Interview

Alpha Condé : « la Chine est une opportunité pour l’Afrique »

Alpha Condé : « la Chine est une opportunité pour l’Afrique »
Alpha Condé : « la Chine est une opportunité pour l’Afrique » © 2015 D.R./Info241

Dans une interview accordé à nos confrères chinois du Quotidien du peuple, le président guinéen Alpha Condé revient sur la coopération entre son pays et la Chine. Parmi les grands accords, la centrale hydraulique de Kaleta qui répond largement à la demande d’électricité et qui est appréciée unanimement par le peuple guinéen. Retour sur cet entretien.

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Comment évaluez-vous la coopération entre la Guinée et la Chine au cours des 5 dernières années ? Qu’attendez-vous de cette coopération bilatérale au cours du prochain quinquennat ?

Alpha Condé : Je vous remercie. Je tiens avant tout à saluer le Gouvernement et le peuple chinois pour la contribution substantielle de la Chine au processus de développement de la Guinée. Récemment, la Chine a été constamment à nos côtés dans la lutte contre l’épidémie d’Ebola. Votre pays est un partenaire historique de la Guinée qui a été le premier pays d’Afrique noire à avoir reconnu et appuyé l’admission de la Chine à l’ONU.

Nous avons donc un solide partenariat qui s’est traduit au cours de mon premier mandat par la participation de partenaires chinois dans les projets assurant la transformation de l’économie guinéenne. Dans le secteur de l’énergie nous avons réalisé le projet majeur de construction du barrage de Kaleta, le plus grand barrage de l’histoire de mon pays, par une société chinoise (CWE filiale des Trois Gorges) sur financement de l’Etat Guinéen et de China Exim Bank.

Ce projet, réalisé dans un délai record de 3 ans malgré la présence de l’épidémie d’Ebola, preuve concrète de la solidité de notre partenariat avec la Chine, a permis de fournir continuellement de l’électricité pour la première fois à la majorité de la population guinéenne. Ma politique de l’électricité pour tous est en passe de devenir une réalité grâce aussi à l’installation de lampadaires solaires par une société chinoise (Sumec) dans toutes les sous-préfectures de Guinée.

Nous avons récemment signé un protocole d’accord avec le groupe des Trois Gorges pour la réalisation du barrage hydroélectrique de Souapiti qui doit asseoir les bases de notre développement industriel et établir la Guinée comme un pays exportateur d’électricité de premier ordre dans la sous-région. Nous travaillerons étroitement avec les partenaires, en particulier la Chine, pour la réalisation rapide de ce projet.

Dans le domaine des infrastructures, en plus de la construction de routes avec Henan Chine, et la participation de sociétés chinoises dans l’extension du port de Conakry qui devrait se poursuivre avec l’appui de la Chine, nous avons aussi engagé la construction du réseau national de fibre optique exécuté par Huawei et la relance de l’entreprise nationale de télécommunication grâce au soutien de la Chine.

La finalisation de ces projets constitue un objectif prioritaire de mon second mandat.
Nous comptons renforcer et formaliser le partenariat stratégique gagnant-gagnant entre les deux pays en permettant à la Chine de sécuriser son approvisionnement en matières premières (notamment la bauxite et le fer) dont la Guinée est largement dotée, tout en bénéficiant de l’expertise et des financements des partenaires chinois dans la réalisation de nos infrastructures.

C’est dans ce cadre que le développement du projet Simandou s’inscrit. L’accélération du développement de ce projet, auquel participe Chinalco, sera l’incarnation même de notre vision de partenariat avec la Chine : cette dernière recevra le minerai de fer du plus grand gisement de fer de haute teneur non exploitée au monde, pendant que la Guinée sera dotée d’un chemin de fer et d’un port qui vont permettre l’éclosion de son potentiel au-delà des mines.

Nous avons récemment lancé la production d’un projet novateur d’exportation de bauxite avec un consortium Sino Guinéen qui regroupe (China Hongqiao Group Limited, Winning, Yantai Port Group et UMS) qui prévoit une approche permettant une croissance rapide de la production et une large implication de partenaires locaux. Ce consortium est le premier nouvel exportateur de bauxite de Guinée depuis 15 ans.
Je souhaite un partenariat stratégique global avec la Chine qui couvrira les mines, l’énergie, les infrastructures, l’agriculture etc.

Le prochain sommet du Forum sur la coopération sino-africaine aura eu lieu en Afrique du sud. Qu’attendez-vous de ce sommet ? Comment imaginez-vous l’avenir de la coopération sino-africaine ? Le Président chinois Xi Jinping a la vision d’une communauté de destin pour l’Afrique et la Chine, et d’une coopération amicale sino-africaine qu’il estime être “réelle, substantielle, amicale, sincère”. Que pensez-vous de cette réflexion du président Xi ?

Alpha Condé : : La Chine est non seulement une source d’inspiration pour nous, mais aussi un débouché pour nos matières premières. La Chine a aussi besoin de sécuriser son approvisionnement, en tant que premier consommateur mondial de matières premières, et bâtir un partenariat pour l’exportation de son savoir-faire avec ce continent qui a un gros potentiel de croissance. Nos destins sont donc intimement liés.

Les paroles du président Xi Jinping sont inspirées par une grande sagesse et une grande connaissance du monde d’aujourd’hui. La Chine comme l’Afrique a connu la domination étrangère avec toutes ses conséquences, il y a donc une communauté de destin entre la Chine et l’Afrique. De pays en voie de développement la Chine est en train de devenir aujourd’hui la première puissance économique du monde. Nous, africains, avons donc beaucoup à apprendre de l’expérience chinoise. La Chine a relevé le défi du développement grâce à la vision de ses leaders, et à la force de son peuple. Cela nous inspire en Afrique.

