Dans un billet publié hier sur son blog au titre évocateur « Puisque mon silence dérange », l’ancien Premier ministre Raymond Ndong Sima sort de son silence. Il revient sur les raisons républicaines de son silence et tente de répondre aux invectives insistantes distillées par une certaine presse à son encontre. Info241 vous livre l’intégralité du billet de Raymond Ndong Sima à ses détracteurs :
La passation de charge avec mon successeur à la Primature s’est déroulée dans la matinée du lundi 27 janvier 2014. J’ai demandé à tous mes collaborateurs directs (directeurs de cabinet, chef de cabinet et conseillers) de se mettre à sa disposition pour transmettre à ses équipes le détail des dossiers en cours. L’histoire retiendra que trois mois plus tard, toute l’équipe avec laquelle j’avais travaillé, maintes fois prise à partie, était toujours en place à ses cotés y compris ceux qui, comme mon directeur de cabinet, avait défrayé la chronique et fait l’objet de vives critiques et même d’accusations infamantes.
Le silence du sortant : un principe républicain universel
Depuis lors, et conformément aux usages auxquels tous mes prédécesseurs, à l’exclusion notable de Monsieur Jean EYEGHE NDONG (sans doute en raison du contexte historique), se sont pliés ; je me suis mis en retrait pour ne pas donner l’impression soit de contester une décision que le Président de la République était tout à fait fondé à prendre en application des dispositions de l’article 15 de la Constitution, soit de marchander une nouvelle fonction. Mais mes illustres prédécesseurs avaient-ils agi autrement ? Léon Mebiame, Casimir Oyé Mba, Paulin Obame Nguéma, Jean François Ntoutoume Emane, ne s’étaient-ils pas imposés une période de silence lorsqu’ils ont été relevés de leur fonction ? Les a-t-on vu sillonner le pays avec leurs successeurs ? Où suis-je moi-même allé avec mon prédécesseur ?
N’est-ce pas là une règle non écrite d’ailleurs en vigueur partout ailleurs dans le monde ? Le Premier Ministre français Jean Marc Ayrault, remplacé le 31 mars 2014, n’est-il pas, au pays des médias, tout à fait silencieux.
Mais mon silence dérange. Il semble même encourager plusieurs plumes à se défouler. Il me vaut des attaques répétées qui tiennent de la provocation. Qu’est ce qui fait sa spécificité et en quoi mon avis ou ma présence ici ou là sont-ils importants ou attentatoires à la loyauté envers les institutions en place ? Finalement, pourquoi mon silence est-il si préoccupant, si peu normal, si bruyant ?
Une invective insistante, des insinuations et amalgames
J’entends dire ici et là que j’attends du Président une autre fonction digne de moi alors que je suis Député du canton Kyè, fier de l’être, siège gagné de haute lutte dans une circonscription jamais acquise auparavant par le PDG. D’autres m’ont décrit en activiste, ourdissant je ne sais quel complot avec mes ainés politiques du Woleu-Ntem, tout au moins avec une partie d’entre eux, pour avoir salué l’un un jour et conversé avec l’autre un autre jour. Ces civilités, y compris entre des personnes qui militent dans le même parti, sont devenues suspectes puisque le seul statut normal qui nous convienne est celui des luttes fratricides.
D’autres encore croient bon de me charger de tous les péchés d’Israël et voient ma main invisible dans tous les ratés de leurs maladresses et turpitudes. Ils m’attribuent, aux dernières nouvelles, le boycott de la commémoration de l’Indépendance le 17 août à Oyem d’où j’étais parti le 15 et la démobilisation de mes groupes d’animation imaginaires puisque je n’ai de groupes ni dans la commune ni dans mon canton. Soit dit en passant, les invitations sont des actes qui viennent après des civilités primaires. Qui, parmi ceux qui m’ont invité, a d’abord eu la courtoisie de me saluer une seule fois pendant les quinze jours que j’ai passés à Oyem avant cette échéance ? Et subitement me voilà devenu un objet de convoitise un ornement convenable pour le défilé du 17 août, n’est-ce pas un peu trop artificiel ?
Certains ont par ailleurs laissé entendre qu’un pécule, représentant une indemnité de départ, m’avait été versé. Insinuation évidemment grossière destinée à ternir mon image dans l’opinion publique. Au contraire, mon salaire de Premier Ministre a été coupé dès le début du mois de mars 2014, soit un mois après ma sortie de la primature, contrairement aux textes en vigueur.
Je n’ai pas monnayé mon départ. Je n’ai rien demandé en partant de la primature ou si peu. J’ai notamment demandé qu’on me laisse désormais tranquille et cette demande pourtant modeste n’a visiblement pas été entendue.
