Hommage

Le dernier hurlement du coyote : un hommage à Laurent Owondo

Le dernier hurlement du coyote : un hommage à Laurent Owondo
Le dernier hurlement du coyote : un hommage à Laurent Owondo © 2019 D.R./Info241

La disparition le 10 juin dernier de l’écrivain et universitaire Laurent Owondo, continue de susciter des hommages pour l’homme et son immense œuvre. Après Marc Mvé Bekale et son vibrant hommage à cet important homme de culture, place à Evans W. Mandja. Pour cet ancien étudiant de l’illustre disparu, Laurent Owondo était surnommé le « coyote » en raison de « son goût pour la rigueur littéraire et son caractère incisif ». Lecture.

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« Un homme est mort qui n’avait pour défense/ Que ses bras ouverts à la vie… ». Ces vers du poème « Gabriel Péri » de Paul Eluard (extrait de Au rendez-vous allemand, Paris, Éditions de Minuit, 1945), résonnent en nous comme un chant de requiem. Le 10 juin 2019, c’est avec une profonde tristesse que nous avons appris la mort de Laurent Owondo, figure importante de la littérature africaine. L’homme jouait ainsi sa dernière pièce de théâtre en luttant contre la maladie ces dernières années. Que retenir ?

Il est connu comme écrivain, notamment pour son remarquable roman « Au bout du silence », lu et enseigné dans plusieurs lycées et universités du continent. C’est justement à travers cette œuvre que nous avions fait sa connaissance, dans un lycée du Gabon profond en classe de première littéraire, il y a une vingtaine d’années. Le professeur de Lettres, Alioune Seck, analysait et commentait l’œuvre avec dextérité et finesse. Il fut tellement passionné. Cependant, pour les jeunes littérateurs que nous étions, l’œuvre semblait hermétique, donc au sens sans cesse fuyant. Tant les tribulations du personnage principal, Anka, ne faisaient pas écho à la portée véritable et substantielle du roman telle que mise en exergue par les critiques littéraires qui écument les couloirs des amphithéâtres et les salles de conférences des universités du continent. Mais… «  c’est de là qu’il fallait partir pour donner à voir Ombre. »

Nous retrouvons l’homme deux années plus tard, au Département d’Anglais de l’Université Omar Bongo à Libreville, où il enseignait la Littérature Américaine. Là, il nous plongeait dans les dédales des œuvres qui ont accompagné la marche du peuple américain. William Faulkner, James Baldwin, Ezra Pound, Langston Hughes, Mark Twain, Zora Neale Hurston, Toni Morrison et bien d’autres passaient à la trappe de ce féru de culture au charisme envoûtant et au corps sec. On découvrait avec lui les grands mouvements littéraires qui ont marqué l’histoire des Etats-Unis d’Amérique. Nous avons encore le souvenir des travaux sur la « Renaissance d’Harlem » et la « Beat Generation » avec Jack Kerouac et son œuvre emblématique « On the Road  ».

Des gémissements du peuple noir américain à la quête de la liberté et du sens par ceux qui exécraient la vacuité du monde moderne, en passant par la lutte pour l’intégration sociale, Laurent Owondo nous mettait au contact du reflet de la société américaine dans toute sa diversité et dans l’humanité des hommes et des femmes qui la font. Oui, la littérature est le reflet des profondeurs de l’humain, comme « l’art est l’avocat de la créature vivante » pour paraphraser le poète chanteur gabonais Pierre Claver Akendengué.

