Monde scolaire

Le Gabon a-t-il réellement une politique de planification en matière d’éducation et d’enseignement ?

Le Gabon a-t-il réellement une politique de planification en matière d’éducation et d’enseignement ?
Le Gabon a-t-il réellement une politique de planification en matière d’éducation et d’enseignement ? © 2017 D.R./Info241

En regardant de près les récentes décisions prises par le gouvernement en matière d’éducation et d’enseignement, de nombreux Gabonais semblent dubitatifs. Ils découvrent avec étonnement des mesures bâclées et prises à la va-vite, sans aucune consultation, comme si elles avaient été rédigées dans un coin de table.

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Quand l’incompétence, l’amateurisme et l’impréparation sont à la tête d’un Etat, cela donne incontestablement des résultats assez déconcertants. Des stades de foot, des cliniques et des « hôtels de passe » qui deviennent des établissements scolaires ; il y a vraiment de quoi s’interroger sur la santé mentale de ceux qui nous gouvernent. Depuis quelques années, on a malheureusement l’impression que la raison et le bon sens ont définitivement foutu le camp dans ce pays ! Le citoyen lambda que je suis s’interroge sur la pertinence des politiques éducatives menées au Gabon et se demande s’il existe réellement dans ce pays une politique de planification. Et pour quels résultats ?

Mais tout d’abord, qu’est-ce que la politique de planification ?

Pour l’économiste et planificateur gabonais Jacques MENGUE m’EYI (dans sa thèse en économie présentée à la Sorbonne au début des années 1970), « la planification est un travail d’observation objective des faits et des phénomènes socio-économiques, d’analyse critique, de conception et d’élaboration de schémas, de programmation coordonnée dans le temps et l’espace… d’un point de vue conceptuel, le plan peut donc être défini comme un ensemble coordonné d’opérations ou d’actions visant à organiser la meilleure utilisation possible, dans le temps et dans l’espace, de l’ensemble limité des moyens et ressources d’une société donnée en vue de promouvoir son développement  ».

Selon cette définition, la mission de la planification est de guider, d’éclairer l’action des pouvoirs publics dans la conduite de la politique de développement social et économique du pays. Toutefois, en analysant les dernières mesures gouvernementales, prises une fois encore de façon hasardeuse, on peut s’interroger sur l’existence d’une véritable politique de planification dans ce pays. Comment un pays aussi richement doté et faiblement peuplé que le Gabon peut avoir, au 21ème siècle, des salles de classe de 130, 150, 170 ou 200 élèves ? Comment expliquer que des enfants gabonais apprennent, assis à même le sol, dans des salles de classe surchargées et sous-équipées, sans table-banc ? Comment expliquer les choix politiques, économiques et idéologiques qui ont affecté négativement et empêché l’éclosion d’un développement et l’émergence d’un Etat social ?

Aujourd’hui, on constate malheureusement que les politiques sociales et économiques engagées par les différents gouvernements gabonais n’ont nullement permis à la population d’accéder au bien-être social, à une éducation de qualité, des logements décents, des infrastructures hospitalières et sanitaires dignes de ce nom. La lutte contre la corruption, la pratique de la bonne gouvernance et l’instauration d’un Etat de droit respectueux des règles démocratiques ont été un échec cuisant. Alors, le citoyen lambda que je suis s’interroge !
Dans un pays organisé, dirigé par des gens sérieux et responsables, l’accès à de meilleures conditions de vie (une éducation, une formation et à des soins de santé de qualité, un logement décent…) est supposé être une priorité.

La santé et l’éducation (objets de l’actuelle décennie des Nations Unies pour l’Afrique dans le cadre des Objectifs du Millénaire pour le Développement « OMD ») sont des secteurs dont le développement ne manquerait d’avoir un impact évident sur l’activité économique et sur la vie sociale dans son ensemble. A titre d’exemple, prenons le cas de l’éducation qui est un droit fondamental inscrit dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948. Une éducation de qualité repose logiquement sur un certain nombre de critères tels que :
- Les infrastructures ;
- L’environnement ;
- Le ratio élèves/enseignant ;
- Les ressources pédagogiques/d’apprentissage ;
- Les méthodes d’enseignement ;
- Les résultats des élèves (le taux d’échec, de redoublement et le décrochage scolaire) ;
- L’adaptation des programmes scolaires aux cadres et aux besoins sociaux actuels ; etc.

Après le Forum mondial sur l’éducation organisé par l’Unesco en 2000, le bilan réalisé au Gabon montre que les progrès n’ont pas été très significatifs en matière de réduction des effectifs pléthoriques, de diminution du taux d’abandon et de redoublement, de construction d’infrastructures scolaires et universitaires, de réduction des inégalités dans l’accès à une éducation de qualité. Ce bilan insiste sur les insuffisances, les manques et les lacunes dont souffrent les politiques éducatives menées au Gabon.

