L’avocate Maître Paulette Oyane Ondo, désormais engagée activement pour l’instauration d’une véritable démocratie au Gabon et en Afrique centrale, a exposé lundi à Libreville, sa vision sur les conditions institutionnelles de l’approfondissement de la transition vers une gouvernance démocratique en Afrique centrale. Son diagnostic posé sur le Gabon est édifiant à plus d’un titre.
Son analyse lucide sur la situation politique en Afrique centrale partant du Gabon, s’est faite à l’occasion de la série de dialogues politiques régionaux de 2015. L’ex parlementaire du parti au pouvoir, ex-ministre déléguée auprès du ministre du Commerce, en 2006, et auprès du ministre de l’Agriculture, en 2007, sous l’ère d’Omar Bongo, qu’elle a défendu en 2005, porte un regard serein et objectif sur les constitutions et le constitutionnalisme au Gabon.
Aux yeux de Paulette Oyane Ondo, « quand on parle d’institutions, on pense en premier lieu à la constitution. C’est la constitution qui fonde la République, d’elle découle toutes les institutions qui font marcher la République. Il faut donc d’abord savoir quel l’état de la constitution du Gabon. »
Normalement, précise l’avocate gabonaise dans son exposé, « une constitution devrait être une poussée d’origine nationale par laquelle un peuple s’efforce d’organiser le fonctionnement de ses organes dirigeants. C’est un moyen de limiter l’arbitraire des titulaires potentiels du pouvoir sur les citoyens en revendiquant la liberté politique en même temps que les libertés individuelles. Ainsi entendu, la constitution est le résultat en amont d’une évolution qui, logiquement suppose au début un pouvoir gouvernemental fort, voir oppressif auquel s’opposent les individus pour la conquête de leurs droits et libertés. »
Pour Maître Oyane, « la constitution évoque la contestation, parfois la révolution. Le pouvoir, en effet, à quelque niveau qu’il s’exprime est rarement généreux. Il n’est pas de réforme qui ne lui ait été arrachée de haute lutte. A la vérité, les gouvernants cèdent moins à la magnanimité qu’à la nécessité. L’Histoire le prouve, toute liberté acquise a été une liberté conquise. »
Toutefois, souligne-t-elle, « il convient de préciser que ceci ne s’applique qu’aux mouvements constitutionnels authentiques, c’est à dire ceux où les peuples ont lutté et dans lesquels chacune des forces en présence a joué, son rôle avec sincérité. Ainsi le désir d’améliorer l’organisation de l’Etat pousse à décrire dans les statuts constitutionnels, la nature et le caractère des pouvoirs publics, leurs limites, les conditions de leur fonctionnement, la participation des citoyens à la vie publique, ainsi que leurs droits ou leurs libertés ».
Nous vous livrons dans les lignes qui suivent, l’intégralité de sa riche contribution dans un débat politique gabonais où on gagnerait à se poser les véritables questions avant de se pencher sur la course effrénée du pouvoir présidentiel. Cette dernière caverne grandement tout le gotha politique gabonais. Fixé à la recherche de l’assouvissement des ambitions politiciennes personnelles. Au détriment de la quête profonde d’une solution idoine pour le rétablissement des fondements institutionnels et constitutionnels d’une gouvernance républicaine du Gabon.
La constitution dans ces conditions comporte d’une part le souci constant d’une rationalisation de l’exercice du pouvoir par le gouvernement et de la marche de l’Etat, et d’autre part les conditions d’un processus juridique qui se développe à l’évidence, pour une large part, sous le signe du Droit.
Il y a alors dans une constitution une grande foi juridique qui fait que quelles soient les péripéties de la lutte, les initiatives des citoyens ou les résistances des gouvernants, les détenteurs de l’autorité aient une obligation de soumettre l’Etat au Droit, qu’ils soient obligés de n’agir qu’en conformité des règles juridiques qui auront été définies par le peuple où ses représentants.
De là découle l’expression Etat de droit qui s’oppose notamment à celle d’Etat de police dans laquelle les gouvernants ne se soumettent à une réglementation. C’est le cas du Gabon. Force est de reconnaître que le Gabon est un pays où les citoyens n’ont jamais vraiment lutté pour leurs libertés ou pour la conquête de leurs droits individuels.