Toutefois, ce n’était pas une sinécure. « Il faut creuser le texte, creuser davantage !  », nous martelait-il, comme s’il voulait nous éloigner de la superficialité, de la critique facile, du confort du lecteur immature, en somme, de l’inculture. Son goût pour la rigueur littéraire et son caractère incisif finirent par lui valoir d’être surnommé « le coyote » par certains apprenants. La littérature est devenue « science », nous disait-il en achevant un cours évoquant les schémas actanciels dans les œuvres romanesques. C’est ainsi qu’il a formé plusieurs générations d’étudiants tout au long de sa carrière universitaire. Nombreux sont devenus des enseignants, tandis que d’autres ont noyé leur velte dans les eaux glacées du calcul égoïste en embrassant plus tard le monde de la finance ou en s’essayant à l’entreprenariat. Quoi qu’il en soit, tous traînent en eux le sédiment de perspicacité et la capacité d’analyse inoculés par « le coyote ».

L’homme était humble et simple ; il semblait avoir du dégoût pour le raffinement extérieur. Il n’hésitait pas à donner des conseils et des orientations académiques même en dehors des heures de cours. Il recevait des passionnés des lettres à son domicile enclavé dans la mangrove de la Lowè, dans la commune d’Owendo au sud de Libreville. Un jour, nous décidions en groupe d’étudiants de perturber le silence de la mangrove en lui rendant visite. Ce qui lui plut. En arrivant sur les lieux, un air de Jazz se dégageait du salon. Aretha Franklin était au rendez-vous. Jazz, roman, théâtre, etc., l’homme révélait davantage sa passion pour la culture. Il vivait son art.

La concession de son domicile était bordée d’une broussaille et d’un ruisseau. Il en avait profité pour aménager une sorte de piscine naturelle dans un coin de ce bosquet presqu’inhabité. Ce qui inspira une conversation sur le rapport entre la nature et le théâtre. Il nous narra ainsi une scène de « théâtre » qu’il avait fait jouer à trois riverains (un homme, sa femme et sa sœur) qui s’étaient hasardés dans la forêt avoisinante pour y cueillir des légumes. Au retour de leur randonnée, les trois individus eurent le malheur de passer par l’endroit même où le dramaturge avait aménagé sa « piscine ». Ils le surprirent, prenant son bain, profitant des ombres du feuillage épais et de la douceur de l’eau du ruisseau à cette heure avancée de l’après-midi.

Instinctivement, il se fit passer pour un « grand initié » dont il ne fallait surtout pas voir la nudité, au risque de vivre un drame. Vert de colère et presqu’en transe, il intima l’ordre à l’homme qui accompagnait les deux femmes de faire un choix cornélien. Le « génie » qu’il était devait, pour conjurer le sort découlant de l’interdit brisé (sa nudité découverte), s’accoupler avec l’une des femmes séance tenante. Que fallait-il faire ? Qui fallait-il livrer sur l’autel du rituel nuptial pour calmer la colère des mannes ? La femme ou la sœur ?

Après quelques tergiversations et un rapide conclave avec ses deux compagnes, l’homme déclara au « génie » bouillant de colère que sa sœur passerait à l’acte. Peut-être s’était-il dit que la gêne serait plus supportable. Après tout, le mari de la sœur n’était pas là au moment des faits. Un secret de famille serait donc né à partir de ce moment, entre la femme ainsi livrée, sa belle-sœur et son frère.

Mais le « génie » décida de surenchérir. La sœur de l’homme valait moins que sa femme, au regard de l’opprobre et du sacrilège nés de l’interdit brisé. Cependant, voyant la grande tristesse de l’homme, il finit par dévoiler son jeu, et dit à l’homme de passer avec ses deux « comparses » et de ne plus repasser par ce chemin, puis se remit à son bain. Les trois individus s’en allèrent précipitamment, laissant transparaître un air d’émoi et d’étourdissement, comme s’ils venaient de vivre un cauchemar. Ce n’était donc qu’une de ces leçons du maître de la fiction qu’était Laurent Owondo, car « tout n’est que théâtralité » comme le disait Vincent de Paul Nyonda, un autre dramaturge gabonais mort en 1995. Puis, silence dans la mangrove de la Lowè… Adieu l’artiste !

Evans W. Mandja, ancien étudiant en Littérature et Civilisation Américaines

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