L’invité de la rédaction

Vincent Hugeux : « Le Nyfa est une sorte de mutation génétique de la Françafrique »

Vincent Hugeux : « Le Nyfa est une sorte de mutation génétique de la Françafrique »
Vincent Hugeux : « Le Nyfa est une sorte de mutation génétique de la Françafrique » © 2015 D.R./Info241

L’invité de la rédaction d’Info241 est cette semaine Vincent Hugeux, journaliste à l’Express, enseignant à Sciences Po, spécialiste de l’Afrique et du Moyen Orient. Il est également l’auteur de plusieurs ouvrages dont Les Sorciers Blancs. Enquête sur les faux amis français de l’Afrique, paru chez Fayard en 2007 et de Reines d’Afrique, le roman vrai des Premières dames paru chez Perrin en 2014. Au menu de cet entretien, la politique africaine et son envers, le forum citoyen de Libération au Gabon et bien sûr la Françafrique...

Moov Africa


Il a eu en septembre 2015, un coup puis un contre-coup d’Etat au Burkina Faso. Quels commentaires en faites-vous ?

Vincent Hugeux : Vous savez l’impression dominante c’est que ce putsch mené par le Général Gilbert Diendéré est l’archétype de l’anachronisme en politique. Quand vous regardez la vidéo de la proclamation de ce coup d’Etat prononcé laborieusement et de manière assez grandiloquente par un officier en treillis, vous avez l’impression de rajeunir de 25 ou de 30 ans. C’est ce que j’ai appelé sur mon blog l’Afrique en face « de coup d’Etat vintage ».

Ce qui est mauvais au fond ce n’est pas nécessairement le texte constitutionnel lui-même puisque on sait très bien que dans la plupart des pays d’Afrique il y a de très bons juristes, d’excellents constitutionnalistes".

Pourquoi est-ce que je parle d’archaïsme ? Pour une raison très simple, c’est qu’il y a aujourd’hui un hiatus éclatant entre ce type de pratiques et les élans certes brouillons mais impérieux de sociétés civiles qui n’acceptent plus de se coucher devant ce type d’objurgations armées. Et il y a quelque chose au fond d’assez fascinant de mesurer à quel point des militaires que l’on disait épris d’honneur, de dignité, puissent imaginer qu’il est encore possible aujourd’hui, d’aller à l’encontre du vœux de la majorité d’une société civile pour imposer la préservation et la perpétuation de ses rentes de situations et de ses privilèges.

La bonne nouvelle au fond c’est que la vigilance citoyenne en l’occurrence des Ouagalais mais aussi des villes de provinces comme Bobo Dioulasso ou même la ville de Pô au sud. Cette vigilance a en quelque sorte tiré le tapis sous les rangers des militaires. Le hiatus que j’évoquais était absolument intenable et j’ajoute d’autres phénomènes qui ont contribué à l’échec plutôt rassérénant de cette aventure galonnée.

C’est qu’il a eu un désaveu quasiment unanime des pays voisins et des partenaires de l’ex-Haute Volta. Et ce pays étant enclavé, isolé, étroitement dépendant de l’aide internationale ne pouvait pas continuer cette aventure en autarcie. Donc j’espère sans d’ailleurs me bercer d’illusions que le dénouement rassurant de ce putsch servira de leçon à tous ceux qui aujourd’hui encore au sud Sahara pensent que l’on peut piétiner les Constitutions ou envoyer la soldatesque pour restaurer un pouvoir désavoué.

Plusieurs Constitutions ne permettent plus à certains chefs d’Etats Africains de se présenter au pouvoir pourtant ils l’ont fait (c’est le cas de Nkurunziza au Burundi) ou comptent le faire, sont-ce les Constitutions qui sont mauvaises ?

Vincent Hugeux : Vous avez raison de souligner ce phénomène qui relève non pas du sport national mais du sport continental. Dans plusieurs de mes ouvrages, je me suis amusé, ce qui est une distraction assez perverse d’ailleurs, à relever tous les cas de figures, les figures de style du viol de la Loi fondamentale. Alors les constitutions sont-elles mauvaises ?

La France pour que son dispositif anti-jihadiste Barkane soit efficace, opérationnel, a besoin du concours explicite et fidèle de plusieurs pays qui sont exposés dans les mois qui viennent à plusieurs expériences acrobatiques".

Elles ont pour la plupart, s’agissant notamment de l’ancien pré-carré francophone, été décalquées de la Constitution de la Vème République Française. Avec ce que cela peut avoir de robuste en terme de solidité théorique des institutions. Mais, ce que cela peut avoir aussi d’exotique au regard du fossé abyssal entre les normes constitutionnelles d’un pays comme la France et l’Histoire, la trajectoire politique sociale de pays fraîchement indépendants.