Cependant quand on lit la constitution de la république gabonaise, on n’y trouve des notions telles que l’intérêt national, l’affirmation que la souveraineté nationale appartient au peuple, l’importance du suffrage universel, l’Etat de droit etc. Mais, la pratique démontre que ces notions sont purement ornementales.
D’ailleurs, De Gaulle, avait déclaré au cours d’une conférence de presse le 31 janvier 1964 « qu’une constitution, c’est un esprit, des institutions, une pratique » Et, au demeurant, dans la pratique, il a effectivement réduit la constitution à sa propre personne. Il en est de même au Gabon où la constitution est une façade derrière laquelle un système politico-administratif, animé par un chef d’Etat qui s’appuyant sur le Parti, l’Administration, la police et l’armée, gouverne sans entraves. Les Institutions autres que celles de la Présidence de la République sont dénuées de tout pouvoir réel qui leur permettrait d’agir pour le compte de l’intérêt général.
L’impulsion et la décision viennent d’un seul homme : le chef de l’Exécutif. La conception de l’Etat et du pouvoir, l’orientation politique ne sont, par conséquent, pas mises en discussion devant l’ensemble des citoyens, afin qu’ils en débattent librement et égalitairement, pour qu’ils contribuent au débat républicain. Les représentants des citoyens que sont les parlementaires ne jouent pas non plus leur rôle.
Pourtant, la constitution de la république gabonaise reconnait au Parlement le pouvoir de contrôle sur l’Exécutif. L’article 36 de la Constitution proclame à cette fin que le Parlement vote la loi, consent l’impôt et contrôle l’action du Pouvoir Exécutif.
Dans la logique du constitutionnalisme, par le contrôle de l’action du Pouvoir Exécutif, la Constitution donne au Parlement la mission fondamentale d’établir, par le moyen d’un dialogue pour lequel les parlementaires sont des partenaires nécessaires de l’Exécutif, une coexistence réelle, concrète du Pouvoir et de la Liberté.Ce dialogue gouvernement-Parlement se transpose ainsi, dans le cadre du constitutionnalisme classique, en un dialogue gouvernement-opposition, et constitue alors un mécanisme de contrôle de l’action de l’Exécutif qui devrait normalement aboutir à placer les parlementaires en position de censeurs des gouvernants. Le Parlement est donc, dans la conception du constitutionnalisme classique, une Assemblée de censeurs.
Sa fonction primordiale, plus importante peut-être que celle du vote des lois, réside à travers les questions, les interpellations, la discussion du budget, d’obliger les gouvernants à se justifier publiquement, à soumettre à la critique publique les raisons de leur politique. Dans les faits, au Gabon ce dialogue n’existe pas. Le fait majoritaire, en se plaçant d’un point de vue partisan, assure la prépondérance de l’Exécutif dans les proportions telles que le Parlement assume le service du Président de la République en particulier et du gouvernement en général.
Et la circonstance que la majorité présidentielle fasse corps avec les autres institutions de l’Etat, non seulement neutralise le Parlement, mais aussi aboutit à un impérialisme qui entraîne trois conséquences : la dramatisation de la vie politique à l’occasion de chaque élection politique nationale, la négation de l’alternance démocratique, et le fonctionnement inique au quotidien des pouvoirs publics qui ne respectent absolument pas les règles du constitutionnalisme classique qui fondent les régimes démocratiques.
C’est toute la problématique du Droit (la norme idéalement fixée de ce qui doit être) et de la Loi (l’expression de la volonté du pouvoir oppresseur telle qu’elle s’impose au peuple). Ainsi, aux principes démocratiques (et donc de constitutionnalisme classique) de liberté, d’égalité, d’universalité et de majorité, correspondent dans le régime politique gabonais, les principes d’autorité, d’orthodoxie et d’exclusivité. Le principe d’autorité s’oppose à celui de la majorité en ce que le Pouvoir politique gabonais considère qu’il n’y a pas lieu de se préoccuper de l’opinion du plus grand nombre, sauf pour en surveiller et prévenir les éventuelles réactions.
Le principe d’orthodoxie s’oppose au principe d’égalité dans la mesure où au Gabon, la conception personnelle du chef de l’Exécutif devient un axiome politique. Seule sa doctrine est qualifiée pour inspirer l’activité gouvernante. Le principe d’exclusivité s’oppose au principe de liberté. C’est ce principe de liberté qui implique, dans les véritables régimes démocratiques où l’on applique le constitutionnalisme classique, l’expression sans contrariété ni limites des opinions sur les affaires politiques et sur le comportement des gouvernants. Une telle attitude n’est pas permise dans le régime politique du Gabon.
