Décryptage

Coup d’Etat du 7 janvier 2019 ou le cri d’alarme de la population gabonaise

Coup d’Etat du 7 janvier 2019 ou le cri d’alarme de la population gabonaise
Coup d’Etat du 7 janvier 2019 ou le cri d’alarme de la population gabonaise © 2019 D.R./Info241

Dans cette analyse, Charlène Ongotha docteur en droit international public et relations internationales, se propose de convoquer les graves événements survenus le 7 janvier dernier autour du coup d’Etat manqué du lieutenant de la Garde républicaine Kelly Ondo Obiang. Pour l’universitaire, l’action de ces militaires qui ont tenté de renverser le régime d’Ali bongo, est le témoin d’une « situation politique et sociale aux abois » ainsi que le cri d’alarme de la population gabonaise dans son ensemble. Décryptage.

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Depuis maintenant trois ans, le Gabon est plongé dans ce que l’on pourrait qualifier de grave crise politique, sociale et économique. Comme bon nombre de pays d’Afrique, il connaît son lot de misère lié en partie à un manque d’alternance politique accru [1] porteur de plusieurs symptômes destructeurs de l’État comme la corruption de ses gouvernants, l’incapacité de ses institutions à fonctionner, un service public minimum inexistant, une population en totale déshérence par manque d’instruction.

La crise postélectorale de 2016 a créé une profonde rupture au sein de la population gabonaise à qui l’on avait encore ôté tout espoir de changement et de renouveau de la classe politique marquée par l’omniprésence de la famille « Bongo ». Le problème viendrait donc de là. Il viendrait de l’incohérence des mots et des faits, de l’impossibilité pour chacun de comprendre comment cet État dit démocratique viole les droits les plus élémentaires qui appartiennent pourtant à chaque Gabonais.

Il vient d’une rupture toujours plus grandissante entre les gouvernants qui bafouent les valeurs fondamentales de la République inscrites dans son texte fondateur, et les gouvernés qui ne reçoivent pas la contrepartie nécessaire du jeu démocratique, c’est-à-dire, la protection de l’État contre l’oppression, la pauvreté et l’ignorance. Selon la définition populaire d’Abraham Lincoln, « la démocratie c’est le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». En ce sens, la démocratie a besoin du peuple pour fonctionner.

Elle en a d’autant plus besoin qu’elle s’exprime par la voix de ses représentants dont l’institution centrale est le parlement, lieu de démocratie par excellence, qui se caractérise par son indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif et par son rôle de médiation entre l’État et la société civile. Pourtant, la démocratie c’est aussi et surtout le pire des régimes à l’exception de tous les autres comme disait Churchill, et à juste titre ! Dans cette optique, le cas du Gabon est loin d’être un cas isolé mais intéressons-nous de près aux récents évènements qui ont bousculé ce petit pays d’Afrique centrale.

Le rappel des faits : l’état de santé du président, la modification de la constitution et le discours à la nation du 31 décembre 2018

Plusieurs éléments semblent pouvoir expliquer ce qui a conduit à la tentative d’insurrection du 7 janvier 2019 dernier par un groupe militaire qui a pris temporairement le contrôle de la radio nationale pour appeler au soulèvement populaire et à la formation d’un « Conseil national de la restauration ».

Depuis le 24 octobre 2018 de fortes rumeurs circulent, principalement sur les réseaux sociaux, au sujet du décès supposé du Président de la République du Gabon, Ali Bongo. Nous choisissons à dessein le terme « rumeur » car jusqu’à maintenant, les autorités gabonaises ont démenti ces allégations au moyen d’une communication gouvernementale pour le moins douteuse. En réalité, de nombreuses zones d’ombre conduisent les uns et les autres à renforcer le sentiment qu’ils ont d’être baignés dans un tissu de mensonges d’État sans fin laissant le soin à chacun de donner sa version des faits.