Ainsi, une partie de la presse, en charge de porter les injures que ceux qui les profèrent n’ont pas le courage de soutenir publiquement, ne cesse de m’envoyer pics et quolibets et s’emploie à m’associer à toute sorte d’intentions, de rencontres et d’évènements. Elle associe désormais mon nom à la mauvaise gestion passée des deniers publics et soutient que je me suis donné des libertés pour jongler avec l’argent du contribuable.
Dans le contexte actuel des investigations désormais ouvertes sur la gestion des ressources publiques passées, de telles affirmations sont d’une extrême gravité parce qu’elles visent à créer des écrans de fumée pour protéger des personnes qui auraient justement des comptes à rendre à la Justice du fait de leur gestion passée des biens publics dans le cadre des fêtes tournantes, de la construction des édifices publics, de l’acquisition des équipements publics et que sais-je encore.
En chômage à partir de novembre 2001, je n’ai participé ni de près ni de loin à la gestion des fêtes tournantes. Je ne suis revenu à la vie publique qu’en octobre 2009 avec mon entrée au gouvernement. L’évocation de mon nom dans ce contexte relève donc d’une basse manœuvre qui a pour but de l’associer à des évènements et à des faits répréhensibles. Je ne peux l’accepter et j’entends bien à l’avenir le faire savoir et m’opposer énergiquement à cet amalgame qui relève d’une diversion grossière et d’une confusion créée et entretenue pour distraire l’opinion publique.
Un engagement responsable
Je suis entré dans le premier gouvernement qui a été mis en place par le Président de la République qui venait d’être investi en octobre 2009. J‘estimais qu’il fallait donner une chance à un changement apaisé. L’Histoire ne m’a pas donné raison pour ce qui est des réformes mais je ne regrette pas mon choix. Il était de bonne foi. Tout le temps que je suis resté au gouvernement, je me suis efforcé d’être loyal en disant la vérité sachant qu’une telle posture pouvait entrainer mon éviction
Du pragmatisme certes et non de l’opportunisme
de ces charges ; mais également en apportant ma contribution à la résolution de conflits financièrement coûteux pour l’Etat à l’exemple de celui sur le Transgabonais tranché par le CIRDI, conflit dont j’avais pourtant largement fait les frais. Je ne me suis pas prêté à des compromis qui m’auraient mis le pied à l’étrier de compromissions dangereuses pour le pays et contraires à mes convictions.
Je n’ai eu de cesse de rappeler les fondamentaux d’une bonne gouvernance en préconisant le respect de l’état de droit et, en tout premier lieu, celui des lois sur le travail avec la mise en conformité de la situation des agents publics avec les textes législatifs et réglementaires en vigueur ; mais également en insistant sur la nécessité pour l’Etat d’agir en bon père de famille par un encadrement de ses dépenses dans les limites de ses ressources pérennes et enfin, en rétablissant le mérite comme critère principal des promotions. En la matière, je me suis efforcé de joindre l’acte à la parole et me suis gardé de tout népotisme en formant un cabinet qui reflétait la diversité sociologique de notre pays. Il n’est pas certain que tout le monde puisse en dire autant. J’en ai payé le prix fort dans ma propre famille d’abord où beaucoup se sont inscrits à l’avant garde des critiques dont j’ai fait l’objet.
Précisément, ce n’est pas agir en bon père de famille que d’accroitre inconsidérément les dépenses de fonctionnement et d’en couvrir une partie telles que les primes ou d’autres dépenses comme les remboursements de TVA par des ressources destinées à l’investissement. C’est au contraire une grave erreur économique et financière dont le futur nous présentera la facture. Le dire, c’est rappeler le bon sens au nom duquel il faut préparer un futur meilleur en investissant réellement ; c’est défendre l’intérêt général et refuser d’adopter un silence coupable parce que complice de décisions de gestion qui compromettent le futur ; c’est refuser de flatter juste pour accéder à ou conserver un maroquin ; c’est être républicain en soulignant les dangers qu’une telle orientation porte ; c’est agir pour le Gabon.
Ceux qui se font l’écho, à loisir, d’un ressentiment que je nourrirais à la suite de mon éviction de la primature que je n’aurais toujours pas digérée, scrutent mes faits et gestes et spéculent frénétiquement sur mes occupations actuelles et mes intentions futures comme s’ils n’avaient rien de mieux à faire. Il se trouve même parmi eux quelques uns qui répètent à l’envie leur incompréhension du changement de posture des personnalités au gré de leurs promotions. Hélas pour eux, je n’ai pas attendu d’être débarqué pour dire ma réprobation de certaines pratiques. En témoigne le dossier Sovog notamment. C’est peut-être même pour avoir exprimé des désaccords que j’ai été écarté car je ne change pas d’avis au gré des promotions. Je ne réprouve pas une option le matin parce que je suis à l’Orient pour l’approuver le soir rendu en Occident. Je suis certes pragmatique mais j’ai des principes qui m’interdisent un opportunisme susceptible de mettre en cause ma loyauté.
