Fiscalité

L’économie informelle en Afrique : la porte de sortie pour les pays Africains ?

L’économie informelle en Afrique : la porte de sortie pour les pays Africains ?
Le marché de Mont-Bouët de Libreville © 2017 D.R./Info241

L’économiste Amadou Sy s’intéresse dans cette analyse à l’économie dite informelle et en ce qu’elle pourrait être une opportunité pour les ressources fiscales de nos économies africaines. Pour cela, l’économiste appelle les Etats à pleinement jouer leur rôle pour engager les reformes nécessaires.

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Certains l’appellent l’économie non-contrôlée ou l’économie de la débrouillardise, d’autres, l’économie souterraine ou l’économie populaire. Dans tous les cas, c’est une économie qui occupe une place prépondérante dans l’économie des pays « appauvris », notamment ceux d’Afrique pour une moyenne de 70% de la population active.

Bien que difficilement identifiable et mesurable, elle est sans doute écartée des comptabilités publiques et échappant à toute politique fiscale. Les Etats sont en carence de stratégies adaptées pour valoriser les produits de l’économie informelle et ramener le gros des activités qu’elle recouvre dans le système formel. L’économie informelle existait bien avant les indépendances des pays africains dans les années 1960.

Après les indépendances, elle s’est accentuée dans un contexte des « trente glorieuse » dont les effets se sont ressentis jusqu’en Afrique, notamment à travers des investissements directs étrangers (IDE) des pays occidentaux vers le vieux continent. Les pays comme l’Afrique du Sud, le Kenya ou encore la Côte d’ivoire ont su en profiter pendant un certain temps. Au début des années 1980, l’économie informelle en Afrique a pris une nouvelle dimension après la mise en œuvre des politiques d’ajustement structurel (PAS), qui ont générées des effets dévastateurs (réduction des salaires, diminution des effectifs de la Fonction publique, privatisation des entreprises d’État…).

La dévaluation du Franc CFA en 1994 avec des effets néfastes sur la structure économique, a contribué à la fragilisation des Etats et donc à l’accroissement du nombre d’agents exerçant dans l’économie informelle. La notion d’informel est une notion à géométrie variable, elle est polysémique et qui a été utilisée pour désigner des activités à la fois diverses et complexes. Il y a donc une multitude de définition. La première est sectorielle dont les travaux ont été élaborés par le Bureau International du Travail (BIT) en 1972 à travers « le rapport Kenya ». Ce dernier défini le secteur informel comme des petites entreprises avec une échelle restreinte des activités essentiellement familiales, à faible intensité capitalistique.

Le deuxième type de définition s’est polarisée sur la pauvreté et la marginalité, c’est-à-dire une approche au niveau de l’emploi informel que l’on retrouve dans l’écosystème formel. De surcroît, il s’agit des unités de production et des micro-entreprises qui ne transgressent pas délibérément la réglementation pour exister contrairement aux activités dites illégales telles que la contrebande, le trafic de drogue, que nous retrouvons dans nos sociétés. Dans tous les cas, ces définitions convergent inéluctablement vers une série de questions : Quelle est la structure de l’économie informelle en Afrique ? Quelles catégories de population sont concernées ? L’Afrique peut-elle se développer sans l’économie informelle ? Au final, l’économie informelle peut-elle être une porte de sortie pour l’Afrique ?

La structure de l’économie informelle en Afrique est essentiellement basée sur des activités inhérentes à l’artisanat, du petit commerce, des petites et moyennes entreprises non formellement identifiées par l’Etat. par exemple, au Cameroun, l’économie informelle recense près de 90 % de la population active, alors qu’on estime qu’elle constitue près de 30% du PIB. Au Sénégal, elle est le poumon de l’économie. Elle représente 60% du produit intérieur brut du pays et 60% de la population active est concernée. Au Mali, les dernières études publiées par l’Institut National de la Statistique (INSTAT) montrent que l’économie informelle touche 70% de la population active et elle contribue pour près de 55% du PIB. Il s’ensuit que ces tendances sont similaires dans la majorité des pays africains. Ainsi, l’économie informelle est hétérogène tant sur les activités que sur les catégories de population.