Pour faire court, le Président Ali Bongo aurait été victime d’un AVC lors de son déplacement à Riyad en octobre dernier, AVC à la suite duquel il aurait été sévèrement atteint physiquement. Dans un premier temps hospitalisé en Arabie Saoudite, il sera transféré au Maroc dès le mois de décembre pour entamer sa convalescence selon la communication gouvernementale officielle. Pourtant, plusieurs aspects semblent quelque peu incohérents. Tout d’abord, la version donnée par le porte-parole du gouvernement fait état dans un premier temps d’une fatigue légère du Président. Quelques semaines après, il s’agit désormais d’une fatigue aiguë voire sévère qui le contraindrait à subir une hospitalisation.

Ce n’est que suite au relais de plusieurs informations contradictoires sur le sujet par les médias internationaux qu’un énième revirement de l’équipe gouvernementale le conduit à finalement évoquer un AVC. Ensuite, peu après l’annonce de l’hospitalisation du Président à Riyad, la présidente de la Cour constitutionnelle, Marie-Madeleine Mborantsuo (3M), décide de modifier la Constitution pour pallier l’absence du Président de la République considérant que l’article 13 qui y faisait référence était lacunaire en l’état actuel de la situation.

En effet, cette manœuvre juridique consistera en l’ajout d’un alinéa audit article disposant désormais que : « en cas d’indisponibilité temporaire du Président de la République pour quelque cause que ce soit, certaines fonctions dévolues à ce dernier, peuvent être exercées selon les cas, soit par le Vice président de la République, soit par le Premier ministre sur autorisation spéciale de la Cour Constitutionnelle ».

En tout état de cause, cela permet à 3M de ne pas décréter la vacance du pouvoir mais simplement l’indisponibilité temporaire, transférant de fait le pouvoir aux personnalités susmentionnées. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que les membres de l’opposition, la société civile, la diaspora gabonaise à l’étranger et la population voient dans ces agissements un véritable coup de force destiné à confisquer le pouvoir à tout prix.

Enfin, devant la pression médiatique internationale et les rumeurs du décès du président qui ne cessent de s’accentuer, de nombreuses vidéos ont circulé sur la toile faisant apparaître dans un premier temps le Président de la République, Ali Bongo, aux côtés du Roi du Maroc, Mohammed VI, puis dans un second temps, le Président aux côtés de 3M et de l’ancien Vice président, Pierre Claver Maganga Moussavou et de l’ancien Premier ministre, Emmanuel Issoze Ngondet.

Le but poursuivi était évidemment d’apporter la preuve à la population gabonaise et au monde entier d’un Président bel et bien en vie. Pourtant, personne ne semble vouloir y croire ce qui déclenche aussitôt une multitude de théories autour de ce qui est considéré sur les réseaux sociaux comme une « mascarade médiatique ». En effet selon les Gabonais, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une mise en scène supplémentaire visant à permettre aux autorités politiques de gagner du temps pour mieux assurer la transition du pouvoir en interne, entendez, entre les membres de la famille « Bongo » qui ont depuis des décennies été détenteurs du pouvoir au Gabon.

L’épisode de trop aura sans doute été la vidéo enregistrée à l’occasion des vœux de fin d’année, le 31 décembre 2018, où apparaît un Président soucieux, en apparence, de faire taire les rumeurs une fois pour toutes de son décès présumé et de rassurer la population. Mais c’est surtout un homme atteint physiquement qui apparaît sur les écrans. Un homme qui n’est pas en mesure de tenir un discours audible et dont le regard vide ne convainc plus personne encore moins que son incapacité à gouverner le Gabon.

La tentative d’insurrection du 7 janvier 2019 : cri d’alarme d’une population en détresse…

La tentative d’insurrection du 7 janvier 2019 ne serait alors que la conséquence d’une confiscation du pouvoir au profit d’une seule famille qui n’a que trop duré et d’un ras-le-bol généralisé quant à la gestion de l’information médiatique autour de l’état de santé du Président. L’insurrection peut se définir comme un « soulèvement d’une certaine ampleur qui vise à renverser par la force le gouvernement établi ou à détacher une partie du territoire d’un État afin de créer un nouvel État ou de l’intégrer dans un autre [2]  ».

Cette définition juridique d’ordre générale peut être précisée comme suit : l’insurrection entendue comme un « soulèvement du peuple en armes contre son gouvernement, ou une partie de celui-ci, ou contre une ou plusieurs de ses lois, ou contre un ou plusieurs agents de ce gouvernement. Elle peut se limiter à une simple résistance ou avoir des vues plus larges [3] ».