Il s’agit de trouver des solutions adaptées aux besoins politiques, sociaux, institutionnels et matériels auxquels il conviendrait de répondre rapidement pour rendre ces politiques plus efficaces. Le diagnostic que nous faisons de la situation actuelle du Gabon montre que les pouvoirs publics éprouvent encore des difficultés à définir le sens, l’objet et le contenu d’une formation de qualité dans le contexte d’un monde en évolution permanente.

Une véritable politique de planification s’impose justement pour assurer un enseignement et une formation de qualité et garantir pleinement les missions de l’éducation nationale. Selon les sociologues de l’éducation, cette politique consiste à partir d’un diagnostic (efficacité, qualité, pertinence…), appuyé sur des données fiables et pertinentes, de formuler des prévisions/anticipations sur les facteurs déterminant l’évolution (données démographiques, demandes individuelles, sociales et économiques) ; de tenir compte des finalités et des objectifs pour formuler des recommandations dont la mise en œuvre correspond au plan d’actions (réformes, investissements…). L’opération de planification doit obéir aux exigences d’une méthode et se traduire significativement par le développement du système éducatif.
Avant de verser dans l’improvisation, un gouvernement responsable devrait normalement se poser un certain nombre de questions fondamentales :
- Qu’est-ce qui explique le taux d’échecs et de redoublement important observé au Gabon ?
- Comment augmenter le nombre d’enseignants ?
- Comment lutter efficacement contre le décrochage scolaire ? Et quels palliatifs proposés aux ‘‘décrocheurs’’ ?
- Combien de Gabonais appartenant à une même classe d’âge accèdent aux études supérieures ?
- Comment réduire de façon significative la fracture scolaire entre les élèves intégrés et les autres, entre les filières « nobles » et celles auxquelles on n’accorde pas une égale dignité, entre les établissements ou les quartiers plus ou moins favorisés et ceux que l’on préfère trop souvent ignorer ? etc.

Cette planification ne porte pas seulement sur les contenus des politiques éducatives, mais aussi sur le cadre général, politique, économique et idéologique, dans lequel elles sont menées. Ce ne sont donc pas seulement l’existence des infrastructures, les conditions de travail (des enseignants) et d’études (des élèves), les résultats des élèves (les taux d’échec, de redoublement, le décrochage scolaire), l’organisation pédagogique, les programmes et les méthodes d’enseignement qui sont à questionner, mais plus globalement la planification et la politique de développement du pays en matière d’éducation et de formation.

En effet, un enseignement, une éducation et des formations de qualité bénéficiant à toutes les couches et catégories sociales, sans distinction et sans discrimination, sont une condition essentielle d’un développement efficace et durable. Et pour arriver à un tel résultat, l’Etat et les pouvoirs publics doivent faire en sorte que chaque citoyen soit équipé des outils d’apprentissage fondamentaux et jouisse de conditions d’études et de travail optimales, essentielles dans l’environnement qui est le sien. Cela suppose donc que tous les citoyens bénéficient, au départ, de chances équitables... Voilà ce qu’est la véritable égalité des chances !

La politique de planification en matière d’éducation et de formation doit être pensée et programmée. On ne saurait donc improviser et imposer de façon unilatérale, à quelques jours de la rentrée scolaire, la réduction des coefficients des matières principales dispensées au premier cycle du secondaire, sans avoir même pris la peine d’impliquer ou d’associer les différents acteurs concernés par la question de l’éducation et de l’enseignement au Gabon (syndicats des enseignants, sociologues et autres spécialistes de l’éducation, responsables d’établissements, associations des parents d’élèves…).

En effet, la décision de ramener tous les coefficients à 1 pour le 1er cycle n’est rien d’autre qu’une aberration de plus du gouvernement gabonais. C’est une mesure qui s’inscrit dans la droite ligne d’une politique visant à niveler par le bas le niveau des élèves. Comment peut-on prétendre que l’enseignement du sport et/ou du dessin est aussi fondamental pour un élève de 3ème que celui des mathématiques, de l’anglais et du français ? Est-ce avec de telles mesures fumeuses que le gouvernement compte revaloriser et redonner sens et autorité aux savoirs ? Cette décision repose encore une fois sur une mystification : dans une remarquable opération de prestidigitation, le gouvernement tente de faire croire aux Gabonais que, par la vertu d’une prétendue réforme, l’enseignement connaitra un nouvel âge d’or.

