art d’aller à la « mangeoire » ?

Le président Léon MBA comprend assez vite le potentiel pouvoir de nuisance de cette jeunesse bien formée et nouvellement diplômée des universités françaises. Très critiques à l’égard des autorités gabonaises, la « récupération » (ou plutôt la « cooptation ») des anciens étudiants opposants va devenir une priorité pour Léon MBA, et pour son successeur Albert-Bernard BONGO.

Ces jeunes fraichement débarqués d’Europe ou d’Amérique retrouvent un pays qui sort à peine de la colonisation ; un pays où tout est à construire et où les cadres diplômés d’université ne courent pas les rues. Ainsi, ils entendent naturellement participer, comme tant d’autres cadres, au développement du Gabon.

Plus tard, la plupart des anciens membres de l’AGEG et du MGAP participeront à l’instauration du parti unique, devenant ainsi, pour quelques-uns d’entre eux, des caciques et barons les plus en vue et les plus influents du PDG. Pour justifier et légitimer leur forfaiture (on pourrait même parler de « retournement de veste » ou de « traitrise »), ils invoqueront une théorie fumeuse appelée « l’entrisme », c’est-à-dire « adhérer à un régime politique, soi-disant pour mieux le changer de l’intérieur ».

Selon la définition sociologique et politique, l’entrisme est une « tactique adoptée par certaines organisations (syndicat, parti politique, groupe de pression ou d’intérêt) et visant à faire entrer dans une autre organisation certains de leurs membres en vue d’en modifier la pratique et les objectifs ».

Théoriquement, l’objectif est donc d’influer sur l’orientation et la puissance d’un courant d’idées au sein de l’organisation ciblée pour parvenir à infléchir la stratégie de l’ensemble de l’organisation. En intégrant le Bloc Démocratique Gabonais (B.D.G.) de Léon MBA, puis les instances de décision du Parti Démocratique Gabonais (P.D.G.) d’Albert Bernard BONGO, les anciens opposants affirment, non sans prétention, « faire la révolution de l’intérieur ».

En effet, à leur retour au pays, après de longues années passées en Occident où ils tenaient des discours enflammés contre le régime en place, ces pseudo-révolutionnaires et autres illuminés vont tout naturellement renier les idéaux et principes qu’ils défendaient. Séduits par les discours fédérateurs du Grand Camarade, ils ont massivement intégré le régime BONGO-PDG qu’ils avaient longtemps contesté, prétextant pouvoir changer le Système de l’intérieur.

Malheureusement, l’Histoire nous a montré que c’est plutôt le Système qui a fini par les phagocyter, les neutraliser, voire les abrutir (on ne compte plus le nombre de Gabonais talentueux, brillants et compétents « tués », « abrutis » et « aliénés » par le Système BONGO-PDG). A l’exception de quelques-uns qui ont choisi de prendre leurs distances avec la politique, les anciens opposants révolutionnaires sont tous devenus des grands barons (ou des « roitelets ») du régime en place, plutôt enclins à traquer et à persécuter tous ceux qui ne suivaient pas leur exemple.

Avec des concepts fumeux et pompeux comme « le progressisme démocratique et concerté » en 1976, certains sont même devenus les principaux idéologues du PDG (OGOULIGUENDE, NTOUTOUME EMANE…), arborant fièrement leur statut de « griots du Roi ». A gorge déployée, ils ont chanté les louanges du Grand Camarade et ont, en contrepartie, obtenu une situation professionnelle avantageuse, une nomination ministérielle et « quelques pièces de monnaie » à la hauteur de leurs chants élogieux à la gloire du Chef. Cette époque marque bien la naissance de la politique-spectacle à la gabonaise ! Préférant assurer leurs carrières professionnelles et jouir de tous les avantages financiers et matériels que cela incombe, ils ont tout simplement renoncé, pour la plupart, à jouer le rôle d’intellectuels éclairés et engagés.