Le continent africain regorge d’exemples d’insurrections populaires à l’image de l’insurrection du Burkina Faso en 2014 ayant entraîné la chute du Président Blaise Compaoré ou plus globalement d’actes d’insurrections pour l’obtention de l’indépendance dans les années 1960. Dans ces différents cas de figure, le peuple a été le plus souvent à l’initiative du mouvement de soulèvement en raison de la détérioration de la situation politique, économique et sociale de l’État ou de la volonté des autorités en place de conserver le pouvoir par la violation flagrante des normes juridiques en vigueur.

L’idée est donc le renversement du pouvoir du fait d’un ras-le-bol généralisé de la population aux besoins desquels l’État ne répond plus. Elle se distingue du coup d’État qui caractérise quant à lui une « situation par laquelle une personne ou un groupe de personne s’empare du pouvoir gouvernemental ou s’y maintient en violation de la constitution [4] ». Comme l’insurrection, l’Afrique a connu de multiples épisodes de coup d’État que ce soit en Afrique centrale (Tchad, RCA, RDC) ou en Afrique de l’Ouest (Côte d’Ivoire, Burkina Faso, Mali) ou ailleurs sur le continent. Chacun d’entre eux avait la particularité d’être conduit par des militaires désirant renverser le pouvoir en place pour s’en accaparer par la suite.

Lorsqu’on se base sur ces différentes définitions et sur le contenu du communiqué livré par le lieutenant Kelly Ondo Obiang, commandant adjoint à la compagnie d’honneur de la Garde républicaine et président du Mouvement patriotique des jeunes des forces de défense et de sécurité du Gabon (MPJFDS), force est de constater que dans le cas d’espèce il est préférable de retenir l’hypothèse de la tentative d’insurrection plutôt que celle du coup d’État. En effet, le communiqué fait état de la volonté des insurgés de « sauver la démocratie en péril, préserver l’intégrité du territoire national et la cohésion nationale » dans le cadre d’une opération baptisée « opération dignité » mais en aucun cas de confisquer le pouvoir par les militaires.

De plus, il semblerait que les auteurs de l’opération ne représentaient qu’une petite partie de l’armée et n’avaient donc pas l’assentiment du plus grand nombre du corps militaire – ce qui explique par ailleurs leur arrestation précoce plus tard dans la même journée. Enfin, l’un des points les plus intéressants à souligner dans ce communiqué est l’appel lancé à tous les jeunes des forces de défense et de sécurité, à toute la jeunesse gabonaise, aux militaires retraités, aux acteurs de la société civile, aux chefs de toutes les confessions religieuses, aux leaders des partis politiques de l’opposition, tous conviés à prendre part à l’opération de libération du Gabon. Ces éléments de langage traduisent bien une tentative d’insurrection impulsée par l’armée demandant par la suite le support de la population et des personnalités politiques de l’opposition.

L’article 35 de la Constitution française de 1793 dispose que : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs  ». Au regard de tous les éléments qui ont été développés plus haut, il peut être considéré que les évènements du 7 janvier 2019 sont la conséquence logique de la crise postélectorale d’août 2016 qui a suscité chez les gabonais un sentiment de révolte et de désespoir d’une alternance politique.

Très brièvement, les élections ont donné le Président Ali Bongo vainqueur contre son adversaire Jean Ping malgré les nombreuses irrégularités soulignées par les diverses missions d’observations dépêchées sur place pour l’occasion, dont celle de l’UE qui a rendu un rapport très critique [5]. S’en sont suivis de brefs épisodes de violence sur le territoire national entre les forces de police et la population au cours desquels plusieurs personnes auraient perdu la vie et auraient été arrêtées puis emprisonnées arbitrairement. Le climat d’impunité et d’injustice qui règnent au Gabon, ainsi qu’une situation économique et sociale précaire, constituent autant de sources potentielles de déclenchement d’une crise interne qui peut prendre la forme d’une insurrection telle qu’elle s’est produite dernièrement.

