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La révision constitutionnelle au Gabon : un recul démocratique et une nouvelle défiance aux Gabonais et à la Communauté internationale (cycle 3)

La révision constitutionnelle au Gabon : un recul démocratique et une nouvelle défiance aux Gabonais et à la Communauté internationale (cycle 3)
La révision constitutionnelle au Gabon : un recul démocratique et une nouvelle défiance aux Gabonais et à la Communauté internationale (cycle 3) © 2017 D.R./Info241

Le projet de révision de plus de la moitié des articles de la constitution gabonaise présenté et adopté lors du Conseil des Ministres du 28 septembre 2017 par le gouvernement d’Issoze-Ngondet, continue d’alimenter des réactions controversées. Cette énième tentative de violation de la loi fondamentale gabonaise est vertement dénoncée à travers cette tribune libre du président de l’ONG UNITÉ, Dr Séraphin Moundounga. L’ancien vice-Premier ministre, ministre de la Justice Garde des Sceaux démontre dans son analyse l’atteinte aux principes fondamentaux de l’Union africaine et de l’ONU : « La révision constitutionnelle, en cours au Gabon affecte à nouveau les objectifs et buts de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance (A) en violant, ainsi, le droit onusien qui interdit de vider de son objet et de son but, un traité dont on est signataire quoi qu’il ne soit pas en vigueur (B). »

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Lire aussi >>>Séraphin Moundounga : « Révision constitutionnelle, recul démocratique et nouveau défi au peuple et à la Communauté internationale »

Le monde entier le sait, et les rapports d’observation électorale l’attestent unanimement. Le Gabon est en situation de déstabilisation de l’ordre constitutionnel, depuis la nuit du 31 Août 2016.

Défiant une deuxième fois la communauté internationale et le peuple gabonais, le pouvoir sortant, de Libreville, au Gabon, vient de lancer une révision constitutionnelle par un Parlement dont la représentation nationale, l’Assemblée Nationale, est en période intérimaire, suite au report des législatives qui auraient eu lieu depuis un an, en décembre 2016.

Les dispositions soumises à révision, anticipent la débâcle électorale du pouvoir sortant aux législatives, pour dépouiller le Gouvernement et le Parlement des prérogatives garantes d’une démocratie effective, au profit d’un Président de la République davantage rendu tyran, notamment en matière de définition de la politique de la Nation et de désignation des principaux acteurs du concert interinstitutionnel du Gabon. Cette révision ignore toutes les demandes de l’Union européenne dans le cadre de la procédure du dialogue politique intensifié, visant donner suite au rapport de la Mission d’observation électorale de l’UE. Elle porte atteinte à la Charte africaine de la démocratie, viole la Convention de l’ONU sur le droit des traités et viole la conditionnalité politique de l’Accord de Cotonou ACP-UE.

La révision constitutionnelle, en cours au Gabon, si elle n’est pas interrompue, est un grave recul démocratique (I) s’ajoutant à la déstabilisation de l’ordre constitutionnel d’août 2016 et en pleine crise de vérité électorale du dialogue politique intensifié et de procès en impartialité de l’observation internationale d’élections, enclenché par le pouvoir sortant, un nouveau défi lancé au peuple gabonais et à la communauté internationale.

Dans une grille d’analyse présentée en 4 cycles de lecture, le Dr Séraphin Moundounga, ancien Vice-Premier Ministre, Garde des sceaux et Président de l’ONG UNITÉ, démontre que la révision constitutionnelle envisagée au Gabon est :
- un recul démocratique et de l’Etat de droit, sectirisant la République ;
- une atteinte à la Charte africaine de la démocratie ;
- une violation du droit international ;
- une violation de la conditionnalité politique de Cotonou en plein dialogue politique avec l’UE ;
- un nouveau défi aux citoyens gabonais en passe de devenir des sujets du roi.

