Crise cycliste

Thomas Franck Eya’a : « On n’a jamais prévu une radiation à vie dans les statuts »

Thomas Franck Eya’a : « On n’a jamais prévu une radiation à vie dans les statuts »
Thomas Franck Eya’a : « On n’a jamais prévu une radiation à vie dans les statuts » © 2017 D.R./Info241

Thomas Franck Eya’a, ancien président de la Fédération gabonaise de cyclisme (FEGACY) et membre fondateur de la FEGACY, revient dans cet entretien exclusif accordé à Info241 sur la situation du cyclisme gabonais après la pluie de sanctions « à l’emporte-pièce » du ministre des Sports, Nicole Christiane Assélé. L’ancien patron de la FEGACY, débarqué de la fédération sur décision ministérielle, revient sans complaisance sur la crise actuelle : le coût et bilan de la Tropicale, les moyens de la FEGACY qui auraient quintuplés, la radiation « illégale » à vie des cyclistes et l’élection de Maurice Nazaire Embinga qui n’aurait pas été faite dans les règles.

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Info241 : Vous avez été élu démocratiquement à la tête de la Fédération gabonaise de cyclisme puis débarqué sur une injonction du ministère de la Jeunesse et des sports, en 2009. Quelle appréciation faites-vous de la situation actuelle qui a vu le ministre des Sports demander au président de la Fédération gabonaise de cyclisme de démissionner ?

Thomas Franck Eya’a : Vous devez savoir que je suis l’unique membre de la Fédération gabonaise de cyclisme qui reste malheureusement en vie. Les autres ont rejoint l’Eternel. Ce qui veut dire que ce qui se passe actuellement à la Fédération de cyclisme ne peut pas me laisser insensible.

Quelle est votre place actuellement au sein de la famille du cyclisme gabonais ?

Thomas Franck Eya’a : Pour rappeler ma situation, j’avais été élu régulièrement en 2006. Je devais tenir une assemblée générale élective quatre ans après, en 2010. J’ai tenu à faire une assemblée générale élective en 2009. J’obtiens donc le quitus du rapport moral, et du rapport financier. Et c’est au moment où nous passions à l’étape de l’élection que le ministère des Sports, représenté par la personne de madame Nicole Assélé, qui est aujourd’hui ministre, vient faire immixtion et interrompre le déroulement de l’assemblée générale. Et puis finalement, au bout du compte elle me débarque.

Et on confie la gestion de la fédération au comité olympique gabonais (COG). Le COG organise un simulacre d’assemblée générale au cours de laquelle Maurice Nazaire Embinga est élu président de la Fédération gabonaise de cyclisme. Je parle de simulacre parce que dans le procès-verbal de cette assemblée générale, il est mentionné la participation de 32 clubs à ce congrès électif. Ce qui est archi-faux. Parce que s’il y a 32 clubs au Gabon et quand on sait qu’un club doit avoir au minimum 6 coureurs, cela donne 192 coureurs affiliés à la fédération. Ce qui n’a jamais été le cas.

Combien de coureurs le Gabon comptait pendant votre passage à la FEGACY ?

Thomas Franck Eya’a : A notre époque, nous avions 50 coureurs. Aujourd’hui, il n’y a plus que 20 coureurs affiliés à la fédération. Le nombre de coureurs présents au cours du dernier championnat national l’atteste. Nous sommes donc débarqués, la gestion de la fédération est confiée à monsieur Embinga. Je dis gestion confiée parce qu’Embinga n’a pas été élu réglementairement. J’ai saisi le conseil d’Etat parce que pour moi le Gabon est un pays de droit. On ne peut pas faire ce qu’on veut. Et ce que monsieur Embinga soulève aujourd’hui comme anomalie (rires), à savoir que le ministère ne doit pas s’ingérer dans le fonctionnement de la fédération (rires), je l’ai soulevé comme anomalie au niveau du conseil d’Etat qui m’a donné raison.

Et qui a annulé la décision du ministère des Sports qui m’avait démis. Le ministère des Sports a refusé jusqu’à présent d’exécuter cette décision du conseil d’Etat. Devant cette situation, j’ai intenté une action en correctionnel contre monsieur Embinga qui occupait illégalement les fonctions de président de la fédération. Il a été condamné à six mois de prison avec sursis. J’ai attendu la fin de son mandat, qu’il décline le bilan de son passage à la fédération, pour que le ministre des sSports Nicole Assélé, me réhabilite puisque j’ai transmis tous les documents à madame le ministre après sa nomination comme membre du gouvernement.

Le ministère des sports a-t-il répondu à votre requête ?

Thomas Franck Eya’a : Le ministère a organisé en catimini une assemblée générale élective pour faire réélire monsieur Embinga. En catimini parce que les textes disent qu’on convoque l’assemblée générale élective, un ou deux mois avant la date. Ce qui n’a pas été fait. Nous avons découvert un mardi dans la parution du quotidien L’union qu’il y avait assemblée générale samedi.