Quoi qu’il en soit, la tentative d’insurrection n’aura été que de courte durée. Des informations relayées par les principaux médias francophones et les autorités gabonaises font état de l’arrestation du lieutenant Kelly Ondo et d’autres militaires impliqués présents sur les lieux. Deux d’entre eux auraient d’ailleurs été abattus lors de l’assaut des hommes du groupe d’intervention de la gendarmerie gabonaise.

Pourtant, aucune retransmission télévisée de l’assaut n’a été faite de même que l’arrestation des assaillants et leur transfert au procureur de la République. Tout se passe dans un manque de transparence totale, privant encore une fois la population du droit à l’information dont elle devrait bénéficier et les membres de l’opposition, d’informations claires et crédibles leur permettant de jouer le rôle qui leur est dévolu dans un État de droit.

Les interventions de nombreux membres de la diaspora gabonaise, de la société civile et des autorités gabonaises se sont alors multipliées sur les plateaux télévisés (TV5, France 24) et les studios de radios internationales (RFI) à l’étranger. Plusieurs, dont la chercheuse et militante, Laurence Ndong, semblent souscrire à ce cri de détresse que nous essayons de décrire dans cet article. En effet, elle ne cesse de pointer du doigt les défaillances du pouvoir et l’impossibilité à l’heure actuelle de parler d’un État de droit au Gabon en raison de la volonté des membres du gouvernement de bloquer les institutions et de prendre la population gabonaise en otage [6]. Sur les récents évènements survenus dans la capitale, elle reconnaît volontiers la détresse d’une population marginalisée, humiliée et flouée depuis de trop nombreuses années.

L’heure est donc venue de tirer quelques enseignements de cet évènement présenté comme inédit dans l’histoire de la république gabonaise. En effet, contrairement à d’autres pays de la sous-région, le Gabon fait figure d’exception puisqu’il n’a jamais connu de réelles révoltes populaires et de soulèvements armés. C’est un pays dont les habitants aiment vanter le mérite de la paix et le caractère pacifique de sa population. Mais pour combien de temps encore quand on sait que tous les barils de crises sont au rouge et qu’il suffirait d’une étincelle pour que tout explose [7] ?

Les leçons à tirer de cette tentative d’insurrection par une partie de l’armée et les nombreuses interrogations quant à l’avenir politique, économique et social du Gabon…

La situation semble sous contrôle dans la capitale. Le pays suit son cours et la population ; lasse des informations tronquées qu’elle reçoit ou ne reçoit d’ailleurs pas préfère continuer à vivre ou plutôt survivre au quotidien. Les résultats des élections législatives du 27 octobre 2018 sont quasiment un non-évènement, la venue mystère du Président Ali Bongo le 14 janvier 2019 dans la capitale pour une cérémonie de prestation de serment du nouveau gouvernement et son retour express à Rabat, au Maroc, le lendemain, paraissent si éloignés des préoccupations des familles qui n’ont pas de quoi répondre aux besoins primaires qui sont les leurs.

Le Gabon fait partie de ces pays riches d’Afrique dont le peuple est pauvre. Pauvre du fait de l’absence chronique d’infrastructures de base, pauvre en raison d’un manque de perspectives politique, économique et sociale, pauvre de la faiblesse d’un État incapable de jouer son rôle de protecteur et défenseur des droits et des libertés de chacun, pauvre encore de sa jeunesse en déshérence qui devrait pourtant représenter l’avenir de la nation [8] , pauvre enfin de l’incompétence de ses dirigeants dont la corruption prime sur la recherche de l’intérêt général. Il est donc à la fois victime de l’incapacité de son peuple à s’affirmer et à se projeter vers l’avenir, et de la faiblesse de l’État à organiser des politiques publiques qui donneraient à chacun la possibilité d’être un citoyen responsable. Le Gabon est prisonnier d’une « démocratie de façade » et d’une perte de repère individuelle et collective qui conduit à l’inertie de toutes ses forces vives.