La doctrine choisie par les titulaires du Pouvoir doit être propagée par tous les moyens. Elle n’admet pas de salut en dehors d’elle. La logique du pouvoir gabonais restreint et parfois même élimine l’autonomie individuelle par l’accaparement des richesses nationales par l’oligarchie qui tient les rênes du Pouvoir, une technostructure administrative entièrement vouée au maintien du Pouvoir en place. Le régime politique gabonais est donc une combinaison de pouvoirs personnels et arbitraires au sommet et qui exigent le consentement, voire l’approbation et l’exaltation des masses.
Or, dans le préambule de la constitution de la République gabonaise figure la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen qui dispose en son article 16 que : « Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n’est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Nous venons de démontrer la situation des institutions au Gabon.
La question qui maintenant se pose est de savoir comment remédier à cette situation ? Il suffirait que le Gabon respecte les règles du constitutionalisme classique pour qu’il y ait l’éclosion d’un Etat de droit et l’instauration de la démocratie. L’épreuve du temps, nous a démontré que la démocratie et l’Etat de droit reposent essentiellement sur des équilibres variés, à savoir : les équilibres sociaux, les équilibres politiques et les équilibres institutionnels, le tout avec un corps social conscient de sa citoyenneté.
Les équilibres sociaux
Si l’on se réfère à Jean Jacques Rousseau, le corps social est composé de citoyens qui sont non seulement égaux en droits, mais participent avec la même constance et la même efficacité à la formation de la volonté générale. Cette définition n’est pas appliquée au Gabon. L’égalité des citoyens en droits n’est toujours pas réalisée après 55 ans d’indépendance. Au Gabon, l’Etat fonctionne sur la base ethno-politique, doctrine selon laquelle la place d’un individu dans la société dépend non pas de son mérite, mais de son origine ethnique.
Le plus grave dans cette pratique discriminatoire, n’est pas tant dans le fait de promouvoir des individus sur la seule circonstance de leur naissance, mais d’exclure un individu de la promotion sociale du seul fait de sa naissance. En ce qui concerne la participation des populations à la volonté générale, s’il est vrai que depuis les années 1990, les gabonais participent avec la même constance à la formation de la volonté générale.
Dans la mesure où les élections sont désormais organisées avec une périodicité régulière. Force est de constater, cependant que l’effectivité de cette participation laisse à désirer, les résultats desdites consultations sont systématiquement et fortement contestées, les élections sont communément réputées être tripatouillées.
Ce sentiment est fortement ancré dans l’intime conviction populaire. Par exemple l’élection présidentielle de 2009 au Gabon est encore contestée jusqu’à ce jour, soit 6 ans après les équilibres politiques. Le plus marquant des équilibres politiques propres au constitutionnalisme classique est celui de l’alternance au pouvoir de la majorité et de l’opposition. Il y’a très longtemps, Aristote notait que l’aspect le plus visible de la liberté politique consistait en ce que chaque citoyen était susceptible d’être tour à tour gouvernant et gouverné.
La réalité de l’alternance ou la possibilité d’alternance crée un équilibre politique nécessaire à la reconnaissance des populations dans les institutions et constitue donc un gage de démocratie Or, comme nous l’avons vu, la possibilité d’une alternance est inimaginable au Gabon.
Les équilibres institutionnels.Il s’agit des équilibres inhérents à l’aménagement des Institutions : l’équilibre entre le Pouvoir central et les pouvoirs locaux. Il faut songer, pour en comprendre la nécessité et la portée, que le Gabon a été fondé sur des structures de rassemblement portant à la fois sur les populations et des territoires. Ces populations avaient une vie codifiée. Les Pouvoirs politiques auraient dû en tenir compte et donner une expression politique et administrative à ces réalités.
Malheureusement ils ne l’ont pas fait, mais ont plutôt déstructuré ces sociétés traditionnelles. Pourtant, dans les Etats occidentaux qui sont considérés comme démocratiquement modernes, et dans certaines parties de l ‘Afrique qui est démocratique, la régionalisation est à l’ordre du jour à travers la décentralisation qui permet de gérer chaque région en tenant compte de sa spécificité. Tel n’est malheureusement pas le cas au Gabon.
