Alternance démocratique

Charles M’Ba : « Le refus de l’humiliation, la soif de liberté génèrent des forces que la dictature gabonaise ne pourra contenir »

Charles M’Ba : « Le refus de l’humiliation, la soif de liberté  génèrent des forces que la dictature gabonaise ne pourra contenir »
Charles M’ba, ancien Sénateur du Woleu lors de son passage sur TV5 Monde © 2017 D.R./Info241

L’ancien ministre délégué aux Finances, Charles René M’ba, s’est exprimé récemment sur les colonnes de notre confrère L’aube en analysant la crise post-électorale suite à l’élection controversée d’Ali Bongo. Le sénateur démissionnaire du Woleu (du PDG, parti au pouvoir depuis 1968 au Gabon) revient sur les massacres survenus le 31 août 2016 au cours desquels plusieurs familles gabonaises dont la sienne ont été lourdement endeuillées. Il a rappelé au peuple gabonais qui subit un déni de démocratie, une dictature, des violations des droits fondamentaux et privations des libertés publiques du régime de Libreville que : « Le refus de l’humiliation, la soif de liberté et le besoin de dignité génèrent des forces que les armes de la dictature gabonaise n’ont jamais pu contenir ».

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Dans cette interview, Charles M’Ba, membre de la Coalition pour la Nouvelle République, installé en France depuis quelques mois où il s’active contre le déni de démocratie perpétré par Ali Bongo et son régime despotique passe en revue l’actualité politique et sociale. Pour lui, le pouvoir contesté et ses sbires s’arcboutent à refuser l’expression démocratique du peuple gabonais, sortie des urnes qui selon le cadre de l’Union Nationale a donné une victoire à Jean Ping lors de la présidentielle du 27 août 2016. Retrouvez dans les lignes qui suivent l’intégralité de cet entretien.

Permettez-nous de commencer par une question douloureuse pour vous. Comment envisagez-vous désormais le 31 août ? Il y a un an, et vous le rappelez souvent, deux êtres qui vous étaient très proches sont tombés lors des violences post électorales. Votre frère a écrit un texte très dur contre le pouvoir sur sa page Facebook. Partagez-vous son point de vue ?

Charles M’Ba : Le 31 août 2016, Prosper mon frère et Ulrich mon petit-fils sont tombés, les mains nues, sous les balles tirées par des armes de guerre d’un pouvoir illégitime qui s’est férocement imposé dans notre pays. De même, de nombreux autres jeunes gabonais ont ainsi perdu la vie en réclamant le respect de leur vote majoritaire. Cette douleur lancinante est personnellement vécue par chacun des membres des familles de ces femmes et de ces hommes. Chacun peut, chacun doit le comprendre. Cela ne saurait être tu, cela ne pourrait être amoindri.

Dans une société qui a du mal à reconnaître les mérites de ses propres enfants, il en va de l’honneur de la nouvelle république que nous voulons construire ! En tout cas, ces sentiments ont pénétré notre intimité. Hyacinthe M’ba Allogho, journaliste de talent incontestable et reconnu a exprimé, j’en suis certain, l’état d’esprit des proches de toutes ces admirables victimes. Qui ne voit pas cette grande douleur, qui ne la sent pas et qui oserait le blâmer de la dire ?

Se sacrifier par amour conduit à la lumière ; les chrétiens connaissent bien cette réalité ! Ces Gabonais qui sont tombés comme des chevaliers ont fait ce qu’ils pensaient devoir faire sans se soucier de ce qu’il adviendrait ; leur sacrifice doit éclairer notre idéal de liberté, de démocratie, de progrès et raffermir notre détermination à instaurer une vraie république, la nouvelle république !

La dernière actualité au Gabon c’est le discours de Jean Ping à la Nation le 18 aout dernier. Il a appelé la population à organiser des manifestations pacifiques pour contraindre Ali Bongo de quitter le pouvoir. Certains y voient un aveu d’échec. D’autres interprètent cet appel comme une phase nouvelle de la lutte, une évolution dangereuse vers la violence. Votre point de vue.

Charles M’Ba : Le 27 août 2016, le peuple gabonais s’est clairement prononcé. Dans leur très grande majorité, deux Gabonais sur trois ont rejeté le candidat du PDG, ils ont choisi le changement et élu Jean Ping. La démocratie, c’est le gouvernement du peuple par le peuple ; ceux qui ont confisqué le pouvoir à Libreville doivent l’entendre et, tout simplement, partir ! Il n’y a pas d’autre issue paisible pour eux, ils doivent entendre la voix de la raison.