Ces éléments évoqués successivement sont interdépendants. En effet, l’absence d’infrastructures de base a un impact conséquent sur le développement économique du Gabon et sa compétitivité dans la sous-région dans la mesure où l’implantation d’entreprises requiert un environnement approprié pour générer des services de qualité à un prix raisonnable. Or, force est de constater que la faiblesse des investissements publics et privés dans la construction d’infrastructures routières ou immobilières durables malgré les chantiers entamés par le pouvoir en place depuis 2009 empêche l’État de fournir un service public de qualité. Le service public caractérise une activité ou une mission d’intérêt général et l’ensemble des organismes publics ou privés, chargés de ces missions d’intérêt général [9] .

En ce sens, deux éléments permettent de confirmer la dégradation perpétuelle des administrations publiques gabonaises. D’un côté, la faiblesse des infrastructures que nous avons évoquée plus haut et de l’autre, l’absence de cohérence dans les modalités de nomination des fonctionnaires qui obéissent la plupart du temps à des considérations politiques, familiales et ethniques.

Deux services sont particulièrement affectés par cette dégradation : le service de la santé et de l’éducation. En effet, de nombreux enseignants du secteur public se tournent vers le privé en raison de situations d’impayés ou pour répondre à un intérêt personnel (pécuniaire). Il en est de même pour le personnel hospitalier. Par conséquent, la dégradation du service public se mesure non seulement dans la qualité du service rendu mais aussi et surtout par la perte des valeurs qui le caractérise c’est-à-dire, l’intérêt général.

La défaillance de l’État est bien grande et avec elle celle de sa population confrontée au chômage endémique, à l’analphabétisme, à la malnutrition et à la perte des valeurs civiques et humaines fondamentales. Nous souhaitons ainsi mettre l’accent sur la crise de l’éducation au Gabon. L’éducation et l’instruction des jeunes représentent un des objectifs du millénaire poursuivi et défendu au niveau international par les Nations-Unies. Celles-ci contribuent au renforcement du développement humain qui est un facteur central dans le développement des sociétés.

Elle est un droit fondamental de l’homme tel qu’on peut le lire dans l’article 26 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 : « Toute personne a droit à l’éducation (…) L’éducation doit viser au plein épanouissement de la personne humaine et au renforcement du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». Cet article met l’accent sur l’éducation en tant qu’arme de construction massive d’un individu qui lui permet de se construire sa propre opinion et de se créer des possibilités d’épanouissement par sa capacité de réflexion et à faire des choix par lui-même.

C’est parce que chacun est instruit qu’il peut opposer une résistance, faire entendre sa voix sur des sujets qui lui sont chers et défendre une opinion en toute confiance et dans le respect de l’autre. L’éducation permet à chacun de se projeter dans la vie, de rêver et d’émettre des analyses sur la construction d’un bien-être collectif. Elle permet de formuler une idée, de la partager et de contribuer à la construction de la nation.

Il est donc pour le moins inquiétant de constater l’absence d’infrastructures dédiées au renforcement de l’éducation telles que des bibliothèques et le peu d’intérêt de la population à l’égard de la lecture ou des activités autour de la lecture. Loin de nous l’idée de limiter l’éducation aux bibliothèques mais ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres auquel nous souscrivons pleinement au vu des études qui ont été menées sur les effets néfastes de l’absence de bibliothèques au sein d’un État. Cela l’est d’autant plus que le livre est un élément culturel par excellence.

C’est un véhicule au travers duquel peut se raconter ou se créer une histoire, se partager des émotions et se transmettre des valeurs. Le livre relie, conforte, développe l’imagination et rapproche les peuples entre eux. C’est sur ce dernier point que nous allons nous pencher : le renforcement du lien culturel de la population gabonaise.

En perte de repère, la population gabonaise est à bout de souffle. Elle est prise en otage entre la tradition et la modernité. Les valeurs les plus fondamentales lui paraissent si lointaines, si dénuées de sens que l’on en viendrait presque à se demander comment on en est arrivé là. Cette situation est due à une déconnexion du citoyen et de l’individu à l’État et la société dans laquelle il vit et plus fondamentalement à la pauvreté de l’esprit et la précarité des situations sociales.

