Polémique

Musique et insécurité : Don’Zer, on le tue ou on le laisse en vie ?

Musique et insécurité : Don’Zer, on le tue ou on le laisse en vie ?
Musique et insécurité : Don’Zer, on le tue ou on le laisse en vie ? © 2018 D.R./Info241

Dans cette analyse sur la polémique née de la découverte de la proximité existante entre le rappeur Don’Zer et les auteurs présumés d’un crime odieux d’un jeune étudiant gabonais à Libreville, Hance Wilfried Otata décrypte pour Info241 cette situation inédite. Le musicien et producteur gabonais s’interroge sur la portée des textes musicaux des artistes et leur impact sur les mélomanes. Tout en tenant de déminer cette polémique sur le jeune artiste Don’Zer avec des criminels endurcis. Lecture.

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Dorénavant il ne répondra plus à l’appel de sa famille, encore moins à celui de ses amis et de ses connaissances. Roméo F. Kombila Kombila, une victime en sus de l’insécurité au Gabon. L’affaire est suffisamment médiatisée pour susciter l’émotion dans le pays et au-delà. Il faut dire que les images de son corps inanimé n’ont laissé personne indifférent.

L’intérêt est tel qu’il donne lieu à des réactions tranchées sur les réseaux sociaux. La victime n’est pas encore en terre, qu’un nom émerge : Don’Zer. Qui est-il ? Un acteur de l’univers musical gabonais à qui l’on prête des liens avec l’un des présumés coupables ; des photos viennent confirmer les relations entre l’artiste et cet accusé.

Don’Zer s’expliquant mardi sur la polémique

Pour certains commentateurs, le chanteur semble fautif dans la mort de Roméo F Kombila Kombila au vu de sa proximité avec les voyous et le type de chanson dont il est l’auteur, cocktail Molotov qui auraient contribué au drame. En face, il y a ceux qui contestent vigoureusement cette perception de la situation. Selon ces derniers, le chanteur serait le bouc-émissaire d’un environnement insécure, conséquence de l’inefficacité des pouvoirs publics en matière de sécurité nationale.

Voici l’une des figures musicales les plus populaires propulsée dans une affaire criminelle qu’il n’avait sûrement pas envisagée. Toutefois, essayons de réfléchir sans passion, de dépasser la douleur suite à la perte d’un être, de transcender nos ancrages politiques. Surtout, nous qui avons le privilège de ne pas être directement exposé à la disparition de cette vie sans prix. Demandons-nous si ce chanteur est responsable de cet événement malheureux et condamnable.

Don’Zer, innocent d’un point de vue juridique jusqu’à preuve du contraire

Il est indéniable, jusqu’ici, que le chanteur ne se trouvait pas sur le lieu du crime. En effet, il n’a posé aucun acte physique qui aurait contribué à la mort injuste du regretté Roméo F. Kombila Kombila. Autrement dit, il n’a porté aucun coup à la victime. Ainsi : Comment ce jeune chanteur peut-il endosser la responsabilité de la dite disparition ? La mesure serait de rigueur.

A cela ajoutons, jusqu’à preuve du contraire, qu’il n’y a aucune disposition juridique connue qui matérialiserait une faute vis-à-vis du droit en ce qui concerne les paroles de l’artiste. Textes que plusieurs jugent comme étant à l’origine de comportements déviants chez un certain nombre de jeunes. Et si c’est le cas, pourquoi la démonstration n’a pas été faite avant ? Car, ayons le courage de le dire, beaucoup d’artistes flirtent ou ont flirté avec l’univers illicite dans leurs productions phoniques.

Loin de nier la douleur de la famille, ce jeune homme est juridiquement intouchable, sauf si une procédure judiciaire impartiale vient nous faire la démonstration du contraire. Osons la répétition, le chanteur est innocent.

