Déni de démocratie

La privatisation de la démocratie : un cas inédit dans le processus électoral gabonais

La privatisation de la démocratie : un cas inédit dans le processus électoral gabonais
Des manifestants gabonais pour la démocratie, le 4 septembre à Marseille (France) © 2016 D.R./Info241

Dans cette analyse, le docteur Djeneric Saka Alandji, spécialiste de la privatisation et du management des entreprises revient sur la notion de démocratie et comment celle-ci est rendue au Gabon. Cette contribution au débat né de la crise post-électorale qui secoue le pays depuis une semaine, tente « de montrer que le sens donné à la démocratie, à l’heure de cette élection présidentielle, n’est pas seulement lié à la transparence électorale, mais pourrait surtout masquer un carnage économique à l’avenir ».

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De fond en comble, il n’y a pas d’élection libre et transparente sans démocratisation et de démocratisation sans transparence des conditions de vote – du strict respect des voix des citoyens.

Le dictionnaire de sociologie définit la démocratie à travers une double figure. La première est porteuse d’égalité, de liberté, de participation des citoyens à la vie publique. Et la seconde est construite autour d’un idéal politique pluraliste [1]. Ce qui rejoint la thèse de Jean Copans selon laquelle la « démocratie est une activité politique : il lui faut un leadership dévoué et compétent, un soutien favorable des masses populaires [2]. »

Rappel. Les premières mesures démocratiques, partout en Afrique, voient le jour à travers la tenue des conférences nationales. Ces dernières représentent le « rituel obligé de la démocratisation [3] ». Ả cet effet, Roland Marchal précise que les « élections multipartites ont bien évidemment une fonction encore plus grande dans la mesure où elles représentent plus que ces rassemblements élitaires dont les débordements faisaient à l’occasion l’objet de sarcasmes publics, le retour à la consultation directe du peuple. D’une part, avec un fort appui international (ce qui n’en garantit ni la transparence ni le bon fonctionnement), des commissions nationales électorales ont été mises en place et toute une formation au vote a été donnée. De l’autre, les campagnes électorales donnent lieu à des réunions publiques et à une activité politique qui était jusque-là inconnue pour une grande partie de la population qui était trop jeune pour avoir connu la fin (libérale) de la colonisation et les premières années de l’indépendance [4]. »

Au Gabon, le processus démocratique trouve un écho à travers le triptyque : crise sociale, crise politique et crise économique.

Premièrement, la crise sociale. Elle est caractérisée par des manifestations de tous genres. Cette crise est menée par l’intelligentsia qui souhaitait faire table rase d’un système dirigé par le Parti Démocratique Gabonais (PDG). C’est un système monopartite. On observe une très forte montée du chômage dans tout le pays. Pour les Gabonais, exclus des retombés économiques, et les intellectuels arrivés tout droits de l’Hexagone, il était temps que le pays change de régime politique pour espérer un lendemain meilleur. C’est au nom de ce changement que le Gabon reprend avec le multipartisme délaissé, en 1967, par l’arrivé d’Omar Bongo Ondimba à la tête du pays.

Ensuite, la crise politique. Cette dernière se caractérise par de très fortes contestations politiques dont la plus virulente est celle du MORENA, principal parti de l’opposition. Les membres de l’opposition souhaitaient l’ouverture au multipartisme dès lors que de 1967 à 1990, le Gabon n’avait plus connu d’ouverture démocratique pluraliste.

Enfin, la crise économique. Elle a conduit le Gabon au processus démocratique. Comme le souligne Rossatanga-Rignault : « […] l’on ne perdrait pas énormément à parier que "1990" n’aurait pas eu lieu lors du "boom pétrolier", comme le montre bien l’échec de "1981". De ce fait, ce sont bien les difficultés économiques et financières, les cures d’austérité inhérentes aux différents programmes d’ajustement structurel qui serviront de catalyseur au mouvement de 1990 [5]. »

Qu’en est-il de la situation actuelle ? Ả la lumière de cette approche, l’on peut s’interroger sur la configuration du paysage démocratique gabonais et plus précisément sur le rôle des pouvoirs politiques qui cristallisent l’élection présidentielle gabonaise à l’heure actuelle.

La situation actuelle se déroule sous fond d’élection présidentielle. Nous avons deux camps qui revendiquent chacun la victoire après la proclamation des résultats. Le camp de la majorité et celui de l’opposition. Officiellement, le camp de la majorité est donnée gagnante à travers son candidat monsieur Ali Bongo Ondimba. L’opposition, représentée unitairement par monsieur Jean Ping, refuse d’accepter cette issue des votes. La conséquence est une répression violente du peuple Gabonais qui se soulève pour défendre ce qu’il considère comme l’expression libre et démocratique de sa volonté, c’est-à-dire le choix de l’alternance.