Tout se passe comme si tout le monde avait perdu le sens primaire de l’humanité qui veut que chacun soit la partie d’un tout. En réalité, le combat que doit mener le Gabon est avant tout un combat culturel qui pousserait chacun à un changement de mentalité profond. Les structures de raisonnement sont complètement dépravées au point où la valeur du travail, de la discipline et du respect de l’intérêt général ne font complètement plus partie du jargon national. Il faut des hommes et des femmes qui soient conscients que la construction d’un pays ne peut pas se faire d’un claquement de doigts. Cela demande des efforts, des investissements humains, de la réflexion, des sacrifices et parfois des échecs.

La construction d’un pays ne peut se faire sans l’assentiment et l’implication du plus grand nombre. Chaque gabonais doit pouvoir se sentir responsable des actions et du changement qu’il peut apporter à son pays. Chaque gabonais doit avoir le souci de l’intérêt général en commençant à la plus petite échelle qui puisse exister pour lui, c’est-à-dire sa cellule familiale, son quartier, sa ville. Jeter des ordures ménagères à côté des bacs à ordures ne devrait pas être normal ! De même que le racket des taxis par les policiers à longueur de journée ! Ce n’est pas normal non plus de tuer son frère pour de la petite monnaie (…). Autant de situations banales qui doivent changer pour contribuer à la construction du gabonais de demain.

Conclure…

Cet article avait pour but de faire le point sur la situation du Gabon après les évènements qui l’ont bousculé ces trois derniers mois et plus singulièrement le 7 janvier 2019 dernier. La situation est telle que nous devons comprendre que « pour que le mal triomphe, seule suffit l’inaction des hommes de bien [10] » c’est-à-dire de chaque individu qui est en capacité de comprendre l’urgence de dire et faire quelque chose.

Certes, l’État a l’obligation de protéger, former et insérer le citoyen dans la société au même titre qu’un parent élèverait son enfant jusqu’à ce qu’il devienne adulte. Mais l’État ne peut tout faire. Il appartient donc à chacun de prendre ses responsabilités et d’apprendre par lui-même au même titre qu’un enfant qui apprend à fonctionner dans la société en dehors de la sphère familiale par d’autres moyens que l’éducation donnée par ses parents.

En réalité, l’État et les citoyens ont chacun un rôle à jouer de sorte que la défaillance de l’un puisse en fait s’expliquer par la défaillance de l’autre. Du reste, n’oublions pas que ce sont les hommes qui font l’État, qui lui donne sa réalité substantielle, et pas l’inverse. Ainsi, l’état de santé du Président ne doit pas nous faire perdre de vue que nous sommes tous responsables de l’avenir de ce pays. Tous ! Par nos actions, inactions, nos silences, nos doutes, nos fuites en avant, nos médisances… Tous responsables !

Charlène ONGOTHA, docteur en droit international public et relations internationales

 

[1ESSONO NGUEMA Jean-Marc, L’impossible alternance au pouvoir en Afrique centrale, Paris, L’Harmattan, 2010

[2SALMON Jean (dir.), Dictionnaire de doit international public, Bruxelles, Bruylant, 2001, p. 589.

[3Ibidem.

[4Ibid, p. 279.

[5Lire le rapport final de la mission d’observation électorale de l’Union Européenne sur l’élection présidentielle du 27 août 2016 disponible en ligne https://eeas.europa.eu/election-observation-missions/eom-gabon-2016/16951/chef-observateur-mariya-gabriel-pr%C3%A9sente-le-rapport-final-%C3%A0-libreville_fr.

[6NDONG Laurence, « Il faut rompre avec le cycle des élections truquées », Le point Afrique disponible en ligne http://afrique.lepoint.fr/actualites/gabon-laurence-ndong-il-faut-rompre-avec-le-cycle-des-elections-truquees-06-11-2018-2268935_2365.php (consulté le 19/01/2019)

[7CHAUPRADE Aymeric, « Introduction – Constances et changements dans l’histoire des conflits : bref essai de typologie de conflits », in VETTOVAGLIA Jean-Pierre (dir.), Déterminants des conflits et nouvelles formes de prévention, Bruxelles, Bruylant, 2013, pp. 9-34.

[8MARA Moussa, Jeunesse africaine : le grand défi à relever, Paris, Éditions Mareuil, 2016.

[10Citation d’Edmund BURKE

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