Par leur silence complice, leurs applaudissements et leurs louanges, ils ont approuvé et légitimé les dérives du pouvoir en place. Par leur présence au sein des instances de décision du PDG, ils ont servi de « caution intellectuelle » à un régime corrompu et dévoyé. Par contre, il est important de préciser qu’au temps fort du parti unique, d’autres Gabonais ont pris une position radicalement opposée. Faute de cadre dans lequel s’exprimer librement et faire valoir leurs idéaux (démocratie, justice, égalité, liberté), ils ont fait le choix courageux de rester en dehors du Système, voire même de le combattre, en demeurant à l’extérieur du PDG (ex : Joseph RENDJAMBE, Martin EDZODZOMO ELA, Jacques MENGUE M’EYI, l’abbé Noël NGOUA NGUEMA, Luc BENGONE NSI, et bien d’autres).

En déclinant toute collaboration avec le pouvoir en place, ces hommes de conviction ont pris le risque d’être marginalisés, exclus, sous-employés ou simplement « réduits au silence » (au sens propre comme au figuré). En refusant de servir de « caution intellectuelle » et d’aller à la « mangeoire », ils ont accepté de subir les pressions et les manœuvres d’intimidation exercées sur tous ceux qui ne partageaient pas ou n’adhéraient pas à l’idéologie du Pouvoir.

L’entrisme, un fonds de commerce toujours d’actualité ?

Depuis plusieurs décennies, pour beaucoup de Gabonais, « faire la politique » suppose donc de « faire semblant », « jouer les opposants radicaux », « se donner en spectacle » pour être remarqué, « faire des appels du pied » pour être coopté par le Pouvoir, « s’escrimer » en vue d’être parmi les gens du cercle dirigeant, afin, simplement et uniquement, de jouir des rentes de situation que cela confère naturellement.

Les années 1990 et 2000 marquent l’apparition des médias (journaux) de l’opposition et d’internet avec toute la littérature spontanément florissante qu’on sait. L’avènement des réseaux sociaux qui en résultent a donné à plus d’un Gabonais se sentant frustré culturellement et intellectuellement la possibilité de s’exprimer librement, voire de faire son « show ».

Ceux-là qui gesticulent sur les réseaux sociaux depuis plusieurs mois et font des acrobaties pour être cooptés n’ont sûrement pas inventé la roue. Ils ne font que nous « refourguer » les mêmes vieilles recettes usitées depuis bien longtemps. Tout comme leurs « ainés » qui prétextaient entrer dans le Système pour mieux le changer de l’intérieur, ils sont nombreux ceux qui prétendent aujourd’hui aller au dialogue pour sortir le Gabon de l’impasse politique et sociale, sauver le pays de la dérive et, sans mauvais jeu de mots, du « péril jaune » ou du « péril chinois » (allusion à Jean PING).

Ces pseudo-opposants affirment pouvoir apporter leur « expertise » (qui reste à démontrer) dans la construction et le développement du pays. Je suis assez curieux de savoir quelle est leur recette-miracle pour débarrasser le Gabon de 50 ans de médiocratie « bongolienne »…

Au sujet de l’entrisme (ou la traitrise) en politique, nous avons tout entendu et tout lu. Depuis 25 ans, le peuple gabonais s’est laissé enfariner par tous les concepts fumeux imaginables (la paix des braves, l’opposition conviviale, la majorité républicaine, le dialogue inclusif…). Depuis 25 ans, des pseudo-opposants font du bruit (beaucoup de bruit), gesticulent, « aboient », brassent du vent, pour, finalement, aller à la « mangeoire » et se partager le gâteau.

Pas besoin d’être un observateur et un analyste politique averti pour comprendre que le fameux « dialogue » proposé par le Pouvoir n’est rien d’autre qu’une escroquerie de plus. Il s’agit une fois encore d’une vaste mystification visant à distraire le peuple et apaiser les appétences et les velléités de certains opposants du dimanche.

Toutefois, en voyant le nombre de gesticulateurs et d’acrobates qui se bousculent au portillon, je reste convaincu que « l’entrisme » (ou « la politique du ventre », c’est-à-dire « l’art d’aller à la mangeoire ») demeure, pour beaucoup de Gabonais affamés et sans convictions, un fonds de commerce qui a encore de beaux jours devant lui. Comme disait l’activiste Gregory NGBWA MINTSA « je peux me tromper, mais c’est mon opinion… ».

Ricky NGUEMA-EYI
« Un citoyen lambda ».

@info241.com
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