Cycle 3 : La révision constitutionnelle Gabon est une atteinte au droit de l’UA et au droit de l’ONU

La révision constitutionnelle, en cours au Gabon, affecte à nouveau les objectifs et buts de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance (A) en violant, ainsi, le droit onusien qui interdit de vider de son objet et de son but, un traité dont on est signataire quoiqu’il ne soit pas en vigueur (B).

A – Une révision constitutionnelle vidant, de son objet, la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance.

Le 30 Janvier 2007, à Addis-Abeba, en Ethiopie, les chefs d’Etat et de Gouvernement africains ont, dans le cadre de l’Union africaine (UA ) doté le continent, d’une Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance. Avec cette charte, la question des élections politiques, en Afrique, longtemps demeurée confinée dans le huis-clos des souverainetés nationales, se veut être, désormais, internationalisée au nom de la paix, de la sécurité et de la stabilité.

En instituant l’observation électorale panafricaine, dans le cadre de l’adhésion de l’UA à la Déclaration de principes pour l’observation internationale d’élections, la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, promeut des processus électoraux crédibles, au détriment des changements anti-démocratiques, qui en sont interdits (1) et engage les Etats à opérer des reformes constitutionnelles, législatives et réglementaires profondes, pour plus de démocratie et plus d’Etat de droit, aux fins de la paix et de la stabilité (2).

1 - Une Charte africaine de la démocratie engageant à une observation électorale panafricaine et interdisant des changements anti-démocratiques.

La charte africaine de la démocratie institue l’observation électorale panafricaine pour des élections apaisées et crédibles (a) tout en interdisant et en sanctionnant les alternatives anticonstitutionnelles (b).

a -) Une observation électorale panafricaine pour des élections apaisées et crédibles.

Tout en rappelant, à l’article 17, l’attachement des parties aux engagements pris au titre de la Déclaration de l’UA sur les Principes démocratiques1, les parties s’obligent à organiser des élections dans le respect des principes démocratiques que sont notamment : - leur caractère régulier, sans prorogations intempestives des mandats électifs sous des prétextes multiformes ou des causes suscitées, et sans des révisons constitutionnelles opportunistes ; - leur transparence et leur caractère libre ; - leur caractère juste.

Pour y parvenir, les Etats parties ont la faculté de solliciter, en amont, la Commission de l’UA, pour obtenir une assistance technique de la part de son unité d’appui. Cette assistance peut être financière, venant du Fonds institué à cet effet, tel que stipulé à l’article 18.

Si les règles d’indépendance, d’objectivité, d’impartialité et de transparence édictées par l’article 21, sont conformes à la Déclaration de principes d’observation internationale d’élections2 et identiques à celles d’observateurs européens, 3 il est nécessaire de préciser à l’article 19 que tout Etat partie doit : - Informer la Commission de l’UA, des élections futures ; - l’inviter à lui envoyer une mission d’observation électorale.

Mais ces avancées, sont atténuées par l’aboutissement de l’observation électorale panafricaine. En effet, à l’alinéa 3 de l’article 21, et contrairement à l’observation électorale européenne , qui destine son rapport à l’Etat, de façon solennelle, et aux acteurs ayant pris part au processus électoral , le rapport d’observation électorale panafricaine n’est destiné qu’à l’Etat et à la Commission de l’UA alors même qu’un rapport final, ouvert au grand public, est un gage de légitimation des résultats et de confiance du peuple dans les élections ainsi que de prévention d’alternatives anticonstitutionnelles interdites par la Charte.

Lire aussi >>>Révision constitutionnelle : Un recul démocratique défiant à nouveau le peuple gabonais et la Communauté internationale (cycle 2)

b -) Des alternatives anticonstitutionnelles interdites et sanctionnées par la Charte

Pour prévenir la pratique, chronique et endémique, des changements anticonstitutionnels de Gouvernement démocratiquement élu, qui ont jonché toute l’histoire ancienne et récente de la vie et de la survie politique en Afrique, et qui est constitutive d’une grave négation de la souveraineté des peuples, la Charte consacre un chapitre entier, le chapitre VIII, à cette question, en les définissant et en convenant des sanctions applicables en cas de leur survivance. Aussi, l’article 23 cite-il, de façon indicative :