La pseudo-affaire Don’Zer, un moyen de réflexion sur la responsabilité éthique et morale de l’artiste dans la société

Si ce chanteur, comme certains avant et d’autres après, sont à l’abri de poursuites judiciaires, ils sont susceptibles d’être l’objet d’interpellations éthiques ou morales (pas de moraline) quant à leur responsabilité par rapport à leur produit ; en rappelant que l’éthique et la morale ne sont pas le droit, bien qu’elles peuvent l’influencer. En effet, quand l’artiste donne vie à une œuvre qu’elle est sa part de responsabilité par rapport aux effets sur le public ? Il serait naïf de penser l’artiste au-delà de ce type d’interrogations, à moins que l’on refuse de considérer la notion d’influence ou d’impact sur les destinataires. Ce qui serait un peu incohérent, peut-être hypocrite dans une certaine mesure. On a le droit de questionner la créativité et son ascendance ou pas sur ceux qui les consomment.

Lorsque Miriam Makeba chante l’humanité noire et s’érige en contradictrice féroce contre l’apartheid, elle n’est pas à l’origine des luttes contre ce système discriminatoire en Afrique du Sud, mais son œuvre participe de ce combat. Lorsque Movaiz Haleine, via le titre tué-tué, dénonce des mœurs décadentes chez quelques sujets féminins, ils ne sont pas à l’origine de ce combat, mais utilise leur œuvre pour influencer le public afin de freiner une forme de dépravation. John Lenon, le Beatles disparu, a contribué à la libération d’un homme condamné arbitrairement à mort. Le chanteur n’était pas à l’origine du soutien à cet homme, toutefois sa chanson a fortement pesée et fut l’élément déterminant pour sa libération.

Dans les cas évoqués, le plus grand nombre s’accorde à dire qu’ils ont eu un impact bénéfique sur le public, sur la cause défendue. Les exemples de ce type, il y en a des milliers.

Cependant, lorsqu’il y a une fin malheureuse au bout, une partie des mélomanes, les fans, les artistes, les soutiens de tout ordre refusent que l’on s’interroge sur la responsabilité de l’artiste par rapport au système de valeur véhiculé. Un deux poids deux mesures incohérent.

En France, on a tenté de justifier les émeutes de 2005 par un soi-disant rejet de la république formulé par les textes des rappeurs. Les spécialistes de la question, théoriciens de l’art et juristes, ont objectivement rejeté l’idée. Celle-ci n’était qu’un enfumage d’une partie de la classe politique ainsi qu’une certaine presse idéologisée à droite pour noyer un chien qui dérange par son anticonformisme et son ton revendicatif à l’époque. Une véritable tentative de distraction massive qui n’a pas fait long feu sauf chez les convaincus sans preuve de la première heure.

L’épisode français est la preuve que cette interrogation éthico-morale est un débat légitime qui, loin d’être grossier, talonne l’œuvre de chaque artiste selon le sujet traité et sa popularité. Débat on ne peut plus légitime, lorsqu’il n’y a ni passion ni mauvaise intention.

Ainsi, on pourrait se demander pourquoi est-il interdit de se questionner au sujet de la musique de Don’Zer ? Pourquoi là encore des réactions excessives de ses défenseurs ? Il est étonnant que l’on trouve aisé de demander des comptes à Johnny B Good pour son implication artistique durant la campagne électorale au profit de l’équipe au pouvoir, et se l’interdire pour Don’Zer par rapport à la prolifération de l’illicite ? Précisons que cela ne fait pas de lui l’instigateur du braquage au Gabon.

Nous sommes désolés pour ce jeune chanteur, mais son travail fera toujours l’objet de ce type de questionnement selon les individus. Qu’il se rassure, il n’est pas le seul dans l’affaire.

Finalement...

Que ce jeune artiste ne cristallise pas les ressentiments d’un contexte sécuritaire en crise, qu’il ne soit pas le bouc-émissaire de nos douleurs, de nos frustrations. Si nous n’aimons pas sa musique, que nous la trouvons négative, faisons le choix de ne pas l’écouter, de ne pas aller à ses représentations. Mais ne lui faisons pas porter un fardeau qui n’est pas le sien. Ne tentons pas de le contraindre à un joug qui ne porte pas son nom. Ne faisons pas de lui le coupable idéal que l’on pointe du doigt dans la rue. Refusons notre victime expiatoire, lui qui ne peut contourner notre évaluation éthico-morale où chacun défend une position. Jusqu’à preuve du contraire, il est innocent vis-à-vis du droit.

Que justice soit rendue à Roméo F. Kombila Kombila et rien d’autre !

@info241.com
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