Donc, ce qui est mauvais au fond ce n’est pas nécessairement le texte constitutionnel lui-même puisque on sait très bien que dans la plupart des pays d’Afrique il y a de très bons juristes, d’excellents constitutionalistes. Ce qui est retors, c’est le mépris dans lequel beaucoup de chefs d’Etat en place tiennent cette Loi fondamentale dont ils pensent qu’elle est à géométrie variable en fonction de leur intérêt et qui sont obsédés par le mandat de plus dont l’histoire nous a montré qu’il était souvent le mandat de trop.

Donc ce qui est à mon sens problématique ce n’est pas tant les Constitutions qui pour la plupart affichent un terme aux mandats présidentiels soit dans leur durée soit dans leur nombre de mandat consécutif. Mais, c’est le fait que le prince en place contourne ces éléments soit en recourant au référendum. Soit en recourant à l’aval d’un parlement aux ordres, faire bon marché de la norme qu’il est censé avoir accepté pour se maintenir indéfiniment au pouvoir et là je crois que l’ont rejoint le thème de notre premier échange à savoir l’archaïsme en politique, cette sorte de manipulation permanente de bricolage constitutionnel apparaît de plus en plus aux yeux de sociétés dont l’exigence démocratique qui malgré tout se consolide d’années en années comme un anachronisme insupportable.

Tous les leaders occidentaux appellent à la démocratie en Afrique mais soutiennent des présidents au pouvoir depuis plus de 20 ans ainsi que des régimes monolithiques, n’est-ce pas paradoxal ?

Vincent Hugeux  : C’est plus que paradoxal, c’est au regard de l’Histoire intenable. Mais les ressorts du phénomène que vous relevez ont muté génétiquement. Longtemps s’agissant de l’empire colonial français, il s’est agi de préserver des rentes de situations des intérêts économiques. Et la sacro-sainte stabilité politique. N’oublions jamais que pour beaucoup de chefs d’Etats à l’orée des années 1960, la liberté, l’indépendance, c’est certes un élan mais c’est aussi un vertige. Car plus de l’un d’entre eux, je pense à l’Ivoirien Félix Houphouët Boigny, considèrent à l’instant T, que les structures politiques institutionnelles de leur pays tout neuf sont trop fragiles pour résister au vent de l’Histoire. Et donc, préconisent d’avantage une sorte de contrat d’association prolongée avec l’ex-puissance coloniale, donc ça c’était la phase 1.

Longtemps s’agissant de l’empire colonial français, il s’est agi de préserver des rentes de situations des intérêts économiques et la sacro-sainte stabilité politique".

Dans la phase 2, celle que l’on vit aujourd’hui on s’aperçoit qu’il y a effectivement un paradoxe éclatant entre le discours le crédo affiché par exemple par un François Hollande. François Hollande qui dirigeait hier le parti socialiste rue de Solferino, celui qui est aujourd’hui le locataire de l’Elysée qui très volontiers exalte la démocratie, la transparence, le pluralisme, la bonne gouvernance et le respect des constitutions que l’on vient d’évoquer ensemble.

Mais, on se heurte ici à la realpolitik, la France pour que son dispositif anti-jihadiste Barkane soit efficace, opérationnel, a besoin du concours explicite et fidèle de plusieurs pays qui sont exposés dans les mois qui viennent à plusieurs échéances électorales acrobatiques. Ce qui fait que l’on continue de professer le catéchisme évoqué à l’instant mais que de facto, on ferme les yeux sur les entorses démocratiques des uns et des autres. Je ne citerai que un ou deux exemples, le tchadien Idriss Déby Itno est certes à n’en pas douter un chef de guerre remarquable, son apport a été décisif. Et, il l’a d’ailleurs, s’agissant du Tchad, payé d’un lourd tribu au Mali puis en en république Centrafricaine même si là l’aventure a tourné court.

Et plus près de nous, dans la lutte contre le phénomène djihadiste Boko Haram au Nigéria, on ne peut pas dire très franchement que Déby soit un parangon de vertu démocratique quand on regarde le mode de fonctionnement du pouvoir à Ndjamena. La remarque vaut pour un Paul Biya au Cameroun. Elle vaut évidement pour un Ali Bongo Ondimba à Libreville. Elle vaut tout autant pour un Denis Sassou Nguesso au Congo Brazzaville comme pour un Joseph Kabila dans l’ex-Zaïre.