- les coups d’Etat ;
- les dissidences, ou rebellions armées ;
- les actions des mercenaires ;
- le maintien au pouvoir par la force et/ou contre la volonté électorale du peuple, au détriment du vainqueur, à l’instar de ce qu’a tenté faire, en début 2017, l’ancien Président gambien, YAYA Djamé ; comme à l’image de ce que fait le Président sortant, Ali Bongo, au Gabon, depuis le 31 Août 2016, suite à l’élection présidentielle du 27 Août de la même année ;
- toute manipulation de la Constitution ou d’autres instruments juridiques électoraux, si celle-ci est de nature à compromettre les principes de l’alternance démocratique.

Si un acte ci-dessus se produit et est constaté par le Conseil de Paix et de sécurité de l’UA, le CPS, 4 des mesures appropriées doivent être prises contre les auteurs et contre l’Etat concerné et/ou contre tout Etat impliqué. Contre l’Etat concerné, celui-ci est suspendu par le C.P.S., lorsque toutes les initiatives diplomatiques ne sont pas parvenues à rétablir l’ordre constitutionnel.

Mais en dépit de cette suspension, l’Etat concerné reste engagé au regard des obligations prises au sein de l’UA, notamment en matière des Droits de l’Homme.
De même, l’UA continuera à initier toute mesure nécessaire au retour à l’ordre constitutionnel dans le pays.

Si un autre Etat est impliqué dans une telle déstabilisation d’un Gouvernement démocratiquement élu, c’est la Conférence des chefs d’Etat et de Gouvernement qui a compétence pour décider des mesures appropriées contre ledit Etat.

Quant aux auteurs de la déstabilisation d’un gouvernement démocratiquement élu, ils encourent des poursuites judiciaires par toute juridiction compétente et, s’il y a lieu, ils doivent être extradés, tel quel prévu à l’avant dernier alinéa de l’article 25 ; le dernier alinéa étant consacré à la nécessité de conclure des accords bilatéraux en matière d’extradition et d’entraide judiciaire.

En plus des sanctions judicaires, les auteurs de déstabilisation d’un Gouvernement démocratiquement élu, doivent se voir appliquer des sanctions politiques en la forme de 2 interdictions visées à l’alinéa 4 de l’article 25, à savoir :

- interdiction de candidature aux élections de rétablissement de l’ordre constitutionnel ; - interdiction d’être promus « à des postes de responsabilité dans les institutions politiques de leur Etat » même si la Charte ne précise pas, dans sa lettre, si une telle interdiction, géographiquement limitée au territoire de l’Etat concerné, serait illimitée dans le temps.

Mais, comme la Charte ne protège que les Gouvernements issus d’un processus véritablement démocratique, il faut des réformes nationales, accompagnées et contrôlées par l’UA, et garantes de la démocratie et de l’Etat de droit.

2 – Une Charte africaine engageant à des reformes nationales accompagnées et contrôlées, pour plus de démocratie et d’Etat de droit.

Les Etats parties à la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, se sont engagés à mener des reformes institutionnelles, en profondeur, de nature à promouvoir et/ou garantir les valeurs démocratiques (Démocratie, Etat de droit et droits de l’Homme) (a) en se plaçant volontairement sous le suivi/évaluation et le contrôle de l’UA(b).

a -) La Charte engage à des reformes de promotion et de protection des valeurs démocratiques.

Après avoir, à l’alinéa premier de l’article 2, précisé que l’objectif de la Charte est d’amener, chaque Etat, à adhérer « aux valeurs et principes universels de la démocratie et le respect des Droits de l’Homme », les parties s’engagent, à l’article 3, à la mise en œuvre de la Charte conformément à des principes convenus en 11 points.

Parmi ces principes, il y a celui d’accéder au pouvoir et d’exercer ledit pouvoir en conformité, à la fois, avec la Constitution de Etat, et avec le principe de l’Etat de droit. Il est ajouté qu’il doit y avoir la séparation des pouvoirs ainsi qu’un Gouvernement représentatif. Un Gouvernement représentatif signifie que ce dernier doit tirer sa légitimité de l’expression du peuple souverain.

