Captivité collective

Syndrome de Stockholm, une réalité collective à ciel ouvert au Gabon !

Syndrome de Stockholm, une réalité collective à ciel ouvert au Gabon !
Un instantané de la campagne présidentielle d’Ali Bongo, réélu mais controversé © 2017 D.R./Info241

Le Gabon est un des rares pays où les résultats électoraux semblent démontrer que ses citoyens aiment leur élite politique sans discontinuité. Pour preuve, le Parti démocratique gabonais (PDG, au pouvoir depuis 1968) règne sur le pays et sur les résultats électoraux sans ambages. Ce malgré que le pays pétrolier au PIB hors norme, continue de faire croître des poches de pauvreté, de corruption et de mal gouvernance.

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A la lumière des résultats électoraux, on croirait volontiers que les gabonais préfèrent contre vent et marrée, garder en poste des politiciens dont l’efficacité dans la gestion de la chose publique reste relative sinon désastreuse. Au lieu de s’en débarrasser et faire éclore une nouvelle classe dirigeante plus soucieuse de leur devenir, les gabonais semblent vouer un culte insondable à leurs bourreaux.

Certains rares intellectuels que comptent le pays, en scandent chaque jour les louanges, témoin d’un opportunisme et d’une conjuration des valeurs certaine. Retour sur un brillant syndrome de Stockholm, pourtant élaboré en Occident, mais qui perdure et trouve tout son sens chez des victimes gabonaises devenues depuis près de 50 ans, les témoins privilégiés du naufrage collectif qui les guette et les côtoie depuis belle lurette.

Un syndrome bien gabonais

Le syndrome de Stockholm est un concept développé par le psychiatre américain Frank Ochberg qui désigne le phénomène psychologique observé chez des otages ayant vécu durant une période prolongée avec leurs geôliers et qui ont développé une sorte d’empathie, voire une sorte de sympathie ou de contagion émotionnelle vis-à-vis de ceux-ci. Au lieu d’éprouver de la répulsion pour leurs bourreaux, les victimes en sont réduites à éprouver de la culpabilité en lieu place de ceux-ci. Ce concept transposé à la vie politique gabonaise, révèle une franche empathie de certaines populations gabonaises à une seule et unique famille au pouvoir depuis 1968 dont ils assistent, année après année, à leur perpétuation hégémonique au pouvoir.

Mais il faut le reconnaître, c’est pas faute d’avoir essayé ! De Germain Mba, en passant par Maître Agondjo Okawè, Pierre Mamboundou jusqu’à à Jean Ping, les gabonais ont tenté de se libérer des jougs de cette dictature familiale au sommet de laquelle on retrouve les indéboulonnables Bongo Ondimba de père en fils. Seule maître de l’ascension sociale et politique, avec leurs affidés. Cette famille en étroite complicité avec leurs sbires du système PDG-France-Afrique distribue les bons points et les mauvais points ainsi que le soleil à ces gabonais qui leur vaut un culte sans démesure.

Le pouvoir régent promet richesse et gloire à ceux et celles qui se rangent de leur côté, prêts à les aider à asseoir leur hégémonie familiale privée sur le pays riche en matières premières et sa faible démographie. Depuis les indépendances, le Gabon a certes avec l’ancienne puissance coloniale qu’est la France, sorti de brillants intellectuels qui après s’être provisoirement opposés au régime en place, se sont gentiment transformés en larbins chevronnés qui s’époumonent désormais urbi orbi à le défendre. Un changement d’attitude qui n’épargne pas les populations lambda sans cesse résignées face à leur impuissance à renverser la vapeur au profit d’un changement de régime.

Le temps, l’ennemi du combat pour l’alternance

Aujourd’hui encore, il n’est pas rare de voir dans le pays et même dans sa diaspora, des hommes et femmes sortir du bois malgré les griefs intelligibles faits au régime, faire l’apologie du pouvoir qui semble réussir depuis 50 ans à se maintenir vaille que vaille, malgré des résultats électoraux toujours perdus et largement en sa défaveur. Certains n’hésitent même plus à clamer même inconsciemment, par leurs déclarations et attitudes, leur admiration pour les Bongo Ondimba qui parviennent toujours bon gré malgré à leurs fins. Ce, malgré une opposition plus affermie, ragaillardie et plus désireuse à en découdre avec ce système familial.

L’observation la plus patente est assurément la dernière présidentielle, remportée officiellement une nouvelle fois par Ali Bongo Ondimba au grand dam des résultats sortis des urnes. Grace à une machine à gagner soigneusement huilée et de forts soutiens hexagonaux, le dictateur gabonais tente de faire passer la pilule de sa réélection au forceps en gagnant en temps, pour voir voler en éclat tout espoir de contestation ultérieure. C’est d’ailleurs le seul atout majeur de sa carte à gagner que le fils qui a succéder à son père, parce que mort au pouvoir en 2009, continue d’agiter à ses détracteurs qui s’épuisent au fil du précieux temps qui passe.

Une captivité mentale insidieuse

Face à l’incurie de la situation du tour de force et de la fraude électorale d’Ali Bongo Ondimba sur les électeurs qui n’ont pas souhaité le reconduire, beaucoup d’acteurs même de l’opposition, commencent à se détourner de leur lutte initiale. Placés face à leur impuissance collective à booter l’artiste fanatique de Michael Jackson du trône de fer sur lequel est assis l’héritier familial, le temps finit par avoir ses effets.

Beaucoup d’acteurs politiques et de la société civile mécontents de ne toujours pas voir poindre la terre promise, s’en prennent désormais au messie désigné de l’opposition qui aurait manqué à tous ses devoirs. Dont celui de mener le Peuple acculé à l’alternance tant rêvée. Ces acteurs se réduisent désormais à aduler à haute voix, même sans s’en rendre compte, la victoire sur eux de leur bourreau. Ils développent ainsi une empathie quasi-morbide face à celui qui pourtant les tiennent en captivité.

Une hérésie qui montre bien l’évidence de la vivacité de syndrome de Stockholm sur la population gabonaise qui face aux critiques qu’elle pourrait formuler sur sa qualité de vie, n’hésite pas à emprunter la formule maladive plus que célèbre et ancré dans le mental désagrégé d’un grand nombre de citoyens gabonais : « on va encore faire comment  ». Une résignation plus qu’une résilience face à ce qu’elle ne peut changer finalement d’elle-même en raison de pesanteurs qui préexistent et perdurent depuis l’indépendance concédée par la France coloniale.

En attendant qu’un traitement soit trouvé à ce syndrome qui sévit dans la classe politique gabonaise et chez certaines populations, rien ne vaut une bonne dose de lucidité face à une situation politique au destin tragique et sempiternellement répétitif. L’alternance reste un long chemin dont chacun doit être prêt à payer le prix de la guérison.

Par Cédrin Mounziégou, doctorant en psychologie

@info241.com
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