Ces censeurs m’envoient finalement, ainsi qu’à tout le pays, un message autant inaudible qu’incompréhensible. Ils ont soutenu haut et fort que mes résultats passés avaient été de piètre qualité ; que je n’avais aucune assise politique dans le pays, aucune capacité de mobilisation, aucune aptitude à fédérer et tant d’autres choses de cette nature. Ils ont fustigé ma disponibilité à négocier avec les syndicats,
La logique de l’intimidation et la caporalisation de l’espace politique
l’assimilant à un aveu constant de faiblesse et à un manque de fermeté. Peut-être faut-il leur demander maintenant, ainsi qu’à leurs véhicules de propagande, si la fermeté dont ils font désormais preuve porte ses fruits ; si les écoles les hôpitaux et les services publics sont revenus à un fonctionnement normal, si les projets s’exécutent mieux, si la présumée symbiose retrouvée entre le Gouvernement et l’Assemblée Nationale a accru l’efficacité de ces deux institutions bref, si plus généralement l’accalmie sociale est revenue.
Quoi qu’il en soit, j’avoue avoir bien du mal à comprendre pourquoi ils se soucient de telle initiative que je pourrais prendre. En quoi d’ailleurs le silence d’un falot aurait-il de l’importance et pourquoi les projets d’un personnage tout à fait insignifiant, pleutre, seraient-ils un sujet de préoccupation ? N’est-ce pas là une contradiction évidente ?
Les spéculations au centre desquelles on me place du fait de mon silence procèdent d’une stratégie plus large de colonisation et de caporalisation de l’espace politique par ceux qui savent tout, insultent qui bon leur semble, en toute impunité, à l’abri de leurs courageux pseudonymes sous l’oeil bienveillant d’un organe de régulation et d’une Justice surprenants qui ne voient et n’entendent que ce qu’ils veulent, malgré les injures publiques, au nom prétendument de la caricature et de la satire, y compris dans des journaux qui se disent d’informations générales et d’analyses, et malgré les atteintes ouvertes et répétées à la dignité des uns et des autres.
Cette stratégie vise à mettre sous pression tous les coupables présumés ou avérés du crime de lèse-majesté constitué du fait de critiques ou même simplement de réserves formulées sur la conduite de la politique économique, sociale et morale du pays et ainsi à les contraindre à l’autocensure. Dans cette logique, le silence lui-même devient suspect.
L’agitation en cours, le cafouillage entretenu autour de mon silence tout comme ma mise en cause lors de réunions politiques auxquelles bien sûr je ne prends pas part sont autant d’inutiles provocations. Elles relèvent d’une posture qui voudrait ou me dénie déjà la liberté de conscience, de pensée, d’opinion, c’est dire mes droits fondamentaux tels que déclinés à l’article premier de notre Constitution.
Une telle posture procède d’une logique d’intimidation à laquelle je suis particulièrement réfractaire. Elle est symptomatique d’une dérive à petits pas vers un régime totalitaire et finalement de terreur dans lequel tout désaccord avec une voix autorisée sur n’importe quelle question, conduit à une déchéance professionnelle, sociale, civile et même sanitaire brutale. Elle vise à instaurer la précarité des citoyens comme une règle de gouvernance parce qu’elle les contraint soit à la misère, soit au silence et à une soumission indignes d’une humanité éveillée et en épanouissement.
Un tel régime est insidieusement en train de prendre ses quartiers dans notre pays avec ces provocations répétées, ces menaces sibyllines, ces assiettes chinoises, russes, roumaines ou tout simplement gabonaises, ces agressions suspectes mais aussi ces avis à l’emporte-pièce qui en révèlent la montée en puissance. Est-ce bien de cette façon que le Gabon restera digne d’envie ?
Protégés par la peur qu’ils installent progressivement, les tenants de cette ligne politique et les thuriféraires en charge de leur propagande dans la presse claquent à loisir, à longueur de journée et en toute insouciance, des allumettes dans les poudrières du pays, provoquant qui ici, insultant qui là. Un jour ils finiront, en toute inconscience, par provoquer une explosion à l’issue incertaine ; ou par persuader les sages de l’inutilité de leur retenue ou toute simplement par donner aux lâches qui tremblotent la force d’affronter leur destin.
Raymond Ndong Sima
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