Autre principe, il doit être promu un équilibre hommes-femmes dans les institutions publiques comme dans le secteur privé ainsi qu’une participation citoyenne, à tous les niveaux, qu’il s’agisse des élections, du développement et de toute affaire publique. Toute affaire publique doit faire l’objet d’une gestion transparente et juste, en faisant cesser l’impunité, grâce à un système de reddition des comptes juste et appliqué de façon équitable.

Le rôle des partis politiques doit être renforcé tout en conférant un statut aux partis politiques de l’opposition. Pour atteindre ces objectifs, le suffrage universel est érigé en droit inaliénable à l’article 4.

De même, les libertés et droits fondamentaux de l’Homme sont admis à l’article 6, qu’ils sont universels, interdépendants et indivisibles ; rejoignant ainsi toutes les conventions internationales en la matière, et les objectifs poursuivis par l’Union européenne, à travers le monde.

Pour éliminer toute forme de discrimination notamment à l’égard des femmes et des minorités, ainsi qu’en raison des questions d’opinion politique ou d’appartenance religieuse, l’article 8 engage à des reformes législatives et administratives pertinentes, à faire dans chaque Etat.

Par ailleurs, les États sont tenus de mettre en place et de conduire des programmes sociaux et économiques, à visage humain, à l’article 9 ainsi qu’à élaborer et mettre en œuvre des cadres législatifs, réglementaires et politiques de promotion de la culture démocratique et de la paix, dans les stipulations du Chapitre V.

Après avoir rappelé la primauté nationale de la Constitution de chaque Etat et dont toute modification doit émaner et résulter d’un indispensable consensus national, tel que prévu à l’article 10, les parties ont consacré un chapitre entier, le chapitre VI, à des reformes à faire, particulièrement engageantes , notamment :

- l’obligation de renforcer et d’institutionnaliser la règle classique, de contrôle, par le pouvoir civil, du pouvoir militaire ; contrôle perçu comme gage de la démocratie et de la stabilité de l’ordre constitutionnel ;
- l’obligation de mettre en place, dans chaque Etat partie, des institutions publiques chargées de promouvoir la démocratie et l’ordre constitutionnel ; des institutions dont l’indépendance ou, du moins, l’autonomie, en ressources, en actions et en décisions, doit expressément faire l’objet des dispositions constitutionnelles ; avec obligation, pour des telles institutions, de rendre compte à des organes nationaux dont la compétence doit être établie.

Les stipulations du chapitre IX engagent les parties à reformer leur système juridique et judiciaire, renforcer les Parlements nationaux et les partis politiques ainsi qu’à nouer des partenariats avec la société civile. L’article 44 engage les partis à mettre en conformité, avec la Charte, leurs lois et règlements, aux fins de l’efficacité de la mise en œuvre d’un tel agenda.

Dans cette perspective , les parties se sont engagées à coopérer pour échanger leurs expériences, tout en confiant à l’UA, la mission de coordination et d’assistance technique ainsi que des prérogatives de suivi, de contrôle et d’évaluation des reformes engagées et mises en œuvre par chaque Etat partie ; une externalisation des missions régaliennes jusque-là régies par le huis clos des souverainetés étatiques avec leur règle de non-ingérence, désormais, appelée, en Afrique, à coexister avec celle de non-indifférence.


b –) Des reformes nationales placées, par la Charte, sous l’accompagnement et le contrôle de l’UA.

Après avoir pris, à l’article 7, l’engagement de renforcer, notamment en ressources, les organes de l’UA, commis à la promotion et à la protection des Droits de l’Homme, les parties ont convenu d’attribuer à la Commission de l’UA, des prérogatives de coordination et de supervision, quant à la réalisation et à la mise en œuvre des réformes, assorties d’une évaluation des progrès accomplis, par chaque Etat, tous les deux ans, tel que stipulé au chapitre X.

