Lundi 20 juillet 2015 devant la cour spéciale de Dakar au Sénégal se tient la première audience d’un procès attendu depuis plus de quinze ans : celui d’Hissène Habré, ancien président du Tchad mais aussi et peut-être même surtout ancien chef de guerre doublé d’un preneur d’otages.
En France, on découvre Hissène Habré lorsqu’il retient en otage en 1974 dans le Tibesti Françoise Claustre, ethnologue et archéologue française, il est alors en compagnie de Goukouni Oueddei à la tête d’un mouvement de libération, comme il en pullulait sur le continent noir, les Forces Armées du Nord du Tchad (F.A.N.T.) l’ancien Frolinat qui combat le régime de François Tombalbaye, premier président de la république du Tchad assassiné en 1975 et remplacé par le général Félix Maloum.
Hissène Habré et son compère Goukouni Oueddei sont aussi les responsables de l’assassinat du commandant Pierre Xavier Gallopin, officier des troupes de marine et membre du Service de Documentation Extérieure et de Contre-Espionnage le S.D.E.C.E. venu négocier la libération de Françoise Claustre et de son équipe.Le commandant Gallopin sera pris en otage à son tour, torturé et exécuté par pendaison après que ses bourreaux aient tenté de se servir de lui comme monnaie d’échange pour obtenir des armes.
Après avoir été premier ministre de Felix Maloum en 1978. Hissène Habré et son « associé » Goukouni Ouedei finissent par accéder au pouvoir dans le cadre du Gouvernement d’Union Nationale du Tchad (G.U.N.T.) suite aux accords de Kano de 1979. Goukouni Ouedei devient président et Hissène Habré ministre de la défense.
En 1980, Hissène Habré quitte le Gouvernement d’Unité Nationale du Tchad (GUNT) et décide de renverser Goukouni Ouedei, sa manœuvre échoue alors que ses hommes se trouvent dans les rues de Ndjamena grâce à l’intervention de l’armée libyenne qui sauve de justesse le régime de Goukouni Ouedei.
Suite au putsch manqué de Habré, Goukouni Ouedei décide à Tripoli en compagnie de Mouhamar Kadhafi la fusion de son pays avec la Libye. Hissène Habré obtient à partir de ce moment le soutien indéfectible de la France par une assistance technique et un soutien logistique.
Hissène Habré finit par arriver au pouvoir à Ndjamena en 1982. Le pays est alors en guerre ouverte contre la Libye du colonel Mouhamar El Khadafi, guide suprême de la Jamahiriya arabe libyenne. Hissène Habré reçoit toujours de l’aide de la France qui défend son pré carré car il ne faut pas oublier que le Tchad est une ancienne colonie française, membre de l’Afrique Equatoriale Française. Rien n’illustre mieux le soutien de la France que les opérations Manta et Epervier. Les américains eux aussi ennemis de Khadaffi ne sont pas loin cela se comprend.
Hissène Habré n’est pourtant pas jugé pour ses activités criminelles, ni pour d’éventuels crimes de guerres ou pour n’avoir pas respectés certaines dispositions des conventions de Genève. Il n’est même pas jugé pour le meurtre abominable de Pierre Xavier Gallopin. Il est jugé pour sa politique intérieure lorsqu’il était chef de l’état.
Hissène Habré est surnommé le « pinochet africain » et pour cause : de 1982 à 1990, ses services de sécurité, dont la très célèbre Direction de la Documentation et de la Sécurité (D.D.S.) sont responsables de la mort de plus de 40.000 personnes. Toutefois la comparaison est inexacte car Hissène Habré a fait « mieux » que le sinistre dictateur chilien.
Des éléments concordants provenant notamment des archives de la très bureaucratique D.D.S. prouvent non seulement que le « pinochet africain » était quotidiennement informé par ses services de leurs activités mais que, comme Sekou Touré avant lui, Hissène Habré donnait des ordres quand il ne dirigeait pas lui-même les opérations.
En ces années ténébreuses au Tchad, on pouvait être arrêté, torturé et tué pour tout et n’importe quoi. Pour un nom, son appartenance à une ethnie, un verre d’eau donné à un inconnu. On pouvait aussi se retrouver entre les griffes de D.D.S. par une lettre anonyme, par « le fait du prince » ou tout simplement parce que sa tête ne revenait pas à un agent de la D.D.S. …
Pendant huit ans, des milliers de tchadiens seront torturés, mutilés et tués par un ogre pourtant soutenu et encadré par les plus grandes démocraties occidentales qui ne peuvent dire qu’elles ne savaient pas. A l’assistance militaire, s’ajoutera la formation des éléments de services de sécurité tchadiens par les Etats Unis et la France. Un document de la D.D.S. découvert par Reed Brody, « le chasseur de dictateurs », fait état de la présence au sein de la D.D.S. d’un technicien américain un certain Morris probablement membre de la C.I.A…
Hissène Habré n’est pas un meurtrier, il est bien pire que cela. Hissène Habré est un tueur de masse de la race des grands tyrans sanguinaires à la soif de sang intarissable trop « célèbres » pour être cités ici. Hissène Habré est le symbole de ce drame africain au cours duquel ses propres enfants s’assassinent faisant le jeu de tous les ennemis de l’Afrique. Aucun argument ne saurait justifier les nombreux charniers de Njamena et du reste du pays. Aucun jugement ne saurait réparer le « patricide » commis par ce fils indigne de l’Afrique.
Nul ne peut rester insensible lorsqu’il se trouve dans « la plaine des morts » de Ndjamena, ce sinistre endroit où étaient enterrés les morts d’Hissène Habré. Les innombrables morts oubliés du Tchad sont nos morts à tous, leurs âmes suppliciées qui réclament justice hantent nos rêves et notre mémoire. Les visages tordus par les traitements inhumains de ces innombrables anonymes tchadiens sont le visage de cette Afrique trop souvent meurtrie par ses fils matricides.
Le procès qui s’ouvre à Dakar doit être celui d’Hissène Habré et de ses nombreux complices tchadiens. Mais il doit aussi le être celui de tous ceux qui l’on soutenu, l’aidant ainsi à massacrer pendant huit interminables années des milliers de Tchadiens au nom d’intérêts stratégiques, de la guerre froide et sans doute de la Realpolitik.
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