Par exemple, les populations villageoises, compte tenu du taux élevé d’analphabétisme, ne parlent généralement pas le français. Or, toute l’Administration ne s’exprime qu’en français. Un villageois qui ne parle pas français ne se sentira jamais concerné par une Administration avec laquelle il ne peut pas communiquer.
L’équilibre au sein du Pouvoir central entre Gouvernement et Parlement.
Cet équilibre traduit parfaitement l’idée du Gouvernement du peuple par ses élus. Comme nous l’avons vu plus haut, le Chef de l’Exécutif est le seul centre décisionnel de l’Etat. Le Parlement ne peut pas exercer un contrôle stricto sensu sur l’Exécutif, d’autant plus qu’un véritable contrôle s’accompagne nécessairement de sanction. Or, le Parlementaire est dominé par l’Exécutif, d’autant que le gouvernement et la majorité qui l’appui au Parlement procèdent d’une même source : le Chef de l’Etat.
Les mécanismes constitutionnels de contrôle se trouvent donc en porte à faux dès l’instant où la discipline de la majorité et le loyalisme à l’égard du Distingué Camarade en tiennent lieu. Ainsi, malgré les dispositions constitutionnelles, le gouvernement est comptable de ses actes moins devant la Nation qu’à tout moment devant le chef de l’Etat qui peut le remanier à sa guise. Comme nous venons de le voir, on ne peut parler de démocratie et de l’Etat de droit que si le fonctionnement du Pouvoir politique respecte à travers les institutions un certain nombre d’équilibres.
Mais un Pouvoir ne peut être contraint de respecter ces équilibres que s’il a en face de lui des citoyens, c’est-à-dire des hommes et des femmes qui aient un minimum d’éducation politique, qui soient normalement informés et qui se sentent concernés par la chose publique.
Or, le gabonais a toujours été exclu de la gestion de la chose publique depuis la colonisation et est habitué à accepter la domination, à tel point que les traditions politiques héritées de l’ère coloniale, la réalité de l’indépendance du Gabon qui a été octroyée et non conquise, le tout ajouté à l’avidité des oligarchies installées aux leviers des commandes du Pouvoir politique, leur refus de céder la place et l’incapacité des gabonais qui ne savent pas défendre leurs libertés, donnent le résultat de la nature et du fonctionnement du pouvoir tel que nous le connaissons au Gabon et qui piétine allègrement les règles du constitutionalisme classique.
La 2ème question qu’il faut se poser est celle de savoir comment les Institutions telles que décrites ci-haut, et les solutions que je propose pour les améliorer peuvent-elles être mises en œuvre pour l’approfondissement de la Transition vers une Gouvernance Démocratique ? C’est là qu’intervient la transitologie. C’est elle qui permet de transformer un régime autoritaire en une démocratie.
Elle a aujourd’hui trois formes connues. La première hypothèse : les autorités politiques décident unilatéralement de la libération politique du pays. Le Gabon a aujourd’hui 55 ans et c’est un même régime qui le gouverne. Il n’y a aucune raison que ce régime décide par lui-même de changer sa nature et devenir démocratique. Cette hypothèse est donc à éliminer.
La deuxième hypothèse : la libération politique se fait par imposition. Ce qui signifie que le peuple descend dans la rue et boute hors du pouvoir le régime politique contesté. Mon observation de la vie politique au Gabon me fait douter de la faisabilité de cette hypothèse.
La troisième hypothèse : la libération politique du pays survient par le dialogue réduisant la politique à un processus rationnel de négociation. Cette hypothèse me paraît la plus adaptée au contexte gabonais, d’autant qu’elle ferait l’économie en perte de vies humaines. Mais elle n’est possible que si, comme l’avait dit Mandela : « le dialogue se fait de bonne foi ».
C’est ce dialogue fait de bonne foi qui ouvrirait alors la porte de la transition. Cependant, la transition, comme son nom l’indique, est une situation transitoire, c’est à dire provisoire. Il faut toujours avoir peur de l’Histoire, la peur de voir resurgir un passé fait de souffrances, d’humiliations et d’atteintes à la dignité. Il est donc impératif de consolider la transition.
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