La détermination du peuple gabonais quant à elle, surprend à travers le monde. Elle surprend tous ceux qui ont accepté de se laisser bercer et berner par le déni permanent de la réalité dans notre pays ! Ils se sont laissés berner et bercer par ceux dont c’est le seul talent, celui de berner, et qui gouvernent notre pays depuis trop longtemps. L’opinion internationale qui ne mesurait pas l’intensité de l’exaspération des populations qui n’en peuvent plus de ces usurpateurs, ne revient pas d’une telle détermination.

Dans son appel que j’approuve, Jean Ping rappelle au peuple gabonais que c’est lui, le peuple gabonais, qui est le souverain de notre pays a élu, que c’est donc lui qui obtiendra le respect de sa volonté et qui forcera le dictateur et ses affidés à partir. Jean Ping informe le peuple que la communauté internationale est en accord avec les motifs de notre détermination. Les rapports de l’Union européenne (UE), de l’Union Africaine (UA) et de l’Organisation Internationale de la Francophonie (OIF), les déclarations de M. Macron, devenu Président de la France, contestent tous, le pouvoir dictatorial que s’est incrusté à Libreville. Tous ceux-là nous disent que notre avenir dépend de nous !

L’organisation de cette nouvelle phase du combat ne semble pas bénéficier d’une bonne coordination au sein de la Coalition pour la Nouvelle République. Nous avons même entendu certains leaders politiques se plaindre du fait que le « Cabinet » de Jean Ping les mettait devant le fait accompli dans la programmation des actions avec des délais d’exécution souvent très courts. Les membres de cette Coalition ne se feraient-ils pas assez confiance au point de ne partager les informations sensibles qu’au dernier moment ?

Charles M’Ba : Les couacs, les défaillances et les insuffisances sont inhérents à toute organisation humaine. C’est ce que je retiens de l’expérience de manager ou de leader. Même les plus grandes démocraties et les plus grands pays n’y échappent pas. Il faut donc de la bienveillance pour avancer ensemble. Le plus important, c’est toujours le cap, l’objectif commun à atteindre qui doit être clair pour tous et pour chacun. Plus encore, il y faut de la confiance qui nait de la bonne foi, et de l’impartialité, de la transparence et de l’exemplarité.

Le bon management, c’est à dire le management efficace découle toujours du respect de ces exigences universelles, éprouvées dans le monde entier. Le soupçon tue la confiance, toujours ! La duperie tue la confiance, toujours ! La malveillance tue la confiance, toujours ! Les grands pays pratiquent les niveaux d’habilitation ; qu’ils soient donc établis chez nous afin que chacun dispose de la bonne information, celle de son niveau ! Que ces niveaux d’habilitation soient respectés et clairement sanctionnés en cas de manquement. Personnellement, je crois qu’au fil des ajustements nécessaires et parfois urgents, nous y arriverons et la volonté du peuple gabonais triomphera.

Malgré tout, les jeunes organisent déjà des manifestations de rue à Libreville, Port-Gentil, Tchibanga et Oyem. Elles semblent spontanées pour le moment et donc on peut le dire, un peu esseulées, voire désordonnées. Est-ce à votre avis le départ de la vague pour la libération du pays ?

Charles M’Ba : La jeunesse gabonaise exprime normalement ses espoirs légitimes, elle est porteuse de l’Esperance pour notre pays. La fougue qu’elle démontre notamment à travers les réseaux sociaux est naturelle. De même que la multitude des organisations est inhérente au principe même de la résistance populaire. C’est exaltant de voir que chacun se lève avec l‘idée qu’il doit faire quelque chose pour libérer son pays ; cette initiative est admirable. Nos actes démontrent toujours ce que nous voulons faire.

Pourtant, la sagesse et notamment celle de l’organisation et de la bonne organisation sont des contraintes auxquelles chacun doit se soumettre, au risque de ne pas atteindre ses objectifs ! La bonne et indispensable organisation, c’est notre affaire à tous, chacun à sa bonne place. Il y faut de la coordination et les moyens nécessaires à l’action qui assurent l’autorité indispensable à toute coordination. Nous y arriverons tous ensemble ou bien nous serons écrasés ! Le salut spirituel est individuel mais le salut du dessein commun est obligatoirement collectif !

Devant une mobilisation qui se dessine comme devant bientôt atteindre son point culminant, le gouvernement a choisi de communiquer par la terreur en faisant insidieusement diffuser un message qui assimile la participation à toute manifestation à la mort, au suicide. Comment rassurer ces jeunes qui vont certainement se retrouver devant les forces de l’ordre, voire de défense.

