Le Gabon refuse d’être jugé en France pour ses crimes supposés lors des violences post-électorales
Après avoir longuement réfléchi et convoqué une cellule de crise juridico-diplomatique, le gouvernement gabonais donne la réplique à des poursuites judiciaires engagées contre lui en France pour crimes contre l’humanité. Dans un communiqué de défense daté d’hier, le gouvernement gabonais refuse clairement ces accusations visant, selon lui, à « nuire aux relations entre la France et le Gabon ». Pas sûr que cette ligne de défense suffira en France où la justice a retenu le 26 juin, le grief de crime contre l’humanité d’un plaignant.
La crise post-électorale gabonaise et les victimes de propables crimes contre l’humanité d’août-septembre dernier continuent de faire des remous judiciaires. Alors qu’au Gabon, aucune enquête judiciaire n’a été diligentée par les autorités gabonaises pour faire la lumière sur l’assaut donnée par l’armée gabonaise visant le QG de campagne d’un opposant au régime, en France plusieurs victimes de cette attaque militaire ont saisi les tribunaux français en avril dernier.
De quoi mettre en rogne les autorités gabonaises qui ne désemplissent pas de scandales judiciaires en France, là où au Gabon, rien n’ébranle la conviction du régime d’avoir rendu service à la nation. Dans un communiqué de presse publié lundi par le Porte-parole du gouvernement, Alain-Claude Bilie By Nzé, et parvenu à Info241, le Gabon dénonce en convoquant plusieurs arguties juridiques le non-fondement d’une telle initiative judiciaire à l’encontre des autorités gabonaises.
Sur le grief de crime contre l’humanité, le gouvernement affirme : « les faits évoqués par les avocats du plaignant résultent de procédures classiques de maintien et de rétablissement de l’ordre public gravement menacé par des hordes fanatisées par le discours de haine et de violence d’un homme politique ». Ce qui pourrait laisser entendre que les autorités peuvent brimer, torturer et tuer ses ressortissants au nom du "maintien et de rétablissement de l’ordre public".
Le gouvernement gabonais en vient même à donner des leçons de droit aux juges et juridictions françaises : « les autorités gabonaises soulignent qu’aucun tribunal sérieux ne peut faire prospérer de telles actions ». Une situation plutôt inédite qui souligne bien le malaise des autorités gabonaises qui pourraient avoir à s’expliquer sur les crimes commis par l’armée notamment dans la nuit du 31 août 2016. L’opposition avait affirmé que cette attaque aurait fait une cinquantaine de morts, tous civils désarmés.
Rappelons que selon l’article 212-1 du Code pénal français, est qualifié notamment de crime contre l’humanité : « La persécution de tout groupe ou de toute collectivité identifiable pour des motifs d’ordre politique, racial, national, ethnique, culturel, religieux ou sexiste ou en fonction d’autres critères universellement reconnus comme inadmissibles en droit international ». D’où l’ouverture de cette instruction à l’encontre des autorités gabonaises.
Voici l’intégralité de ce communiqué des autorités gabonaises :
Le Gouvernement de la République gabonaise entend dénoncer l’aventure ambiguë dans laquelle se lancent deux avocats français, soucieux de maintenir un climat permanent de tension au Gabon et de nuire aux relations entre la France et le Gabon.
Alors qu’une juge d’instruction française a décidé d’enquêter sur de prétendus crimes contre l’humanité qui auraient été perpétrés durant la période post-électorale - ceci à la suite d’un dépôt de plainte avec constitution de partie civile d’un Franco-Gabonais qui a souhaité garder l’anonymat - les autorités gabonaises soulignent qu’aucun tribunal sérieux ne peut faire prospérer de telles actions.
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A ce stade, une série d’observations juridiques s’impose.
Sur le crime contre l’humanité, et sauf à insulter la mémoire des victimes des heures les plus sombres de l’histoire (Juifs, Cambodgiens ou Rwandais), les faits évoqués par les avocats du plaignant résultent de procédures classiques de maintien et de rétablissement de l’ordre public gravement menacé par des hordes fanatisées par le discours de haine et de violence d’un homme politique.
Pour rappel, l’article 211-1 du Code pénal français dispose : Est considéré comme un crime contre l’Humanité « la déportation, la réduction en esclavage ou la pratique massive et systématique d’exécutions sommaires, d’enlèvements de personnes suivis de leur disparition, de la torture ou d’actes inhumains, inspirées par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux et organisées en exécution d’un plan concerté à l’encontre d’un groupe de population civile ».
Sur la bi-nationalité de certaines personnes, le droit international comme le droit gabonais sont clairs sur cette question : il n’y a pas de nationalité supérieure à une autre.
S’agissant du droit international, la Convention de La Haye du 12 avril 1930 concernant certaines questions relatives aux conflits de lois sur la nationalité pose les principes suivants :
Article 1er : Il appartient à chaque Etat de déterminer par sa législation quels sont ses nationaux. Cette législation doit être admise par les autres Etats, pourvu qu’elle soit en accord avec les conventions internationales, la coutume internationale et les principes de droit généralement reconnus en matière de nationalité.
S’agissant du droit gabonais, la loi n°37/98 du 20 juillet 1999 portant code de la nationalité gabonaise est sans ambiguïté :
Article 7 : Sous réserve des accords internationaux, toute personne possédant, en plus de la nationalité gabonaise une autre nationalité, ne peut se prévaloir au Gabon que de la nationalité gabonaise.
Il apparaît ainsi clairement que des individus de nationalité gabonaise d’origine ayant acquis la nationalité française ont commis, au Gabon et en tant que Gabonais, des actes qualifiés de crimes ou délits par la loi gabonaise ; que ces individus ont participé à une entreprise insurrectionnelle aux fins de renversement de l’ordre constitutionnel au Gabon ; qu’ils ont fait l’objet d’interpellation par les forces de l’ordre dans le cadre d’opération de maintien ou de rétablissement de l’ordre dont la nécessité n’était nullement discutable.
Sur la compétence des tribunaux français à juger le Gabon et ses autorités
La société internationale est organisée sur la base du principe de l’égalité souveraine des Etats. En droit, tous les Etats sont égaux. C’est ce principe de souveraineté qui interdit à un Etat de juger un autre Etat ou de juger les dirigeants d’un autre Etat. Ce principe de souveraineté induit un autre principe incontestable : l’immunité de juridiction des Etats étrangers qui a été confirmé à plusieurs reprises par les plus hautes juridictions françaises.
C’est le cas de l’arrêt de la Cour de Cassation du 19 janvier 2010 qui a rappelé que « la coutume internationale qui s’oppose à la poursuite des États devant les juridictions pénales d’un État étranger s’étend aux organes et entités qui constituent l’émanation de l’État ainsi qu’à leurs agents en raison d’actes qui […] relèvent de la souveraineté de l’État concerné ».
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