Le citoyen que je suis est curieux de savoir en quoi le dessin et l’éducation physique et sportive (EPS) seront utiles aux élèves à l’université ou dans leur carrière professionnelle. Le comble de l’imposture, c’est lorsque le gouvernement proclame un retour aux apprentissages fondamentaux, tout en organisant leur affaiblissement et en proposant aux élèves gabonais un enseignement, une éducation et des formations au rabais qui risquent, à long terme, de produire des citoyens « sous-qualifiés » et « sous-formés ». En réalité, il s’agit là encore d’une mesure parfaitement farfelue et incongrue. Il est bien vrai que les autorités gabonaises ne sont pas à une incongruité près !

Toutefois, je reste quelque peu déconcerté par la légèreté (ou la désinvolture) avec laquelle le gouvernement prend des décisions hasardeuses, en toute improvisation, sans avoir préalablement évalué la situation, le contexte et les besoins actuels. Pour les nombreux manquements observés, le gouvernement est régulièrement mis en accusation par les parents d’élèves et les syndicats. Après avoir mis l’économie du pays en lambeaux, c’est désormais le système éducatif qui est tiré vers le bas. Mais qu’est-ce que les Gabonais ont fait au bon Dieu pour mériter ça ? Je m’interroge…

Les autorités gabonaises devraient plutôt rechercher les causes principales de ces dysfonctionnements et tenter d’y apporter les remèdes indispensables pour relancer notre système éducatif sur le chemin de la réussite. L’action du gouvernement doit s’inscrire bien sûr dans le cadre des missions fondamentales de l’école : instruire (c’est-à-dire transmettre des connaissances et une culture), éduquer (c’est-à-dire former le futur adulte et le futur citoyen dans une société démocratique) et enfin préparer à la vie professionnelle.

Depuis 1990, les problèmes posés par les syndicats enseignants, les associations des parents d’élèves, les sociologues de l’éducation demeurent encore et toujours d’actualité, c’est-à-dire sans solution satisfaisante. Le système éducatif actuel au Gabon semble être conçu pour offrir une formation de bonne facture à un petit nombre (une sorte d’élite composée d’héritiers et d’enfants de milieux très favorisés) plutôt que d’assurer à tous les enfants du pays de meilleures conditions d’études et une instruction de qualité.

Les récentes mesures du gouvernement gabonais semblent malheureusement donner raison au sociolinguiste et politologue américain Noam CHOMSKY qui, dans son ouvrage « Armes silencieuses pour guerres tranquilles » (dans lequel il dresse la liste des « dix stratégies de manipulation »), affirme que : « la qualité de l’éducation donnée aux classes inférieures doit être la plus pauvre, de telle sorte que le fossé de l’ignorance qui isole les classes inférieures des classes supérieures soit et demeure incompréhensible par les classes inférieures ».

Depuis plus d’un quart de siècle, tous les spécialistes de la question ne cessent de dénoncer les manquements, l’insuffisance des structures scolaires, les conditions d’étude et de travail tout à fait dérisoires et moyenâgeuses. Depuis 1990, de nombreux acteurs sociaux (intellectuels, universitaires, syndicalistes, politiques…) ont clairement exprimé la nécessité d’améliorer tant soit peu la politique de planification en matière d’éducation et de formation. A ce jour, les différents gouvernements sont restés sourds à leurs revendications et propositions. Pourtant, la lutte contre les inégalités, en termes d’accès à une formation de qualité, devrait logiquement être l’une des missions fondamentales de l’Education nationale.

Les dysfonctionnements et les manquements observés au Gabon, depuis des décennies, sont bien les symptômes d’une inadéquation fondamentale des politiques éducatives qui y sont conduites. L’ampleur des insuffisances qui ont été diagnostiquées est le signe qu’il n’existe pas de réelle politique de planification en matière d’éducation et de formation. Du moins, si cette politique existe, elle est loin d’être pertinente et opérante.

Pour éviter de se couvrir de ridicule (même si au pays des Bongo, on a vendu la honte aux chiens !), les autorités gabonaises gagneraient plutôt (en terme de crédit) à mettre en place une véritable politique de planification (dans des domaines tels que l’éducation, la formation, la santé, le logement, l’emploi, l’économie, les transports, la culture, la communication…) qui soit opérante, efficace et susceptible d’entraîner d’évidentes transformations dans la vie sociale.

Il s’agit pour cela de faire une évaluation des politiques menées depuis trois ou quatre décennies et dont les résultats, à mon humble avis, ne sont pas des plus probants ou concluants. Il est vrai que mettre en œuvre une politique éducative efficace, avec la volonté de réduire les fractures sociales et d’instaurer une véritable égalité des chances, est un engagement difficile à tenir. Pour ce faire, la mise en place d’une telle politique obligerait les autorités gabonaises à faire preuve de volontarisme et de rigueur. Il serait donc temps que la formation et l’éducation de la jeunesse gabonaise reviennent au cœur des priorités publiques. Ce qui, malheureusement, est encore bien loin d’être le cas.

Ricky NGUEMA-EYI
« Un citoyen lambda »

@info241.com
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