Charles M’Ba : Le refus de l’humiliation, la soif de liberté et le besoin de dignité génèrent des forces que les armes n’ont jamais pu contenir. L’histoire de l’humanité est là pour le démontrer sur tous les continents, et les puissances grandes ou moyennes l’ont éprouvé. Il n’y a donc pas lieu de rassurer ni d’encourager qui que ce soit, car la profondeur des motivations est insondable et individuelle.

A Libreville il y a un bruit très fort de la rumeur d’une rencontre secrète entre Jean Ping, Ali Bongo et Emmanuel Macron ici à Paris. Elle aurait eu lieu que vous le sauriez. Qu’en est-il exactement ? Est-ce d’elle que Jean Ping parle quand il dit dans son discours à la Nation avoir exigé et obtenu une médiation internationale

Charles M’Ba : Franchement, c’est au Président Jean Ping qu’il faut poser cette question. Je dénonce assez ce régime de la rumeur, du déni, de la mythomanie et de la mystification pour m’échiner à scruter les réunions officieuses ou secrètes auxquelles en plus, je n’ai pas pris part. L’obtention d’une médiation internationale pour résoudre la crise gabonaise est un réel progrès dont il faut féliciter Jean Ping. Elle conforte aussi les efforts des uns et des autres, en attendant les résultats concrets, en attendant les actes ! Comme l’argent, les discussions sérieuses et décisives n’aiment pas le bruit !

Je ne crois cependant pas que les rencontres politiques internationales secrètes soient le style du nouveau président français qui a clairement indiqué son sentiment sur la situation de notre pays. Et le président Jean Ping a donné sa parole aux uns et aux autres, il la tiendra ! Je crois simplement que le temps du pouvoir, le temps des Etats, n’est pas le temps ordinaire des citoyens ; l’urgence les empêche souvent d’intégrer convenablement la perspective. Restons concentrés et attelés chacun à notre tâche et nous y arriverons ensemble ! Le Président à la place de président, faisant ce qu’il doit, et nous autres, chacun à notre place !

On vous décrit souvent comme un homme de réseaux, et de réseaux plutôt discrets. Sans trahir de secret, le combat se mène-t-il également à ce niveau ? Et pour quels résultats ?

Charles M’Ba : Parmi les maux qui minent notre pays, j’ai retenu la mythomanie et la mystification. L’une et l’autre ont conduit notre pays dans la situation catastrophique que nous vivons. Au plan social, au plan économique et au plan politique. Il en résulte d’ailleurs que, dans notre pays, l’évocation des réseaux renvoie trop souvent à des pratiques douteuses, à la corruption, voire pire. C’est un tort grave, et en ce qui me concerne, j’aime agir, j’aime l’action en conformité avec des valeurs, avec une éthique largement connues.

Des réseaux ? Il y en a partout et pour tout. De l’association des anciens élèves d’un établissement scolaire ou universitaire aux associations professionnelles, sociales, humanitaires, caritatives. La tontine est bien un réseau fondé sur la Confiance ! L’essentiel est donc bien toujours de partager et de pratiquer des valeurs communes préétablies ! Finalement, de quoi s’agit-il ? De la capacité ou non de chacun à établir de bonnes relations tirées de ses rencontres scolaires, universitaires, amicales, professionnelles, et sociales. De la capacité de chacun à entretenir des relations de véritable confiance qui permettent d’aborder simplement et franchement, des questions difficiles. Et si possible, d’obtenir satisfaction. Mais comme toujours, quand on ne peut combattre les idées, on combat les hommes ! Pouvoir joindre, parler, échanger ou s’opposer des arguments avec les personnes que l’on a rencontrées, et a fortiori appréciées, relève du simple bon sens, et même de la simple humanité.

L’amitié appelle l’amitié, la compréhension et la compassion également, loin de la complaisance ! Toujours « voter avec ses amis, comme un gentleman », cela me paraît un bon principe parce que les valeurs sont communes et partagées. Vus de cette manière, les réseaux, c’est-à-dire des relations organisées, structurées se révèlent utiles voire indispensables en toute circonstance, et plus encore en temps de crise. D’ailleurs, n’est-il pas plus facile de se marier dans une famille où la sienne est connue et appréciée ? Un ambassadeur gabonais qui avait épousé une Russe m’avait dit « vivre » avec la Russie ; c’était un avantage comparatif extraordinaire pour parler, discuter ou négocier ... avec la Russie ! La confiance naît de l’intimité et dans l’intimité de la réalité vraie et crue !

Y croyez-vous ? Et pour quels résultats ?