Rappelons que la démocratie caractérise la séparation des pouvoirs : le pouvoir Exécutif, le pouvoir Législatif et le pouvoir Judiciaire. Elle garantit les libertés et autorise le multipartisme. Elle est un mode de gestion de la cité fondé sur la justice. En matière de justice, la démocratie prône une réelle redistribution des richesses et des biens. C’est en cela qu’elle revêt l’imaginaire démocratique gabonais, fruit de la conférence nationale de 90 tant vanté par les deux forces en présence, c’est-à-dire une démocratie réduite au multipartisme pendant que celle qui consacre la liberté économique demeure confuse et ne fait aucunement l’objet des discussions postélectorales. Alors qu’elle est, au même titre que la revendication du suffrage électoral, le nœud de guerre du conflit postélectoral. Cela dit, la question économique doit faire l’objet d’un débat public et par ricochet l’objet d’une revendication populaire. C’est un problème inédit, briseur de cohésion sociale et de fragilisation du corps sociale dont sont victimes les Gabonais.

La redistribution des biens et des richesses au Gabon exclut la classe populaire et se fait au profit du pouvoir en place, de la holding Delta synergie, des multinationales occidentales et de ceux qui revendiquent l’héritage d’Omar Bongo. Ce qui induit des interrogations quant au sens que revêt la démocratie à la gabonaise. Une démocratie, bafouée et méprisée, mettant au-devant de la scène : des arrestations, des violences et d’assassinats. Ainsi dit, nous sommes devant une démocratie qui ne concourt pas au bien-être de la population mais bien au contraire, tournée à l’avantage d’une certaine oligarchie politique nationale et internationale.

Conscientisation. Sans prétendre faire l’apologie d’un quelconque camp (pouvoir en place, candidature unique de l’opposition et puissances étrangères conquérantes) en cette période électorale fatidique qui brutalise la mémoire démocratique et plonge le Gabon dans le chaos total, cette contribution tend à apporter un éveil national sur les intérêts économiques nationaux dont souhaiterait jouir tous Gabonais. Il s’agit de montrer que le sens donné à la démocratie, à l’heure de cette élection présidentielle, n’est pas seulement lié à la transparence électorale, mais pourrait surtout masquer un carnage économique à l’avenir.

C’est en cela que les Gabonais se doivent d’être prudent et de faire preuve d’une sagesse inouïe afin de ne pas passer à côté de l’essentiel, c’est-à-dire d’un avenir serein et meilleur. Car, cette élection consacre le moment idéal de la mise en œuvre de ce que l’on appelle le consensus de Washington qui serait, lui-même, le couronnement de la doctrine néolibérale « recommandée » par la communauté financière internationale aux pays en voie de développement [6]. Il s’agit de la suppression de toutes les interventions directes de l’État dans l’économie, en instaurant des mesures déréglementaires, de libéralisation des marchés, d’abolition des barrières douanières, d’abandon des subventions à certains services ou à certains produits, de la privatisation des entreprises publiques et d’équilibres budgétaires [7]. L’intervention de l’État pourrait désormais se faire dans un cadre plus restreint au profit d’un secteur privé en gestation et féroce dont les multinationales internationales se feront le plaisir de régner en maître souverain et sans état d’âme tout au mépris de la classe populaire victime de cette élection.

Ainsi, cette approche de la démocratie qui se dessine à l’horizon n’est pas sans conséquence. L’exemple de la Lybie est patent. Un pays en ruine et aux mains de nouveaux empires financiers. Le Gabon n’est pas exempté de cette situation si nous ne prenons pas très vite conscience de cette situation qui est en train de se dessiner à travers des accords d’exploitation déjà établis par certaines parties et en devenir pour d’autres. Ces accords sont déterminants pour le positionnement ou le repositionnement de la communauté internationale devant la crise postélectorale qui secoue le Gabon.

Peuple Gabonais, exigeons une clarté de part et d’autre pour éviter de sombrer davantage dans la pauvreté et la souffrance afin de justifier le mérite de nos concitoyens morts, arrêtés et torturés dans cette bataille électorale au prix de la liberté démocratique.

Docteur Djeneric Saka Alandji , spécialiste de la privatisation et du management des entreprises

 

[1J. Étienne et al., Dictionnaire de sociologie, Éditions Hâtier, Paris, 2004, p. 128

[2J. Copans, La longue marche de la modernité. Savoirs, intellectuels, démocratie, Seconde édition revue, corrigée et augmentée d’une préface, Postface d’Immanuel Wallerstein, Éditions Karthala, Paris, 1998, p. 274

[3V. Aucante, L’Afrique subsaharienne et la mondialisation, préfacé de S.E. le cardinal Crescenzio Sepe, Éditions l’Harmattan, Paris, 2008, p. 209

[4Ibid.

[5G. Rossatanga-Rignault, L’État au Gabon. Histoire et Institutions, Éditions Raponda-Walker, Libreville, 2000, p. 186

[6D. Plihon, Le nouveau capitalisme, Éditions La Découverte, Coll. « Repères », Paris, 2009, p. 28

[7G. Couffignal (sous la dir.), Amérique latine : les surprises de la démocratie, Éditions La documentation française, Paris, 2007, p. 12

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