Monarchie républicaine

Ali Bongo et les dérives monarchiques au Gabon : brèves considérations historiques

Ali Bongo et les dérives monarchiques au Gabon : brèves considérations historiques
Ali Bongo et les dérives monarchiques au Gabon : brèves considérations historiques © 2017 D.R./Info241

La révision annoncée de plus de la moitié des articles de la constitution gabonaise continue d’alimenter les débats. Dans cette analyse, l’essayiste Gabonais Marc Mvé Bekale, maître de conférences à l’université de Reims (France) se propose de dresser sur le battant historique, la genèse des ambitions monarchiques qui ont toujours habité les différents présidents que le Gabon ait connu depuis son indépendance. Lecture.

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Le projet de révision de la constitution gabonaise, présenté lors du Conseil des Ministres du 28 septembre, n’a cessé de défrayer la chronique ces derniers temps. Membres de l’opposition et de la société civile se sont répandus en protestation sur les médias francophones, les réseaux sociaux et la presse en ligne, accusant Ali Bongo de chercher à instaurer un régime monarchique au Gabon.

Sans doute les adversaires d’Ali Bongo ont-ils en mémoire le voyage effectué par ce dernier à Paris en 1986, lorsque son père l’avait envoyé porter à Jacques Chirac, alors premier ministre en cohabitation avec le président socialiste François Mitterrand, « un message d’une haute importance », dans lequel Omar Bongo proposait la mise en place d’une monarchie héréditaire au Gabon – voir le tome 2 de Foccart parle (1995).

Zacharie Myboto, figure symbolique de la vieille caste politique gabonaise, a été le premier à s’offusquer de ce projet de révision constitutionnelle. Pour avoir été au cœur du système Bongo, l’homme maîtrise l’ingénierie institutionnelle gabonaise, conçue non pas dans le cadre d’une concertation générale comme ce fut le cas le 4 novembre 1960 lors de l’adoption de la première constitution postindépendance du pays, qui consacra le régime parlementaire, certes éphémère, au détriment du régime présidentiel auquel aspirait Léon Mba.

A l’instar de la langue française ou du FCFA, aujourd’hui objet de contestation légitime, la constitution gabonaise reste, dans son essence, un vestige colonial. Il a longtemps été un calque des institutions de la 5ème République française qui avait fait du Général de Gaulle le premier « monarque républicain » de l’histoire de France. En ce sens, le projet d’Ali Bongo, critiquable en soi, ne fait que suivre une ligne politique tracée par Léon Mba, amplifiée à une échelle hyperbolique par Omar Bongo, et enracinée dans le modèle d’Etat bonapartiste lequel devait se vêtir des oripeaux républicains sous de Gaulle.

En France, les pouvoirs du monarque républicain sont soumis à un contrôle relatif grâce aux contre-pouvoirs démocratiques qui en limitent les dérives. Dans les pays non-démocratiques, un tel modèle institutionnel aboutit incontestablement à la dictature et au népotisme. Telle est la problématique centrale de notre livre Gabon : la postcolonie en débat (2003).

Ali Bongo n’a donc pas inventé la monarchie républicaine. Certes il convient de dénoncer les coups d’état électoraux de 2009 et 2016, ainsi que nous le faisons dans nos différents écrits, la dérive monarchique reste une constante de la vie politique gabonaise. Un peu d’histoire pour mieux le comprendre.

Au lendemain de l’indépendance, une première constitution consacra le système parlementaire que Léon Mba, Premier ministre-chef de l’état par intérim, parviendra à démanteler au bout de trois mois par des manœuvres quasi-dictatoriales. Suite à un remaniement ministériel à la hussarde, nombre de députés, dont Paul-Marie Gondjout, répondirent par une motion de censure. Léon Mba y trouva un prétexte pour proclamer « l’état d’alerte » sur le territoire de la commune de Libreville avant de mettre Gondjout et quelques-uns de ses partisans aux arrêts.

La seconde constitution vit le jour le 17 février 1961 et sera accompagnée de la formation d’un gouvernement d’union nationale, dont l’enjeu essentiel, pour Léon Mba, visait à la création d’un unique parti politique. Ce qui correspondait à la dissolution de tous les autres partis et l’intégration de leurs membres dans une même entité : le BDG. L’opposition ayant rejeté cette nouvelle manœuvre, ses représentants furent tout simplement exclus du gouvernement. Certains personnages éminents comme Jean-Hilaire Aubame et Paul-Marie Gondjout se virent octroyés des postes sans envergure politique – respectivement président de la Cour suprême et président du Conseil économique et social.