Maurice Nazaire Embinga s’est-il présenté seul à cette élection ?

Thomas Franck Eya’a : Non, il y a un jeune Mathieu Ngoulou, un ancien cycliste, Dr en économie aujourd’hui, qui s’est présenté face à Maurice Nazaire Embinga, mais qui a été éliminé de la course pour raisons obscures. Moi, je ne pouvais pas me porter candidat, parce que cela veut dire que j’acceptais ce que le ministère était en train de faire, c’est-à-dire s’ingérer dans le fonctionnement de la fédération. M. Embinga a été soit-disant réélu le 14 février dernier. Avec qui ? A ma connaissance, il n’y a aucune ligue qui fonctionne. Toutes ces ligues sont fictives.

Comment décrivez-vous la crise actuelle du cyclisme gabonais ?

Thomas Franck Eya’a : Cette crise a plusieurs formes. Il y a une crise juridique, une crise sportive et une crise au niveau de l’éthique du sport. C’est difficile de comprendre que le ministre des Sports dont l’activité tourne autour du sport batte en brèche les règles établies. Dans toutes les disciplines sportives, il faut respecter le règlement.

L’immixtion actuelle du ministère des sports dans le fonctionnement de la FEGACY ne ressemble-t-elle pas à l’ingérence dont vous avez fait l’objet ?

Thomas Franck Eya’a : Un peu. Le ministère des Sports a demandé à Embinga de démissionner. A moi le ministère ne m’avait pas demandé de démissionner, il m’avait débarqué, alors que je n’avais rien fait de mal. C’était sur le simple fait d’avoir dit que la manière avec laquelle la Tropicale est organisée ne me convenait pas. C’est moi qui ait fait venir Albertine Amissa Bongo dans le cyclisme, avec des amis qui ne sont plus de ce monde malheureusement. Il s’agit du général Olouna, de Gérard Lamine entre autres.

Comment s’est passé la venue d’Albertine dans le cyclisme ?

Thomas Franck Eya’a : Albertine était notre marraine, puis présidente d’honneur depuis l’association nationale de cyclisme. Nous n’étions même pas encore une fédération. C’est elle qui a fait en sorte qu’on puisse devenir une fédération parce que c’est elle qui nous a donné des moyens pour créer des clubs, dans trois ligues différentes. C’est un peu pour répondre aux gens qui s’interrogent pourquoi la Tropicale, une compétition de cette importance, porte le nom d’Amissa Bongo. Albertine mérite qu’on reconnaisse ce qu’elle a fait pour le cyclisme gabonais. Malheureusement les choses ne se déroulent pas comme elle l’aurait souhaité. Parce que si elle avait été encore en vie, elle n’aurait jamais accepté que les coureurs gabonais soient traités comme ils le sont aujourd’hui. Elle les aurait placés dans des conditions exceptionnelles pour préparer la Tropicale.

Quel est le côté particulier de la Tropicale ?

Thomas Franck Eya’a : La Tropicale Amissa Bongo est une compétition atypique. Elle met aux prises les professionnels, qui ne vivent que du cyclisme et les amateurs, qui pratiquent le cyclisme, en quelque sorte pour s’amuser. L’Union cycliste internationale (UCI), a accepté d’organiser cette course, alors que cela n’est pas prévu dans le règlement de l’UCI. Ce qui est prévu ce sont les championnats du monde et les Jeux Olympiques, où tout le monde vient. L’UCI a accepté parce que nous avons plaidé en faveur du cyclisme africain qui allait être tiré vers le haut. Le président Omar Bongo voulait que le cyclisme gabonais progresse grâce à la Tropicale Amissa Bongo. Il voulait aussi honorer sa fille qui aimait beaucoup le cyclisme.

Ne faites-vous pas preuve de mauvaise foi quand vous dites que la Tropicale Amissa Bongo ne tire pas le cyclisme africain vers le haut ?

Thomas Franck Eya’a : Je lis, j’entends ici et là, que c’est grâce à la Tropicale que nous avons maintenant de grands coureurs Erythréens, Tunisiens, Sud-africains et autres (rires). Ce n’est pas une seule compétition, la Tropicale, qui peut permettre au cyclisme africain de progresser à ce niveau-là. C’est le sérieux avec lequel on fait le cyclisme en Erythrée, en Tunisie, en Afrique du Sud,... on court au Rwanda, qui fait en sorte que leurs meilleurs éléments de ces pays rivalisent avec les professionnels qui ont couru au Tour de France notamment.

Le cyclisme gabonais n’a-t-il pas progressé avec cette Tropicale ?