Quand vous interpellez les acteurs centraux de la politique africaine de la France, pourvu qu’il y en ait une d’ailleurs sur ce sujet, ils poussent des cris d’orfraie, lèvent les yeux au ciel et vous disent : « Mais comment osez-vous… », « Pas du tout, nous sommes fidèles à nos principes ». Moi, je leur dit toujours la même chose, nos actes parlent pour nous. Je vois la mansuétude avec laquelle sont traités les chefs d’Etats dont certes nous avons besoin du concours dans une stratégie sécuritaire essentielle. Pas seulement pour la France d’ailleurs, ni pour l’Afrique centrale, l’Afrique de l’Ouest mais pour l’ensemble du continent. Et je dirais pour la planète entière. Mais, ayez au moins l’honnêteté de le reconnaître. Là on est dans une forme, vous disiez de paradoxe, moi je dirais de schizophrénie.

Votre confrère "Libération" organise (du 9 au 10 Octobre 2015 - ndlr) un forum citoyen au Gabon avec de nombreuses personnalités politiques et administratives Françaises de haut rang dont Dominique de Villepin. Qu’en pensez-vous ?

Vincent Hugeux : J’ai une très haute idée de la liberté des journalistes. Donc je ne vais pas prétendre contester celle de confrères. De plus, Libération comme vous le savez peut-être, va rejoindre dans quelques semaines l’Express et les autres titres du groupe puisque nous appartenons les uns et les autres désormais au même actionnaire. Et, j’ai beaucoup d’amis à Libé. Mais très franchement si la question m’avait été posée, je n’aurais pas approuvé ce type d’initiative. Non pas que j’ai le moindre doute sur l’intransigeance des organisateurs de ce forum coté Libération, ils ont toujours eu d’excellents experts de la politique africaine qui ne sont pas plus dupes que vous et moi de la réalité du pouvoir et de son mode de fonctionnement à Libreville.

Le pouvoir en place fera tout ce qui est possible compte tenu de sa maîtrise d’une partie de médias pour récupérer le bénéfice qu’il espère tirer de ce type d’aventures".

Mais tout simplement, c’est que dès lors que vous organisez, vous orchestrez ce type de barnum à Libreville, vous consentez en quelque sorte à mettre en valeur des acteurs politiques locaux dont le parcours n’a rien d’étincelant. Et c’est la raison pour laquelle toutes proportions gardées, j’ai toujours été très critique, dans mes articles, dans mes ouvrages, dans mes interventions à la radio ou à la télé vis-à-vis événements spectaculaires amplement médiatisées du type New York Forum Africa à la sauce Richard Attias.

Parce que, à mon sens, le New York Forum Africa, il a pour vocation principale de ripoliner l’image plutôt fissurée d’Ali Bongo et de son clan. Et, je considère qu’un Attias, c’est la version post moderne de la Françafrique dans un portrait que je lui avais consacré intitulé : « Richard cœur de millions » qu’il avait évidemment détesté. J’écrivais que selon Lénine « le socialisme c’est le soviet plus l’électricité ». Et bien pour moi, le NYFA, Attias, c’est la Françafrique plus PowerPoint.

Donc, c’est une sorte de mutation génétique de la Françafrique qui se targue de modernité qui exalte les talents de la jeunesse. Mais, qui au fond ne s’adresse qu’à une élite occupée avant tout à préserver ses privilèges. C’est un peu le même scepticisme méthodologique qui me conduit à être hermétique à la célébration spectaculaire du continent de la croissance, du berceau du renouveau économique mondial etc. Un taux de croissance n’a jamais nourri son homme. Surtout, quand ladite croissance, indépendamment de la fragilité des outils statistiques d’ailleurs, est exclusivement captée par une élite dirigeante et ne change pas d’un iota le quotidien souvent très âpre des plus humbles des Africains.

Donc voilà, c’est la raison pour laquelle je pense qu’il serait prudent de regarder à deux fois avant de se prêter à ce genre d’initiatives. Cela dit, et ce sera ma conclusion sur ce point, si ce forum parce que les confrères de Libération auront gardés la maîtrise de sa dramaturgie, conduit à mettre en évidence le hiatus que je viens d’évoquer par exemple entre le sort des nantis et celui peu enviable des plus humbles et bien cela n’aurait pas été totalement inutile. Mais je ne suis pas certain que ce sera tout à fait aisé de procéder de la sorte. Et ce dont je suis convaincu, c’est qu’évidement le pouvoir en place, mais ce serait vrai à Brazzaville, au Cameroun ou ailleurs, fera tout ce qui est possible compte tenu de sa maîtrise d’une partie de médias, pour récupérer le bénéfice qu’il espère tirer de ce type d’aventures.

Propos recueillis par Jocksy Ondo Louemba

@info241.com
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