A ce titre, la Commission de L’UA détermine les critères de mise en œuvre des reformes, et œuvre à une harmonisation des politiques et lois nationales. Pour mener à bien sa mission, la Commission de l’UA doit définir un cadre de coopération avec chacune des organisations économiques régionales ou communautés économiques régionales (CER), pour que ces dernières œuvrent en faveur de la ratification ou de l’adhésion de leurs Etats membres, à la Charte.

À cet effet, les CER doivent se doter des points focaux chargés, régionalement, de coordonner, suivre et évaluer les reformes tout en s’assurant que celles-ci sont menées de façon largement participative avec, en particulier, une implication, effective et significative, de la société civile.

Cette activité de coordination régionale, permet de remonter à la Commission de l’UA, toutes les données et informations nécessaires à sa mission de coordination panafricaine, tout en coordonnant l’évaluation continentale des reformes étatiques, par les autres organes de l’UA comme le Parlement panafricain (PAP), le CPS, la Commission africaine des droits de l’Homme (CADH), la Cour africaine de justice et des droits de l’Homme (CAJDH) et le conseil économique, social et culturel (CESC).
Cette coordination de l’évaluation doit s’étendre aux évaluations faites par les CER ainsi que celles des évaluateurs nationaux.

Au-dessus de l’ensemble du dispositif, la Conférence des chefs d’Etat et de Gouvernement, conjointement avec le C.P.S., assure, une veille permanente, pour constater toute violation de la Charte et prendre, s’il y’a eu lieu, des mesures appropriées, tel que stipule, au chapitre XI, l’article 46.

Comme on peut le constater, il s’agit d’une Charte dont l’ambition est presque révolutionnaire, si l’Afrique se donne les moyens de son application et si la société civile africaine pousse chaque État à y adhérer et à la respecter.

Cela mettrait un terme à une Afrique regardée comme incapable de reformes courageuses en matière des valeurs universelles plaçant l’humain, et le peuple, au centre de tout processus.

Mais au Gabon, les autorités sortantes , après avoir signé cette Charte en 2010, s’acharnent, à la détricoter, chaque jour, depuis le 31 août 2016, notamment en refusant aux observateurs panafricains l’accès aux phases cruciales de centralisation pour la compilation et la consolidation des résultats de la présidentielle du 27 août 2016.

Dernier acte gabonais, d’égarement ou de recul démocratique, c’est la révision constitutionnelle en cours dont les principaux nouveaux articles vont en l’encontre de buts et objectifs de la Charte et, ainsi violent le droit international relatif au droit des traités.

B – Une atteinte aux buts et objectifs de la Charte africaine en violation du droit international des traités.

En faisant une révision constitutionnelle au Gabon, qui affecte les buts et objectifs d’une Charte africaine de la démocratie et des élections ambitionnant une démocratisation accrue du continent et une meilleure garantie de l’Etat de droit et des Droits de l’Homme, les autorités sortantes gabonaises violent le droit international des traités qui interdit de tels comportements en instituant une obligation d’abstention (1) confirmée et précisée par la jurisprudence européenne (2)

1 - Une obligation d’abstention opposable à tout signataire d’un traité.

Lorsqu’un accord international est conclu, ses stipulations précisent les modalités et conditions de sa signature, de sa ratification et/ou d’adhésion ainsi que d’entrée en vigueur. L’entrée en vigueur commence quelques semaines, généralement un mois, après le dépôt du dernier instrument ou acte qui permet d’atteindre le nombre des ratifications et/ou d’adhésions, requises par les stipulations de l’accord conclu.

Lorsque cette condition est remplie, l’accord international entre en vigueur. Cela signifie qu’il doit être respecté par les parties qui en sont alors liées et tenues de l’appliquer de bonne foi, conformément à la règle « pacta sunt servanda », posée par l’article 26 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, entre États.5

Cette Convention de Vienne est, elle-même, entrée en vigueur le 27 janvier 1980, soit quasiment 10 ans après sa conclusion, car il fallait atteindre le minimum d’instruments de ratification ou d’adhésion indispensables, conforment à son article 84. 6

Mais quid de ses effets dans cette longue période de 10 ans, avant l’entrée en vigueur ?