Il existe deux catégories de population dans l’économie informelle en Afrique : celle qui est dans la débrouillardise avec des revenus de subsistance et celle qui mène une ou plusieurs activités génératrices de revenus (AGR) en bonne dynamique. Même si cette dernière se sente à l’aise dans l’informel, elle ne veut pas forcement être assujettie à la fiscalité. La première catégorie vie quasi-exclusivement de l’économie informelle. Une population qui ne profite aucunement des retombées positives de la croissance économique, même si cette dernière reste encore insuffisante dans une grande majorité des pays Africains. Bien que l’économie informelle exhibe à la fois des caractéristiques hétérogènes et complexes, elle pourrait être tout simplement la porte de sortie pour l’atteinte de l’émergence des pays Africains d’ici à l’horizon 2035 fixé par l’Union Africaine.

En effet, il ne s’agit pas de transformer nécessairement l’économie informelle dans l’optique d’élargir la base fiscale sur des activités génératrices de revenus et très souvent avec des revenus de subsistance. Toutefois, il est important de souligner que la deuxième partie de la population tenant très souvent des petites entreprises à taille humaine avec une croissance d’activité régulière, doit être identifiée et assujettie au prisme fiscal. L’exemple du Maroc en 2014 avec le statut de l’auto-entrepreneuriat élaboré par le Haut Commissariat au Plan (HCP) propose des mesures d’incitations fiscales pour faciliter l’intégration de la deuxième catégorie de population. Par contre, le statut ne propose pas de mesures pour une large couverture sociale des personnes exerçant dans l’économie informelle.

De plus, l’économie marocaine est face à un paradoxe depuis quelques années ; c’est-à-dire que la croissance économique est de plus en plus soutenue, conduisant à la baisse du poids de l’ économie informelle dans le PIB et en même temps l’emploi informel progresse. Bien que l’économie informelle fonctionne allègrement au vu et au su de tous, tout se passe comme si elle était hybride. C’est-à-dire une sorte de « zone grise » ou « zone tampon » entre le formel et l’informel. Ainsi, il est important de mentionner qu’il existe une forte interaction entre le formel et l’informel, ne serait-ce que par la monnaie commune. Si le premier accuse le second de concurrence déloyale, le second quant à lui, accuse le premier d’une carence de considération.

En somme, il est impératif pour les pays « appauvris » d’Afrique plus particulièrement ceux de l’Afrique de l’Ouest, de mettre en place des reformes à l’égard de l’économie informelle. Cela sera possible si les Etats jouent pleinement leur rôle, c’est-à-dire la création d’environnement propice à une meilleure condition de vie des citoyens. L’économie informelle est essentiellement une question de gouvernance. Toutefois, il arrive souvent que les quelques micro-entreprises tenant des unités de production non déclarées et non réglementées ne s’acquittent ni de leurs obligations fiscales, ni de leurs obligations sociales vis-à-vis des travailleurs, faisant ainsi une sorte de concurrence déloyale aux autres entreprises. Celles-ci doivent être ciblées et mise à contribution.

Dans ce cas, l’Etat qui voit déjà lui échapper des ressources fiscales qui devraient provenir de l’économie informelle, verra sa capacité de financement augmentée pour faire face aux services sociaux. Outre la couverture sociale au sens traditionnel, les agents dans l’économie informelle sont dépourvus de toute protection dans des secteurs tels que la formation, l’éducation, l’apprentissage, les soins sanitaires et plus particulièrement ceux inhérents à la petite enfance. En tenant compte de ses reformes, l’Afrique verra un effet conjugué de l’accélération de son développement économique et la baisse de la pauvreté sur le vieux continent.

Amadou SY économiste membre du centre d’études et de réflexion du Mali (CERM), de l’Union des fédéralistes africains (UFA) et de l’Association diplomatique des jeunes nations unies (ADJNU)

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