Evoquant le régime de Léon Mba, un constitutionnaliste français fera l’observation suivante : « C’est bien plus que la soumission, hier, des sujets de Louis XIV à l’égard du Roi soleil. Gouverner en Afrique, c’est forcément régner. » Le refus de voir s’imposer un « Roi soleil » au Gabon aboutit au coup d’état de 1964. On connaît la suite de l’histoire. Léon Mba fut remis en selle par l’armée française avant d’achever la décapitation de l’opposition avec la condamnation de Jean-Hilaire Aubame à dix ans d’exil. Resté seul sur la scène politique, le parti de Léon Mba, le BDG, sera désigné « Parti National ». Le multipartisme, indissociable de la démocratie, fut ainsi enterrée au Gabon par la seule volonté d’un homme d’instaurer un régime politique où, par la stratégie de concentration des pouvoirs, le président incarnait la figure du roi.

Dans le projet de révision constitutionnelle d’Ali Bongo, la disposition la plus contestée fait partie de l’article 8. Elle stipule « [qu’] En cas de changement de majorité à l’Assemblée Nationale, la politique de la Nation est déterminée par le Président de la République en concertation avec le Gouvernement. Le Président de la République est le détenteur suprême du pouvoir exécutif. »

Hurler aux loups sur la base de ce passage prête à sourire quand on sait, comme on vient de le voir, que le président a toujours déterminé la politique de la nation et reste le dépositaire suprême du pouvoir exécutif, prérogatives inhérentes à l’esprit même de la « monarchie républicaine ». Bien sûr, l’article sous-tend, en creux, que le président gardera tous ses pouvoirs et ne sera contraint, en aucune manière, d’en céder une partie à la majorité parlementaire. On comprend la manœuvre politique à courte vue car, anticipant un éventuel désaveu de ses partisans à la prochaine élection législative, Ali Bongo cherche à consolider, comme ses prédécesseurs, la prééminence de la fonction présidentielle. Il la réaménage afin de contourner, prévenir sinon neutraliser les écueils et aléas du régime actuel tout en créant les conditions des crises et tensions futures entre un éventuel gouvernement issu de l’opposition et le président.

Par-delà la personne d’Ali Bongo, le problème ici se rapporte davantage aux multiples anomalies et incongruités propres aux modèles politiques postcoloniaux, œuvres des « constitutionnalistes mercenaires » français, dont Charles Debbasch, ancien doyen de la faculté de droit de l’Université Aix-en-Provence, reste un archétype. Ces anomalies soulèvent des questions politiques de fond quand survient le changement de majorité au sein du système présidentiel : pareil changement indique-t-il le rejet absolu de la politique du président et de son parti ou existe-t-il d’autres courants ou lames de fond qui le sous-tendent ? Le mécontentement traduit-il un désaveu total de l’ensemble de la politique d’un gouvernement ? En France, la cohabitation est devenue quasi-impossible pour une raison simple : il serait absurde que le peuple élise un président pour lui refuser la majorité parlementaire quelque mois plus tard. La dernière cohabitation entre Jacques Chirac et Lionel Jospin (1997-2002) n’était pas indispensable. Elle fut le résultat d’une erreur politique commise par le premier.

Rattacher le pouvoir parlementaire au pouvoir exécutif relève d’une construction problématique au sein d’un régime présidentiel. Le parlement est composé essentiellement « d’élus de proximité ». Leur élection ne procède pas nécessairement de l’évaluation compétitive des projets politiques, qu’ils ne peuvent pas réaliser par ailleurs, mais elle repose davantage sur des affinités personnelles et des considérations éminemment subjectives. L’élection d’un député obéit à des enjeux différents de ceux qui portent le chef de l’exécutif au pouvoir. Celui-ci est au service de la Nation tout entière, transcende ainsi les clivages politiques (vision gaullienne), alors que le député travaille largement pour sa circonscription et pour un parti politique. De fait, la proximité des parlementaires avec leurs électeurs a longtemps créé en France des dynasties locales souvent soutenues par un système de corruption qui explique la longévité de certains mandats.

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Pour atténuer de possibles crises et tensions au sein du régime présidentiel, il conviendra de rejeter la forme de cohabitation paralysante à la française en faveur d’un gouvernement de coalition établi à partir d’un véritable contrat moral et politique fondé sur deux données essentielles : 1/ l’élaboration d’un programme de gouvernement négocié entre l’opposition et le président de la république à partir d’un examen minutieux des revendications de la population ; 2/ le dépassement du jeu politique partisan ou d’allégeance servile à son « excellence » pour la mise en place d’un gouvernement ayant pour principaux critères de recrutement l’expertise et les compétences des femmes et des hommes pouvant redresser le pays. C’est que la crise institutionnelle, provoquée par un changement de majorité parlementaire, reste avant tout un cri de détresse lancé par les populations face à l’incapacité des acteurs politiques à répondre à leurs attentes. C’est en cela que le système parlementaire de type britannique ou allemand présente des vertus. Le Premier ministre ou le chancelier assure la conduite de la politique pour laquelle son parti est élu. En cas de désaveu du peuple, point de bidonnage. Il fait place à un autre gouvernement.

Par Marc Mvé Bekale

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