Pour y répondre, il faut d’abord préciser que certains traités passent plus de 10 ans avant d’atteindre le nombre d’instruments indispensables à son entrée en vigueur. C’est notamment le cas de la Convention de Vienne sur le droit des traités entre Etats et organisations internationales ou entre organisations internationales entre elles, qui, conclue depuis le 21 mars 1986, n’est pas encore entrée en vigueur, plus de 20 ans après, faute d’atteindre les 35 instruments de ratification ou d’adhésion des Etats, exigés en son article 85 paragraphe 1. 7

Pendant toute cette période ou la règle de l’article 26, pacta sunt servanda (supra), ne s’applique pas, les Etats qui sont signataires d’un traité, mais qui ne l’ont pas encore ratifié, peuvent croire qu’ils sont autorisés à ignorer un tel traité dans leur comportement, en posant des actes contraires au but et à l’objet du traité signé.

Un tel comportement est interdit par la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités entre Etats, en son article 18- a, en ces termes : « un Etat doit s’abstenir d’actes qui priveraient un traité de son objet et de son but : Lorsqu’il a signé le traité ou échangé les instruments constituant le traité sous réserve de ratification, d’acceptation ou d’approbation, tant qu’il n’a pas manifesté son intention de ne pas devenir partie au traité ». 8

C’est dans cette situation que se trouve le Gabon, par rapport à la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance, dont il est signataire, depuis le depuis le 02 février 2010,9 mais Charte qui n’est pas entrée en vigueur et que le Gabon n’a pas encore, par ailleurs, ratifiée.

En signant la Charte africaine de la démocratie mais sans la ratifier et avant qu’elle n’entre en vigueur, le Gabon, s’est interdit, par cette signature, tout comportement de nature à opérer un recul démocratique et à porter atteinte à l’Etat de droit comme il le fait, notamment avec la révision constitutionnelle en cours, en rentrant ainsi, en conflit avec l’Union africaine, tenue de promouvoir et de sauvegarder cette Charte quoique l’UA soit déjà défiée par les autorités sortantes gabonaises qui tentent, depuis le 31 août 2016, de se maintenir de force au pouvoir, vidant ainsi, la Charte d’un de ces buts, l’interdiction d’alternatives, non -démocratiques, pour accéder ou se maintenir au pouvoir (supra).

C’est dans le cadre de la promotion de cette interdiction de l’article 18 de la Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités entre Etats, que l’ordre juridique européen fait l’objet d’une jurisprudence précise, à la suite de la violation d’un traité qui n’était pas encore entré en vigueur mais déjà approuvé par l’auteur de la violation.

2 – Une Jurisprudence européenne consolidant l’interdiction de vider un traité de son objet.

Dans une affaire dite T-115/94 Opel Austria, la société Opel Austria GmbH, anciennement appelée Général Motors Austria GmbH, société de droit autrichien et filiale de l’Americain General Motors, a esté contre le Conseil CE, devant la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), pour demander l’annulation du Règlement CE du 20 décembre 1993. 10

Ce règlement retirait les concessions tarifaires convenues dans l’accord de libre échange entre la Communauté européenne et ses Etats membres d’une part et, d’autre part, l’Autriche, la Finlande, l’Islande, le Liechtenstein, la Norvège, et la Suède. 11

Le règlement européen, instituant un droit de douane de 4,9% à l’entrée des boîtes de vitesse F15, pour véhicules, sur le territoire des Etats CE, est adopté le 20 décembre 1993, avant l’entrée en vigueur de l’accord sur l’Espace économique européen(EEE), le 1er janvier 1994. 12

Or, le 13 décembre 1993, soit une semaine avant l’adoption du Règlement querellé, le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne, venaient d’approuver l’accord EEE. 13

Aussi, quoique l’accord EEE soit entré en vigueur seulement le 1er janvier 1994, le Règlement protectionniste CE, pris dans l’intervalle de l’approbation par le Conseil et la Commission, et de l’entrée en vigueur de cet accord EEE, a été condamné et annulé par la Cour de Justice de l’Union européenne(CJUE).