Charles M’Ba : Alors, oui, l’appartenance ou la connaissance de réseaux, de circuits utiles, est un avantage comparatif qui produit des résultats appréciables ! Oui le combat se mène aussi à ce niveau afin de lever des équivoques et des obstacles injustifiés, d’éliminer des préjugés parfois rédhibitoires, de clarifier des situations, d’améliorer la compréhension des acteurs externes, lointains par nature. Chacun peut contribuer ainsi, même très modestement, à faire prendre les meilleures positions favorables au peuple gabonais !

L’autre actualité c’est la formation du gouvernement issu du dialogue. Les amis d’Ali Bongo gardent la mainmise sur les pôles de décision de l’Etat. Il y a l’entrée au gouvernement de personnes estampillées de l’opposition modérée. Cette ouverture est-elle suffisante pour apaiser les tensions sociales que le pays connaît ?

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Charles M’Ba : D’abord, un dialogue sérieux nécessite deux camps bien distincts, ce n’est pas le cas de la mascarade à laquelle on a pu assister à Libreville. Nous ne sommes pas les seuls à le dire car c’est aussi l’opinion, parfois clairement exprimée, de la communauté internationale. D’ailleurs, à quel dialogue sérieux un petit groupe ultra minoritaire dans notre pays et qui s’est incrusté au pouvoir par la force des armes peut-il appeler ? A aucun, c’est la dictature ; et nous sommes plutôt dans le coup d’Etat permanent ! La poursuite du scénario ? C’est toujours la même chose : le partage des postes et le maintien d’un régime des apanages : on vous cède une part de territoire et quelques pouvoirs financiers et vous fermez les yeux et la bouche sur tout le reste. C’est cela le régime actuel !

Quant aux hommes, je me réjouis que certains de ces personnages aient quitté l’Union Nationale avant que je ne la rejoigne ; nous ne partageons visiblement pas les mêmes valeurs ! Les autres personnalités sont bien connues du peuple gabonais, ils sont attachés à leurs seuls intérêts personnels et ils sont guidés par un opportunisme qui détruit l’Essentiel. En trahissant systématiquement leur parole et leurs amis, ces hommes et ces femmes attentent à la Confiance nécessaire à la construction collective de notre pays. Nous avons besoin de nous faire confiance et eux, ils dévoient la Politique, la gestion de la cité ; ils discréditent le principe même de l’Engagement. J’aurais aimé pouvoir respecter le leur, mais sur quelle base ? « On ne change pas la marque de fabrique d’un homme » disait François Mitterrand ! Moi je préfère perdre une élection, une position, une situation matérielle, que de perdre mon âme !

Le pays se dote enfin, sept ans après, d’un vice-président de la République. Quel changement concret dans la gestion, dans l’exécution des charges de développement et même dans le choix des priorités cette nomination peut-elle créer ? En d’autres termes, à quoi sert exactement un vice-président de la République ? Cette question s’adresse à l’ancien ministre qui a une expérience pour avoir été dans un gouvernement en même temps qu’un vice-président officiait ?

Charles M’Ba : L’article 14 de la constitution en vigueur dans notre pays est clair à cet égard : la fonction est limitée à de la représentation, sans pouvoir consultatif ni a fortiori de décision. Plus simplement et comme l’indique le serment qu’il prête, le Vice-Président de la République est membre du cabinet du Président de la République qui dispose de lui. Sa contribution effective est donc directement fonction de deux choses.

D’une part son poids politique réel, et d’autre part son autorité personnelle, professionnelle, c’est-à-dire ses compétences techniques concernant notamment les dossiers sur lesquels il voudrait s’exprimer par exemple en Conseil des ministres. C’est vrai que nous sommes dans le pays de la mystification, et l’annonce de titres ronflants peut momentanément faire illusion ! J’ai eu l’opportunité de connaître M. Divoungui dans cette fonction et j’ai pu, dans l’action gouvernementale, bénéficier de son expérience pratique d’ingénieur et de grand commis de l’Etat !

Le débat est ouvert au sein de votre parti, l’Union Nationale, pour ou contre la participation aux législatives prochaines. Doit-on, peut-on faire un quelconque rapprochement avec la tournée que votre Secrétaire Exécutif effectue à l’intérieur du pays ?

Charles M’Ba : Comme vous le rappelez, je suis membre d’un parti politique, l’Union Nationale qui est aujourd’hui, me semble-t-il, avec ses élus nationaux et locaux, avec son implantation territoriale ancienne, le plus grand parti de la coalition pour la Nouvelle République. Je suis un homme discipliné et je défendrai la position que nous aurons collectivement et objectivement arrêtée.

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