Thomas Franck Eya’a : Malheureusement c’est non. En 2006 quand nous avons démarré, nous avions une cinquantaine de coureurs. En 2017, nous n’avons même pas 20 coureurs affiliés à la fédération alors que les moyens octroyés à la FEGACY ont quintuplé.

Combien aviez-vous à la FEGACY pour préparer la Tropicale ?

Thomas Franck Eya’a : En 2006, nous avions 6 millions de FCFA de subvention. Et parfois on nous donnait 20 millions de FCFA pour la préparation des athlètes à la Tropicale Amissa Bongo. Aujourd’hui, d’après ce qui me revient, monsieur Embinga touche 60 millions de FCFA pour préparer les cyclistes à la Tropicale. Et il bénéficie d’une subvention de 100 millions de FCFA qu’on lui rétrocède à l’issue de chaque édition de la Tropicale Amissa Bongo. Mais malheureusement quand on fait des comparaisons des statistiques, on constate que rien n’a été fait. Non seulement au niveau sportif, mais aussi au niveau organisationnel. A l’époque les experts qui viennent organiser la Tropicale devaient préparer et former les Gabonais pour prendre la relève. C’est ce qui a été convenu. Or, aujourd’hui nous sommes à la 12ème édition, rien n’a été fait.

Pourquoi les coureurs gabonais se sont-ils retrouvés à la Tropicale Amissa Bongo 2017, sans entraîneur, Abraham Olano ayant claqué la porte et sans une compétition domestique dans les jambes ?

Thomas Franck Eya’a : C’est le manque de patriotisme. J’utilise un terme qui a été utilisé par le ministre des Sports. C’est elle, la ministre des Sports, qui manque de patriotisme. Elle n’a pas l’ambition de voir un Gabonais percer dans le cyclisme que ce soit à vélo ou au niveau administratif. La ministre et monsieur Embinga n’ont pas la même notion du patriotisme que les Érythréens, les Marocains ou les Rwandais. Aucun Gabonais n’est à la Confédération africaine de cyclisme (CAC), encore mois à l’UCI, malgré tous les efforts qu’on fait.

Avez-vous échangé avec les membres de l’UCI ?

Thomas Franck Eya’a : Les membres de l’UCI m’ont dit, vous nous excusez monsieur Thomas. On ne comprend plus le Gabon. On vous laisse faire votre cyclisme comme vous l’entendez. Vraiment, mais on n’a jamais vu ça. Un pays où des gens chargés de développer le cyclisme ne respectent pas le B-A-ba du sport. Il n’est plus possible d’aller plus loin avec le Gabon. On vous laisse régler vos problèmes de cyclisme en interne. Nous ne voulons pas être éclaboussés. Mais il arrivera un jour qu’on prenne des décisions drastiques. Ce sont les jeunes cyclismes qui vont en pâtir. Mais le jour où le Gabon va respecter le cycliste, nous viendrons en assistance à la discipline.

L’UCI m’a dit qu’elle n’a accordé aucun stage à un Gabonais. Or, la Tropicale coûte quand même plus d’un milliard de FCFA chaque année. Aucun pays ne dépense autant d’argent en Afrique pour le cyclisme. Le Tour du Faso, c’est 250 millions de FCFA par exemple. Les cyclistes professionnels apportent quoi au cyclisme gabonais en retour ? Les gens de l’UCI m’ont dit, si vous faites mal, ce n’est pas parce que vous n’avez pas d’argent. Vous en avez beaucoup. Si vos coureurs ne font rien à la Tropicale, ce n’est pas parce que vous n’avez pas beaucoup d’argent. C’est parce que vous ne voulez pas bien faire. Vous refusez de bien utiliser votre argent.

Quelles solutions préconisez-vous ?

Thomas Franck Eya’a : Il reste une quinzaine de coureurs. Si on suspend à vie les six coureurs de l’équipe nationale, il va y rester à peine 3 coureurs capables d’intégrer l’équipe nationale (rires). Or, il n’y aucun règlement qui autorise une sanction de ce genre ni au niveau de la FEGACY ni au niveau du ministère des Sports. On n’a jamais prévu une radiation à vie dans les statuts. Je sais de quoi je parle.

Comment jugez-vous les sanctions de madame le ministre Nicole Assélé ?

Thomas Franck Eya’a : Ce sont des sanctions à l’emporte-pièce. Il faut respecter les règles du jeu. La ministre Assélé peut régler le problème de monsieur Embinga. Car elle sait très bien qu’il n’a pas été réélu régulièrement. Il n’a pas renouvelé les ligues. Or le processus veut qu’on renouvelle d’abord les ligues avant de renouveler le bureau de la fédération. Je répète aussi que Monsieur Embinga n’était éligible puisqu’il a été condamné en correctionnel. Son casier judiciaire n’est pas vierge. J’ai envoyé la copie de la décision partout.

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