Ainsi, dans son arrêt CJUE du 22 janvier 1997, la 4e Chambre du Tribunal de première instance , a annulé ce Règlement querellé pour violation du principe de sécurité juridique, du principe de protection de la confiance légitime et son corollaire, la bonne foi, 14 en jugeant que : « la signature du traité fait naître dans le Chef de ses bénéficiaires une anticipation légitime de respect du traité par l’Etat signataire avant que le traité ne lie formellement cet Etat ». 15

Dans cet arrêt, la CJUE rappelle les stipulations de l’article 18-a de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 (supra) avant d’énoncer l’article 18-b qui s’applique au cas d’espèce, de l’accord EEE qui était au stade avancé de l’approbation, celle-ci étant de même valeur que l’acceptation, la ratification ou l’adhésion, conformément au sens donné par l’article 2 paragraphe 1-b de la Convention sur le droit des traités. 16

Aussi, l’arrêt rappelle- t’il l’article 18-b suivant : « Un Etat doit s’abstenir d’actes qui priveraient un traité de son objet et de son but : Lorsqu’il a exprimé son consentement à être lié par le traité, dans la période qui précède l’entrée en vigueur du traité et à condition que celle-ci ne soit pas indument retardée ». 17

Mais la révision constitutionnelle en cours au Gabon porte atteinte non seulement au droit de l’Union africaine et au droit des Nations unies, mais aussi défie, à nouveau, l’Union européenne, en plein dialogue politique intensifié, pour probablement précipiter les consultations et, même, directement, les sanctions ciblées ; le peuple gabonais, de Libreville comme l’intérieur du pays et de la diaspora, étant poussé à bout par un tyran qui, faute d’être à la fois aimé et craint, a, depuis le 31 août 2016, choisi, exclusivement être craint , sur conseils, pourtant antiques, du Cardinal Mazarin, qui, au 17ème siècle , précise le machiavélisme de 1531 en ces termes : « A défaut d’être craint et d’être aimé, il vaut mieux être craint sans être aimé, que d’être aimé sans être craint » ; une attitude propre à tout Tyran comme à tout aspirant Tyran , tel que le démontre le cycle à venir, le cycle 4.


Fait ce 06 décembre 2017
Le Dr Séraphin Moundounga
Président de l’ONG UNITÉ

_______________
1 Déclaration de l’UA sur les Principes démocratiques du 8 Juillet 2002
2 Déclaration de principes d’observation d’élections adoptée sous bannière de l’ONU en 2005.
3 L’observation internationale européenne, est régie par un manuel de l’UE.
4 Le CPS est l’organe politico-militaire de l’UA chargé de jouer le rôle de gendarme et de gardien militaire de l’Architecture africaine de paix et de sécurité, ainsi que de l’Architecture africaine de gouvernance ; le rôle de gardien juridique de ces deux Architectures étant assuré par la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples et par la Cour Africaine de Justice et des Droits de l’Homme.
5 Article 26 Convention de Vienne sur le droit des traités treaties.un.org consulté le 02/12/2017
6 Article 84 ibid
7 Article 85 Convention de Vienne sur le droit des traités entre Etats et organisations internationales et entre elles. legal.un.org consulté le 02/12/2017
8 Article 18 paragraphe a, Convention de Vienne de 1969 sur le droit des traités entre Etats, supra.
9 Tableau de ratification Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance. Achpr.org consulté le 02/12/2017
10 CJUE, n° T-115/94, Arrêt du Tribunal, Opel Austria GmbH contre Conseil de l’Union européenne.
22 Janvier 1997 doctrine.fr consulté le 03/12/2007
11 Ibid
12 Ibid
13 Ibid
14 Article 18 Convention de Vienne commentée, textesdipannotes.files.wordpress.com consulté le 03/12/2017
15 Ibid
16 Ibid
17 Article 18-b Convention de Vienne commentée, ibid

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