La Chine a l’intention de coopérer avec l’Afrique dans le domaine des infrastructures, s’agissant surtout des réseaux routiers, ferroviaires, aéronautiques, ainsi que dans le secteur industriel. Comment les pays africains peuvent-ils saisir cette opportunité ?
Alpha Condé : J’ai eu l’honneur et le privilège de me rendre en Chine en septembre 2011. A cette occasion j’ai rencontré le Premier Ministre et le Président.

Lors de mes entretiens j’ai dit aux autorités chinoises que l’Afrique est une chance pour la Chine et la Chine une chance pour l’Afrique. En effet, j’ai toujours pensé que la coopération avec la Chine dans tous les domaines et plus particulièrement dans les mines et les infrastructures devait être une priorité. L’Afrique a des ressources et une population particulièrement dynamique sur lesquelles elle doit bâtir un avenir prospère pour sa jeunesse.

L’aspiration de la Guinée est d’utiliser son énorme potentiel du sous-sol pour alimenter le développement des infrastructures. L’avenir de la Guinée ne réside pas dans le développement des ressources naturelles seules, mais dans une économie diversifiée et équilibrée. Les projets d’infrastructure seront essentiels à l’accomplissement de cet objectif. Une approche holistique dans le cadre d’un partenariat dans lequel chacun trouve son compte est la clef de la réussite de notre coopération qui soutiendra le développement de la Chine, tout en sécurisant son approvisionnement en matières premières. Cette orientation permettra à l’Afrique de réaliser sa transformation économique grâce à ces infrastructures.

On dit que vous avez lu beaucoup de livres de Mao Tse Toung et des autres leaders chinois. Quelle est votre impression sur la culture chinoise ? Quelle citation de ces leaders chinois vous impressionne le plus ?

Alpha Condé : J’ai d’abord une grande admiration pour la culture chinoise, parce que la Chine a su conjuguer sa culture ancienne, ancestrale, avec la culture moderne. Or, quand on sait l’immense richesse de la culture ancestrale de la Chine (la Chine était en avance sur l’occident dans beaucoup de domaines au moyen âge) on comprend donc toute l’importance de cette fusion entre la culture ancestrale et la culture moderne. Camper sur le passé pour se projeter vers l’avenir a été le fil conducteur qui a guidé les dirigeants chinois. Comprendre cela est d’une grande importance pour nous africains.

Dans ma jeunesse j’ai eu à lire et à m’imprégner des 4 tomes écrits par Mao Tsé Toung. La phrase qui a le plus retenu mon attention est : « Qui n’a pas fait d’enquête n’a pas droit à la parole ». Et il a conclu que « nous ne voulons de ces cadres qui viennent auprès des populations et qui sans enquête se mettent à donner des ordres ». Cette affirmation a souvent guidé ma vision et mon action politique. En effet, l’enquête est nécessaire à la connaissance et la maitrise profonde des défis que nous voulons surmonter.

De façon plus générale, j’ai eu surtout à admirer la capacité qu’a eue le Président Mao Tsé Toung d’adapter les principes du marxisme-léninisme à la Chine. Le Président Mao a compris très tôt que si la révolution bolchevique en union soviétique a eu comme avant garde la classe ouvrière il ne pouvait pas en être de même pour la Chine qui était un pays semi colonial et semi développé. De ce fait la révolution ne pouvait pas partir de la ville vers les campagnes, mais au contraire des campagnes vers la ville. C’est à dire que ce sont les paysans qui devaient être les moteurs de la révolution.

Si j’ai eu à admirer la grande capacité d’homme d’Etat et de diplomate de Chou en Lai, j’ai surtout eu à retenir les réflexions d’un autre dirigeant, en l’occurrence celui qui a initié la politique économique qui a permis le développement de la Chine : le Président Deng Xiaoping avec sa fameuse formule : peu importe que le chat soit noir ou blanc, l’essentiel est qu’il attrape la souris. Cela est une très grande leçon de pragmatisme donnée à tous les pays en développement. En effet les dirigeants chinois ont su, tout en gardant la primauté du parti communiste, faire preuve d’un pragmatisme qui leur a permis de tirer le plus grand bénéfice des expériences des autres pays.

Certains observateurs occidentaux prétendent que la présence chinoise en Afrique s’apparente à du néocolonialisme. A votre avis, qu’est-ce que représente la Chine pour l’Afrique, une opportunité, un partenaire, ou une menace ?

Alpha Condé : Loin d’être une menace pour l’Afrique, la Chine est plutôt une opportunité pour l’Afrique. En effet, la Chine a adopté comme principe de base de sa coopération avec l’Afrique une coopération gagnant-gagnant. L’Afrique a les plus grandes potentialités des matières premières et la Chine quant à elle, est le plus grand consommateur de ces matières.

Donc sur la base d’une coopération réciproquement bénéfique, il est évident que ces deux positions ne pouvaient qu’amener une coopération bénéfique pour la Chine et les pays africains. Nous avons besoin non seulement de nous doter des moyens d’exploiter nos matières premières, mais aussi de les transformer sur place. Tout cela suppose que nous trouvions les moyens financiers nécessaires. La Chine nous permet d’accéder à des financements importants à des conditions exceptionnelles pour développer ces mines et nous doter d’infrastructures.

Si cela est vrai pour toute l’Afrique, il l’est encore davantage pour la Guinée. C’est pourquoi une coopération stratégique entre la Guinée et la Chine est dans l’intérêt des deux pays. Cette coopération stratégique au niveau bilatéral crée le cadre général dans lequel vont se développer des partenariats plus spécifiques avec le secteur privé.

Avec Le Quotidien du Peuple

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